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La prédation économique

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 27 février 2012, le député Jean-Jacques Urvoas (spécialiste des questions de sécurité au Parti Socialiste), et l’universitaire Floran Vadillo rappelaient en ces termes l’importance de la prédation économique dans le contexte économique actuel :

«Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, pâtissent d’un cruel déficit de culture de sécurité économique ; les petites ignorent les enjeux sous-tendus tandis que les plus grandes, sensibilisées aux dangers macro-économiques, négligent les règles les plus élémentaires de sécurisation de leurs sites, données et informations stratégiques. Or, jamais les relations économiques n’ont été exposées à de telles tensions, jamais la prédation, y compris intra-nationale, n’a été aussi forte, les risques aussi importants, les pertes si lourdes mais, par écho, les gains potentiels aussi élevés.»

Comme le confirment les recherches sur cette expression, la prédation économique est un champ de connaissances encore mal défini par les universitaires et les économistes en particulier.  

L’économiste Michel Volle (Prédation et prédateurs, décembre 2007) nous en donne la définition suivante : « relation où l’une des deux parties impose une transaction à l’autre » et précise que « si on ne la rencontre pas dans les travaux des économistes théoriciens, cette dernière acception est présente chez des économistes militants, des historiens et des sociologues ».

Sur un plan purement historique, rappelons que cette notion de prédation est liée à l’origine des premiers conflits entre les hommes. La guerre est apparue à la Préhistoire dans la période du néolithique qui donne naissance aux premiers rudiments de l’économie (cultures, élevage et sédentarisation). L’accumulation du capital sous forme de cheptel et de semences et la constitution de stocks issus des récoltes créent les premiers motifs de conflit car ces « richesses » attiraient les prédateurs. Des universitaires comme Françoise Vergès assimilent aussi l’esclavage à une forme de prédation (L’homme prédateur – Ce que nous enseigne l’esclavage sur notre temps, Albin Michel, 2011).

Au cours des deux derniers siècles, la prédation économique a été citée dans des textes de nature idéologique ou politique. Les partisans de l’idéologie marxiste ont comparé les capitalistes à des prédateurs et ont assimilé les deux guerres mondiales à une guerre entre prédateurs capitalistes. Ils comparèrent aussi l’État capitaliste à un instrument de prédation de la richesse nationale. Les marxistes actuels présentent le capitalisme comme un système prédateur notamment lorsqu’ils font une analyse critique de l’écologie. Les universitaires Claude Serfati et François Chesnais ont une approche critique du capitalisme qu’ils dénoncent comme un système d’exploitation de l’homme et de destruction de la nature.

Certains ultralibéraux nord-américains dénoncent les thèses marxistes mais reconnaissent que cette philosophie de l’histoire demeure un outil d’analyse irremplaçable pour faire prendre conscience aux gens de l’exploitation qu’ils subissent dans nos démocraties sociales. Ces libertariens n’hésitent pas à dire que la plupart des politiciens et des agents de l’État sont une classe dominante qui ne subsiste que par la prédation.

L’économiste américain James K. Galbraith  reflète bien dans ses écrits la difficulté des libéraux (même situés à la gauche du Parti démocrate) à définir clairement ce qu’ils entendent par prédation économique (cf. l’article de James K. Galbraith : la prédation économique moderne, 2006). Il s’agit moins d’un concept que d’une réflexion morale sur la corruption ou les contrats attribués à certaines sociétés comme ce fut le cas après la guerre en Irak.

Ces différents écrits ne permettent pas d’avoir une approche théorique et pratique de la prédation économique. Pour rebondir les propos du député Jean-Jacques Urvoas et de l’universitaire Floran Vadillo, il semble pertinent d’utiliser l’intelligence économique comme instrument d’analyse transdisciplinaire de la prédation économique. Les sciences humaines auraient par ce biais une démarche de recherche enrichie par le retour d’expérience que permet cette nouvelle forme d’étude croisée du développement et de la confrontation.

Dès à présent, il est possible d’identifier deux grands domaines de la prédation économique selon que l’on étudie ses effets à l’intérieur ou à l’extérieur d’un territoire :

 Prédation économique intérieure :

  • Les destructeurs d’entreprise et les revendeurs sur étagère.
  • Les détourneurs de fonds publics pour valoriser une concurrence étrangère.
  • Les acheteurs étrangers de sous-traitants pour encercler des concurrents nationaux.
  • Les profiteurs étrangers de subventions européennes.

 Prédation économique extérieure :

  • Le pillage économique des pays conquis ou des pays sous dépendance extérieure.
  • Le piratage de brevets industriels et de brevets logiciels.
  • Le détournement de la propriété intellectuelle.
  • La contrefaçon croissante de produits.

 Ces pistes de réflexion sont embryonnaires et doivent être complétées par des études appropriées ainsi que par des travaux de recherche menés en concertation avec des victimes de ce type de pratique déloyale.

Plusieurs facteurs importants légitiment une telle démarche : les multiples incohérences révélées par les crises financières, les impératifs nouveaux liés au développement durable et la survie de la population sur des territoires affectés par la désindustrialisation.

Les stratégies de prédation économique engendrent aujourd’hui des manipulations et des attaques informationnelles destinées à accroître la vulnérabilité des cibles. Cet aspect particulier des applications civiles de la guerre de l’information par le contenu appuie la nécessité d’une nouvelle réflexion sur la nature et l’impact de la prédation économique sur les politiques de développement et sur  la réglementation de la concurrence.

 

 

Christian Harbulot

Directeur de l’Ecole de Guerre Economique

Directeur associé du cabinet Spin Partners