Le Cercle Droit et Liberté invitait le mardi 8 mars à l’université Paris Dauphine l’essayiste Hervé Juvin et Maître Christian Dargham pour parler de l’extraterritorialité du droit. Le Portail de l’IE vous propose un compte-rendu de cette conférence passionnante.
Maitre Dargham commence par expliquer le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui est une loi américaine condamnant les entreprises pour corruption. Le Top 10 des entreprises les plus sanctionnées comprend 8 entités étrangères, dont 3 entreprises françaises.
Ce doit extraterritorial n’est pas une spécificité américaine, la France, la Grande-Bretagne ou encore de nombreux pays ont des lois extraterritoriales, notamment dans le domaine pénal pour la France. Ce n’est donc pas uniquement un monopole américain.
Pour Hervé Juvin, l’extraterritorialité est un piège.
Le droit joue un rôle important dans le jeu géopolitique mondial. Il précise que l’on peut obtenir par le droit, ce que l’on pouvait auparavant obtenir par la guerre. Le prétexte est la «bonne marche des affaires ».
Derrière ce mot « extraterritorialité », c’est l’imposition du système national américain pour régir des lois mondiales. Par exemple, le 2e fabricant de telecom chinois vient d’être condamné par la justice américaine, car elle commerçait avec l’Iran.
Maitre Dargham explique que la convention de l’OCDE qui impose aux signataires de cette dernière de punir la corruption d’agents publics à l’étranger. La France a mis en oeuvre cela en 2000 et elle est un pays exportateur. Or, elle n’a jamais condamné une seule entreprise. « Nous avons des sociétés soumises à des lois anticorruptions, vous – européens – ne faites rien, on le fait à votre place », se justifient les entreprises américaines.
Hervé Juvin précise que le système français fait que des grands patrons disposent d’une impunité totale ; il faut partir de cela pour comprendre le point de vue américain.
En revanche, le deux poids, deux mesures américain est critiquable. La France utilise un système de corruption datant de la préhistoire. À l’inverse, aux États-Unis, cela est déguisé à travers des voyages d’études, des ONG, des fondations, des thinks-tanks…
La France connait un problème de souveraineté qui va s’accentuer avec le TTIP et les tribunaux d’arbitrages, principalement dans les domaines sociaux et environnementaux. Il illustre cela avec le cas de l’Équateur qui est condamné à payer l’équivalent de 20 % de son budget annuel par un tribunal d’arbitrage à l’encontre de sociétés américaines, car les lois environnementales du pays sont trop restrictives.
Pour Maitre Dargham, les entreprises ont le choix entre le procès ou la sanction, le plus souvent, elles vont choisir coopérer. En effet, le cas de l’entreprise de consulting Andersen est révélateur. Elle a choisi d’aller au procès qu’elle a gagné, mais entre-temps l’entité a été démantelée.
René Boustany du Cercle Droit et Liberté interpelle les intervenants en demandant si l’on peut parler de racket ?
Il est expliqué que l’entreprise a toujours le choix, mais c’est un faux choix. Les entreprises veulent souvent s’assurer que le business continue, elles vont donc coopérer. C’est une renonciation à la souveraineté, car une autorité étrangère intervient sans passer par les conventions internationales.
Hervé Juvin renchérit en affirmant qu’il y a une colonisation mentale de l’Europe avec l’utilisation de mots américains comme Compliance et bonne gouvernance. Le prix de la sanction a été également multiplié par un facteur de 2 à 3 par le recours à un nombre plus important de consultants / avocats pour les entreprises ayant mises en place les mesures de compliance américaine.
Monsieur Juvin, cite l’exemple d’une entreprise française qui souhaitait continuer de travailler en Afrique francophone à la suite de pressions américaines. Les différents ministères français n’avaient aucune réponse à apporter face à ces problèmes. Cette entreprise a donc le choix d’ouvrir un compte aux États-Unis ou dans un pays du golfe pour continuer son activité dans cette zone géographique.
Christian Dargham nous apprend que l’entreprise qui paye l’amende va reconnaître les faits, sans plaider coupable et ne pourra donc contester les faits par la suite. Une fois la sanction décidée, il est parfois demandé de licencier un certain nombre de cadres dirigeants pour entraver la stratégie de l’entreprise.
Comment s’adapter ? Rétorque le Cercle Droit et Liberté.
Les entreprises choisissent si elles veulent ou non travailler aux USA…. Une entreprise va être concernée par la loi américaine quoiqu’elle arrive. La compliance est faite en fonction de ce qui est attendu aux USA
Hervé Juvin explique qu’il existe un Soft Terrorism des agences américaines ainsi, les entreprises françaises s’autolimitent, car l’utilisation du dollar, d’un téléphone Apple, ou d’un microprocesseur américain suffit à établir la compétence du juge américain.
Quelles solutions concrètes ? précise René Boustany.
Pour le même intervenant, il y a une non prise en compte de la guerre économique par les entreprises de toutes tailles en expliquant que c’est une mentalité très française. Il y a un énorme travail de pédagogie à faire.
Il faut notamment promouvoir la Civil Law ou le droit continental dans toutes les institutions internationales. À titre d’exemple, la Russie et la Chine pour leurs échanges n’utilisent pas le dollar, un serveur ou un hébergeur américain. C’est à terme, la seule solution pour Hervé Juvin.
Récemment, l’Iran a choisi pour son commerce extérieur d’utiliser l’euro afin de ne pas tomber sous la loi américaine.
Maitre Dargham précise que dans le Projet de loi Sapin 2, il va être rendu obligatoire les programmes de Compliance. On se dirige donc vers davantage de transparence sur le sol national si cela est réellement appliqué.
Alexandre MOUSTAFA