Eric Delbecque, membre du Conseil scientifique du CSFRS, revient ici sur le dernier ouvrage de Christian Harbulot : Fabricant d’intox.
Nous persistons, en France, à traiter l’information exclusivement comme un outil d’émancipation. Il se trouve néanmoins que la société dite de l’information ne se confond pas avec l’univers et la connaissance, celle qui déchire le voile de l’ignorance. Christian Harbulot nous le rappelle dans ce petit livre agile et vif, Fabricants d’intox. La guerre mondialisée des propagandes (Lemieux éditeur, 2016).
En effet, la guerre continue entre les puissances de la planète, et les idées sont devenues des armes. Les organisations privées elles aussi usent des concepts et des représentations pour porter des coups à leurs adversaires.
L’influence se situe désormais au centre des stratégies de puissance. Le directeur de l’Ecole de Guerre Economique poursuit son combat intellectuel pour démontrer que l’Europe refuse d’assumer la permanence du conflit dans les relations internationales et la géoéconomie.
L’Hexagone en particulier reste sourd aux avertissements des spécialistes et aveugle aux réalités. Il faut pourtant s’y faire : les affrontements informationnels existent ! Dans le domaine industriel et commercial en tout premier lieu : « Depuis que les échanges économiques existent, l’information est une arme utilisée pour s’emparer d’un marché, affaiblir ou éliminer un concurrent, ou encore nuire à l’image d’un produit. Ce champ d’activités reste encore inaccessible à cause de l’opacité du jeu des acteurs ».
La guerre économique n’est pas un slogan réservé à certains commentateurs passionnés de belles formules chocs : elle s’affirme comme l’un des pivots de la « guerre hors limites » contemporaine. Les offensives informationnelles y tiennent une place de choix. Symétriquement, il s’agit donc d’offrir en réponse une storytelling efficace. Un Etat, une entreprise, un leader d’opinion sont dans l’obligation de se présenter sous un angle valorisant. Christian Harbulot nous rappelle une fois encore (tant l’actualité nous montre la nécessité de sensibilisation à ces questions) que les nations, les gouvernements et les individus ne sont pas les seuls à continuer à exister dans des environnements conflictuels. Les entreprises comptent également au rang des acteurs de cet espace agonistique généralisé !
Michel Houllebecq avait raison : « l’extension du domaine de la lutte » n’a pas de limites ! Pour être extrêmement concret, une entreprise peut être confrontée à la liste des adversaires suivants : les concurrents (indélicats et peu scrupuleux) ; les Etats non démocratiques ou extrêmement volontaristes en matière d’appui aux acteurs économiques nationaux ; des agents gouvernementaux corrompus ; les organisations criminelles ; les groupes terroristes ; les « activistes » en tous genres (ONG offensives type Greenpeace, mouvances altermondialistes agressives dont dérive par exemple le Black Bloc) ; les pirates informatiques (aux motivations variées, allant d’Anonymous aux hackers stipendiés revendant l’information) ; les lobbies (plus ou moins structurés et efficaces, authentiques associations professionnelles poursuivant des objectifs très ciblés, ou galaxies diffuses jouant des caisses de résonnance qu’offrent la société civile et le Web interactif) ; les individus isolés obsédés par une marque (parfois par désir de revanche) et agissant en véritable watchdog ; les parties prenantes internes pratiquant la fraude (pour exercer des représailles suite à un conflit, ou pour des motifs crapuleux) ; les mouvements sectaires (ces derniers exerçant sur leurs adeptes une influence qui peut se révéler nuisible à l’entreprise via l’action quotidienne de ces salariés endoctrinés). Vaste programme de défis à relever…
FrLes affaires se mènent décidément en terrain hostile… On se retrouve ainsi très loin de la description des entreprises propagée par de nombreux médias, celle-là même qui nous la présente comme un organisme « hors-sol » circulant dans l’univers de la libre concurrence, où seuls importent prix et qualité… A lire donc, ce livre qui refuse l’idéologiquement correct !
Eric Delbecque, membre du Conseil scientifique du CSFRS