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L’Europe renforce sa législation sur le numérique, Apple double ses dépenses en lobbying à Bruxelles

Alors que la semaine dernière fut l’occasion de démontrer la capacité des Européens à agir vite et de manière solidaire pour poser les bases d’une réglementation des géants du numérique (les gatekeepers) avec l’adoption du Digital Market Act, les manœuvres de lobbying et d’influence des GAFAM pour rogner le texte sont plus fortes que jamais en 2022.

Tentatives pour améliorer leur image en Europe, rencontres entre les membres de la direction de la Commission européenne et les représentants des leaders du numérique (américain d’abord, mais aussi chinois), tentatives pour diluer les textes… Autant d’actions mises en œuvre par les GAFAM à la Commission européenne entre 2021 et 2022 alors que l’agenda législatif européen a été plus chargé que jamais, en particulier dans le secteur du numérique, actions qui se traduisent par une explosion des dépenses en lobbying du géant du secteur. 

Les déclarations au registre de transparence de l’UE peuvent sembler être des outils obscurs, mais permettent de constater l’explosion des actions de lobbying des GAFAM entre mars 2021 et mars 2022.

Si Apple est l’exemple le plus emblématique en doublant son budget d’influence à la Commission européenne, qui passe de 3,5 millions d’euros en 2019 et 2020, à 7 millions entre 2021 et 2022, ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les GAFAM américains investissent pas loin de 100 millions d’euros dans les actions d’influence à la Commission européenne et emploient 1452 personnes pour des actions d’influence à Bruxelles. Ainsi, Google a investi 6,5 millions, suivi par Facebook (5,5 millions) Microsoft (5,5 millions) puis par Amazon (3,5 millions). Dans les grands mécènes de l’Europe, on peut encore retrouver Vodafone, Qualcomm ou IBM…

Graphique extrait du rapport du Corporate Europe Observatory and LobbyControl, THE LOBBY NETWORK: BIG TECH’S WEB OF INFLUENCE IN THE EU.

Les entreprises du secteur de la technologie dépensent désormais plus que les industries pharmaceutiques, les industries des hydrocarbures, de la finance et des produits chimiques. Pour le numérique, leur objectif ne serait plus d’empêcher toutes régulations sur le secteur, mais de veiller à un maximum de souplesse des législations pour préserver leur modèle économique. 

Selon une étude de l’Observatoire de l'Europe industrielle , environ 75 % des 271 réunions organisées par les commissaires européens pour discuter du Digital Services Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA) ont eu lieu avec des entreprises technologiques. 

Ces rencontres ont eu lieu avec la direction générale au Marché intérieur du commissaire Thierry Breton (pour 107 réunions), ainsi qu’avec la commissaire au numérique, Margrethe Vestager (102 réunions). Réunions auxquelles il faut ajouter les 24 rencontres avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et les représentants des GAFAM. Douze des quinze premiers acteurs du lobbying sur le DMA et DSA représentent les intérêts des GAFAM.

Si ces derniers  semblent briller par leur présentéisme aux réunions de la Commission européenne, leur investissement est réfléchi et ciblé. Ainsi, s’ils ont été présents aux trois quarts des réunions sur le DMA et le DSA, leurs représentants n’ont assisté qu’à 10 % des 377 réunions portant sur le Green Deal (alors que les lobbys des grandes entreprises des hydrocarbures ont pu participer à 55 % des réunions ).

Avec la loi sur les marchés numériques (DMA) et la loi sur les services numériques (DSA), la Commission européenne veut limiter le pouvoir des GAFAM. L'industrie du numérique s'y oppose et son pouvoir de lobbying menace d'affaiblir ces propositions. Ainsi ce texte qui doit entrer en vigueur dès 2023 soumettra les géants du numérique à une forte régulation et risqueront des amendes élevées en cas de manquements pouvant atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires. lors que la dernière amende imposée par la commission à Google pour distorsion de la concurrence s’élevait à 2 millions d’euros, Alphabet, la société mère de Google, annonçait un bénéfice net de 76 milliards d’euros en 2021, soit une amende d’environ… 0,02 % du bénéfice.

Mais ce n'est pas seulement la puissance de feu des lobbies des grandes entreprises technologiques qui pose problème : leurs modèles économiques menacent de saper la prise de décision démocratique dans nos sociétés. 

Le Digital Market Act et le Digital Service Act constituent des opportunités politiques pour limiter le pouvoir des grandes plateformes numériques. Les efforts pour réguler l'économie numérique ont le potentiel d'offrir un meilleur internet, au service des personnes, des petites entreprises et des communautés. Il est crucial que des voix indépendantes et des citoyens s'impliquent dans ces discussions politiques afin de s'assurer que les lobbyistes ne parviennent pas à façonner l'avenir de ce secteur toujours plus stratégique.  

 

Arnaud Sers

 

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