Fin février 2016, l’École de Guerre économique accueillait en son sein Guy Gweth, ancien élève de l’école, pour une intervention sur le thème de l’Intelligence Economique en Afrique. Une conférence riche en enseignements sur une discipline qui, pour n’en être qu’à ses débuts sur le continent africain, n’en reste pas moins prometteuse.
Une analyse de l’économie africaine
Spécialiste de l’intelligence économique en Afrique et fondateur du cabinet Knowdys et d’Africadiligence.com, Guy Gweth est l’auteur de trois ouvrages parus en 2015 : 70 chroniques de guerre économique, Maroc-Afrique: ils ont trahi le roi et #MoiPrésident: 69 jeunes leaders africains dessinent les contours de l’Afrique émergente.
Lors de sa présentation, Guy Gweth a proposé un retour d’expérience sur la pratique effective d’une intelligence économique africaine : à territoire spécifique, une manière différente existe pour veiller, analyser, et transmettre l’information utile à la compétitivité des acteurs économiques. Pour expliciter cette pratique, M. Gweth a tout d’abord donné son analyse de l’économie africaine, en montrant les facteurs qui sont à la base de son attractivité ainsi que les barrières qui peuvent freiner son fonctionnement. Guy Gweth a également mis en évidence l’accentuation de la guerre économique que se livrent les différentes puissances sur le continent.
Partant du constat que les quinze dernières années constituent les « 15 glorieuses du continent africain », il relève néanmoins que la croissance économique sur le territoire demeure non inclusive : quand les riches sont de plus en plus riches, à contrario, les pauvres sont de plus en plus pauvres. Une autre caractéristique du continent est la part de l’économie informelle, qui représente près de 40% du PIB global du continent, pouvant monter jusqu’à 60% pour le Nigéria. De plus, la corruption continue de peser pour 25% du PIB du continent africain selon l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Les déstabilisations politiques ont également un impact non négligeable sur la fluidité des rapports commerciaux d’autant que ceux-ci sont plus fréquents qu’ailleurs puisqu’en moyenne, le continent africain compte 1,5 coup d’état tous les douze mois depuis 50 ans.
La guerre économique en Afrique
Guy Gweth a ensuite explicité les stratégies des différents États sur le terrain africain de la guerre économique, et en premier en lieu celle des Etats-Unis. La stratégie états-unienne et sa diplomatie économique passe notamment par deux réseaux prédominants que sont Africom et CTA.
Africom est le dispositif militaire américain sur le continent, dont le maillage du continent est effectif dans les pays membres de l’Union Africaine. Le dispositif a également pour but d’assurer les approvisionnements américains en matières premières vers les Etats-Unis, notamment depuis le 11 septembre 2001 et la volonté d’augmenter la part de brut africain dans les importations états-uniennes. CTA, une ONG qui regroupe en son sein près de 200 entreprises, est une véritable « machine de guerre économique » selon l’analyse de M.Gweth : regroupant renseignement, réseaux et communication d’influence, elle est une entité extrêmement importante pour le développement des entreprises américaines sur le continent africain. En sens inverse, elle est également plébiscitée par les entreprises africaines puisqu’elle constitue une porte d’entrée privilégiée sur le continent africain. On comprend l’efficacité de cette combinaison quand, citant les propos d’Angelle Kwemo l’ex « Madame Afrique » du Congrès Américain affirme qu’elle en a « plus appris sur l’Afrique durant ses années à Washington qu’à Douala ».
