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Levées de fonds : assurer le vivier de demain et la défense française

Dans un contexte économique 2022 pessimiste, la France a fait preuve de résilience et a vu émerger, au sein de son territoire, des entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars. Outre ces licornes, les pépites technologiques du territoire français sont les atouts de demain afin d’assurer sa souveraineté et son indépendance. Cependant, les besoins en financement de ces dernières les rendent vulnérables aux acquisitions prédatrices venues de l’étranger.

L’Hexagone comptabilise un total de 28 licornes sur son territoire et prend le pas sur son principal rival d’Outre-Rhin dans la course aux investissements, ce dernier ayant vu ses montants levés chuter de 38 % pour atteindre 10,04 milliards d’euros. Côté britannique, malgré le Brexit, le Royaume-Uni reste le leader en matière de montants levés qui cumulent à 27,6 milliards d’euros.

Ainsi, l’heure de l’hypercroissance est en train de laisser place à la sobriété des investissements, les licornes aux centaures – sociétés qui génèrent plus de 100 millions de dollars de revenus annuels récurrents. C'est donc un réel retour en force de la profitabilité comme indicateur principal de performance en réponse aux pertes estimées à « 1 500 milliards de dollars de capitalisation boursière » des GAFAM lors de la faillite de l’entreprise de prêts en crypto-monnaies Genesis. La société avait été fortement impactée par la banqueroute de Three Arrows Capital, doublée de l’implosion de FTX en novembre 2022.

 

Retour sur la French Tech 2022

On peut définir le terme de startup nation comme étant la caractéristique d’un État valorisant l’entrepreneuriat. Ces jeunes pousses à fort potentiel désignent des entreprises, ou licornes, exerçant dans le secteur des nouvelles technologies qui voient leurs valorisations excéder un milliard de dollars, tout en étant non-cotées en Bourse. Ces entités ont pour vocation de proposer des technologies de ruptures disruptives sous le label French Tech, lancé dès 2013 par l’ancienne ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'Économie numérique Fleur Pellerin.

En 2017, Emmanuel Macron faisait de la start-up nation son fer de lance pour son premier quinquennat en souhaitant instaurer un terreau fertile favorable à l’entrepreneuriat. Dès janvier 2020, Denis Lacorne, directeur de recherche au Centre de Recherche International – SciencesPo-Paris accordait une interview et expliquait : ​​« Si par start-up nation on entend une économie dynamique qui crée des licornes et qui s’impose dans le numérique et dans les domaines de l’intelligence artificielle, la France est bien une startup nation ». 

Un discours que nous pouvons ancrer dans le présent grâce à la rétrospective 2022 publiée par le cabinet d’audit et financier Ernst & Young lors de son bilan capital-risque annuel tricolore qui conclut sur un total de 735 sociétés ayant levé 13,5 milliards d’euros, soit une hausse des valorisations de  17 %, mais en diminuant de 6 % en volume.

 

Les entreprises championnes de demain

Les nombreuses subventions et l’environnement médiatique ont notamment facilité le Plan France 2030 qui vise à « rattraper le retard industriel français, d’investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique » ; ainsi que les programmes accélérateurs de la BPI (Banque Publique d’Investissement) et de la French Tech pour positionner la France comme pays de l’innovation. Par ailleurs, Xavier Niel avait – en 2017 – financé la création de Station F qui reste aujourd’hui la plus grande pépinière de startups mondiale et par conséquent un centre d’impulsion de la destruction créatrice. Le 16 février 2022, lors de la conférence « Investir ensemble, pour une nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Europe », Emmanuel Macron précisait que les programmes qui y sont lancés permettaient au monde entier de développer des activités dans la capitale française.

Ainsi, bien que décriée par l’opinion publique, la startup nation – largement financée par la BPI France et ses 44 milliards d’euros d’actifs sous gestion – demeure un enjeu phare de la souveraineté française. En effet, la redéfinition des règles du jeu économique par un remplacement des anciens schémas de pensée permet à ces jeunes pousses de proposer des technologies de ruptures disruptives tout en évitant la fuite de capitaux et de talents, et en conservant le contrôle des innovations européennes de demain.