Malgré ce dispositif important et efficace, les Etats-Unis subissent de plus en plus la concurrence chinoise sur le plan de la diplomatie économique. Les présidents chinois, qu’il s’agisse de Xi Jinping ou d’Hu Jintao, faisaient au minimum une visite officielle sur le continent tous les 3 mois. Preuve supplémentaire de l’implication chinoise en Afrique, la République populaire a été jusqu’à faire construire et offrir à l’Union Africaine un nouveau siège flambant neuf, s’attachant même à lui offrir jusqu’au mobilier qui compose ses locaux. Si l’on peut estimer pertinent ici d’invoquer l’expression « les murs ont des oreilles », il faut reconnaitre que le maniement de l’arme de « l’aide sans condition » permet à la Chine d’assurer une coopération économique et commerciale avec les pays africains. Celle-ci est d’ailleurs désormais extrêmement privilégiée, puisque les Etats-Unis, qui étaient le premier partenaire commercial de l’Afrique jusqu’en 2009, ont été, depuis, supplantés par la Chine.
A côté de ces deux acteurs majeurs et dominants, les stratégies d’autres puissances moyennes ont été explicitées par Guy Gweth et en tout premier lieu, la stratégie française.
Le soft power français, aidé par la francophonie, est encore aujourd’hui perceptible sur le continent, et notamment sur les classes dirigeantes africaines : « un dirigeant africain écoute au moins RFI une fois tous les deux jours ». Malgré tout, la création de la Fondation AfricaFrance intervient dans un contexte de perte de vitesse dans l’espace francophone africain pour l’hexagone.
Du côté des investissements français en Afrique, même s’ils sont en baisse relative, certaines places restent stratégiques. Dans un pays ayant peu de systèmes d’informations, le contrôle par le groupe de Bolloré de la majorité des points d’entrées et de sorties maritimes d’Afrique Centrale lui permet d’occuper une place privilégiée quant aux informations sur le continent.
S’il reste malgré tout un acteur important sur le continent, l’hexagone est en perte de vitesse. L’exemple ivoirien est ici emblématique : si historiquement la France était le premier partenaire commerciale de la Côte d’Ivoire, c’est aujourd’hui le Maroc qui se positionne dans une relation privilégiée et qui détrône la France en lui prenant directement des parts de marché. A mi-chemin entre Afrique subsaharienne et Europe, le Maroc est en passe de devenir une puissance africaine. Les puissances moyennes prennent en effet part au développement du continent africain. Sur le marché de la sécurité privée, ce sont des acteurs russes ou israéliens qui occupent une place de choix. Ces derniers sont leaders dans la distribution d’Internet sur le continent et assurent les ¾ de la sécurité présidentielle en Afrique.
Un autre indicateur de la mise en avant de l’Afrique sur le terrain de la guerre économique peut être mesuré par l’appétence des sociétés d’audit pour son marché. Le développement du continent africain poussent des groupes mondiaux d’audit tel que PwC, KPMG ou Deloitte à s’implanter dans des pays présentés comme à risque par les classements internationaux mais perçus comme potentiellement à haut rendement au vu de leurs ressources naturelles.
Arrivant au constat de ce durcissement des affrontements économiques sur la scène africaine et internationale, l’intelligence économique africaine est plus que jamais nécessaire. Dans cette démarche, le réseau humain joue en effet une place prédominante. L’utilisation systématique d’Internet apparait peu pertinent dans la mesure où une grande partie des entreprises ne possèdent pas de sites internet et que les registres du commerce en ligne sont peu fournis voire inexistants.
Des défis comme la gestion du temps ou le caractère informel et monnayable d’une grande partie de l’information stratégique en Afrique se posent aux entreprises africaines. Le rôle de la diplomatie économique étatique est ici primordial, notamment dans la mise en place d’un véritable service de renseignement auquel la société civile (syndicats, ONG et associations) devra prendre part.
Quant au développement de l’Intelligence économique africaine, si la prédominance des réseaux humains est attestée, son développement passe par la volonté de créer un modèle indépendant et unique correspondant au territoire africain. Et Guy Gweth de conclure par ce proverbe bassa camerounais : « un singe qui en imite un autre ne sera jamais vainqueur au concours de la grimace ».
Herwan AVOCE & Nicolas CRITON
Membres de l’association Cell’IE de l’IAE Poitiers