En favorisant l’hybridation de la tech et de l’industrie française, les nombreuses startups créées permettent au pays de mieux peser sur la scène internationale. Nous pouvons, notamment, citer la levée de fonds de 100 millions d’euros en janvier 2023 réalisée par la startup Pasqal, cofondée par le prix Nobel de physique Alain Aspect. Ces ordinateurs quantiques, vendus à la France et l’Allemagne, sont des plus en pointe en Europe avec 350 qubit (bits quantiques) de puissance. Leurs développements  permettront, à terme, de surpasser les superordinateurs actuels dans des applications potentielles immenses. Ainsi, la France pourrait prendre un avantage considérable dans un domaine encore embryonnaire, préparant l’adage « si vis pacem, para bellum », tandis que les  trois fabricants d'ordinateurs quantiques cotés à New York voient le cours de leur action s’effondrer complexifiant, par conséquent, le financement du secteur.

Si, toutefois, la French Tech sait investir, le rapport de la Banque de France révèle que « 73 % des levées de fonds de plus de 100 millions d'euros en France depuis 2021 ont été menées par des investisseurs non-européens, faisant peser un risque économique et d'autonomie stratégique pour l’UE ».

 

Eiréné, fonds de défense français privé dans une industrie de guerre

Dans l’étude « Les fonds d’investissement et les entreprises de défense » publiée en mars 2022 par Xerfi, il y était stipulé que «  les pressions se renforcent pour exclure les entreprises selon la part des activités militaires dans le chiffre d’affaires ». Le désintérêt des fonds d’investissements pour l’industrie de la défense a été dénoncé par les industriels de la défense tels que Thales, Safran, Dassault Aviation ou Airbus. Toutefois, malgré la prise en compte croissante des critères ESG par les banques européennes, la société Weinberg Capital lance Eiréné, un fonds d’investissement baptisé au nom de la fille de Zeus et de Thémis, déesse de la paix, pour soutenir le secteur de la sécurité et de la défense. L'homme d'affaires et président du conseil d'administration de Sanofi, Serge Weinberg vient remettre en cause cette approche dans le financement des industriels de défense dans une économie de guerre en répondant ainsi au vœu du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. 

Grâce aux institutions et au secteur privé, le premier tour de table s’est élevé à 100 millions d’euros d’engagements pour investir dans les PME et ETI – d’une valeur comprise entre 30 et 200 millions – spécialisées dans la défense, la sécurité civile et le cyber. Avec comme volonté de favoriser l’émergence de champions français et européens duals (à la fois civils et de défense), cette initiative semble parfaitement s’intégrer dans l’économie de guerre actuelle en promouvant la souveraineté de ces filières d’excellences, tant en France qu’à l’export. En effet, à moyen terme, faisant cas de realpolitik, le fonds pourra vraisemblablement armer le gouvernement français face à la prédation étrangère sur les « pépites technologiques » tricolores à l’instar du rachat du spécialiste des composants pour l'aviation militaire ou de l'industrie spatiale européenne Exxelia.

Précisément, ce fonds a un positionnement précurseur en France où il n’existait pas de fonds LBO (leveraged buy-out ou montage financier permettant le rachat d'une entreprise grâce à un effet de levier) ayant comme « vocation de prendre des positions d’actionnaire majoritaire afin de soutenir et accélérer le développement dédié à l’ensemble des filières de sécurité et de défense » contribuera de manière positive à la balance commerciale tout en s’inscrivant dans la démarche de réindustrialisation de l’Hexagone. En effet, faute de se protéger des « killers acquisitions » ayant pour but de préempter l’innovation par des groupes en position monopolistique afin d’annihiler leur dynamique, il s’agit bien d’un déclassement technologique français. Conséquemment, à défaut d’un véritable soutien public – dont l’importance est soulignée dans le rapport Potier paru en 2020, le secteur privé pourra se positionner afin de maintenir la sécurité technologique lorsque l’application du décret Montebourg se révèle insuffisante. 

 

Plus largement, le conflit armé russo - ukrainien a pour conséquence de relancer avec acuité les discussions en Europe sur la nécessité des acteurs privés d’assurer via leurs financements la sécurisation du capital d’entreprises de nature stratégique pour la défense et capable de préserver la paix. Comme le souligne Serge Weinberg, « il faut se poser la question de la pertinence des politiques d'exclusion en matière d'ESG lorsqu'elles touchent des secteurs stratégiques pour nos États ».

 

Quentin Beunet

 

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