Depuis quelques jours, les Jeux Olympiques (JO) de Rio ont débuté. Pour la première fois, un pays sud-américain les accueille. Entre enthousiasme et forte inquiétude, la communauté internationale observe d’un œil attentif cet évènement sportif hors du commun.
Panorama du Brésil actuel
9ème puissance économique mondiale, le Brésil connait en ce moment une période de crises particulièrement délicates. De nombreux clichés faussent d’ailleurs au moins partiellement son image. Bien qu’il présente toujours des opportunités d’investissements non négligeables (énergies renouvelables, industrie pharmaceutique…), le géant sud-américain fait face à un certain nombre de défis. La liste est longue : instabilité politique à son acmé (procédure de destitution en cours contre Mme Dilma Rousseff, inculpation pour entrave à la justice de l’ancien président Lula dans l’affaire Pétrobras à qui Rio doit l’attribution des Jeux), récession économique due essentiellement à la baisse du prix des matières premières et des importations chinoises sur les produits brésiliens, chômage grandissant, inflation récurrente, délabrement des services publics, système éducatif lacunaire, insécurité liée à la criminalité organisée et à la menace d’attentats, etc.
Le début des Jeux Olympiques semble ainsi arriver à point nommé pour calmer les diverses tensions qui sévissent à travers cet Etat. Malgré les critiques sur la tenue de ces JO au Brésil, notamment internes, les bénéfices devraient être conséquents. En effet, les dépenses liées à cette compétition (entre environ 10 et 18 milliards d’euros), financées à 57% par des fonds privés, sont mal vues au regard de la morosité économique dudit pays. Ainsi, selon un sondage Datafolha, la moitié de la population semble contre la tenue des JO chez eux. De surcroit, 63% des citoyens interrogés pensent que les inconvénients d’un tel évènement supplanteront ses avantages. Il n’en reste pas moins que les enjeux sont nombreux.
Des enjeux politiques
Il s’agit plus particulièrement d’améliorer la visibilité et le prestige du pays hôte, en jouant sur la médiatisation. Les JO favorisent la reconnaissance et le rayonnement à l’international. Après avoir accueilli la dernière coupe du monde de football, « l’éternel pays d’avenir » montre sa volonté de renforcer davantage son influence à l’échelle régionale, et même mondiale. L’organisation d’évènements sportifs majeurs est un outil non négligeable de soft power. Dans ce contexte, le président par intérim Michel Temer a la lourde tâche d’accueillir 45 chefs d’Etats. Par ailleurs, près de 25.000 journalistes venant du monde entier sont présents à cette occasion.
Cela explique l’importance des négociations tournant autour des attributions du statut de « pays organisateur ». Ces dernières font d’ailleurs souvent l’objet de luttes acharnées entre les candidats. Des soupçons de corruption sont souvent émis à la suite de ces attributions. Par exemple, la justice française enquête notamment sur le cas des Jeux de Rio et de Tokyo. Dans certains cas, la communication de ces soupçons peut-être simplement un moyen de déstabilisation visant à mettre la pression sur des acteurs ciblés (concurrents participants, etc.) et ternir leur image.
Des enjeux économiques et sociaux
En outre, l’organisation d’un tel évènement favorise toujours l’économie locale. En effet, environ un demi-million de touristes sont par exemple attendus pour ces Jeux. Selon certaines estimations, ils devraient dépenser environ 180 millions d’euros durant cette période. Si cela ne représenterait qu’un quart des dépenses des étrangers lors de la Coupe du monde de 2014, il faut noter que la diffusion des JO contribue à elle seule pour un peu moins de 50% des revenus liés à la compétition.
Les JO sont aussi l’occasion pour les entreprises d’investir, de promouvoir leurs produits et de montrer leur force de frappe. Coca-Cola par exemple compte sur les JO pour augmenter ses parts de marché sur le continent sud-américain et contrer la saturation du marché états-unien. Ainsi, une kyrielle de partenaires, fournisseurs et sponsors sont impliqués. Des géants tels que VISA, Dow Chemical et General Electric font partie des onze « partenaires olympiques mondiaux » du Comité international olympique (CIO). Ces derniers représentent une valeur marchande de plus 1,5 trillion de dollars. Parmi eux, les multinationales américaines sont majoritaires. En échange de sommes conséquentes, ils peuvent utiliser les images et les marques liées aux Jeux. Leur apport combiné en revenus « marketing » serait estimé à 9,3 milliards de dollars. Le comité d’organisation des jeux de Rio a déjà affirmé qu’il avait été en mesure d’atteindre son objectif de réunir (au moins) la somme de 1,3 milliard de dollars grâce aux droits de parrainage. Sans compter les accords passés avec les partenaires mondiaux ci-dessus. La valeur des droits commerciaux pour les JO est d’ailleurs en constante augmentation. Tandis que 10% des recettes totales seront versés au comité international olympique, une partie seulement sera transférée au pays hôte pour couvrir les frais d’organisation. De leur côté, les chaines de télévision ont dépensé plus de 4 milliards de dollars pour avoir le droit de diffuser la compétition. À cet écosystème, s’ajoute enfin la bataille qui se joue entre les leaders spécialisés dans les vêtements de sport, comme Nike et Adidas…
Sur le plan social, la création d’emplois est une des retombées principales des JO : rien qu’à Rio, 48.000 nouveaux emplois en lien direct avec les Jeux ont été instaurés, dont 15.000 permanents. Sans oublier les 50.000 postes prévus pour la construction des infrastructures.
Des défis environnementaux et sanitaires
Plusieurs experts ont émis des inquiétudes concernant la pollution dont est victime la baie de Guanabara (près de la ville de Rio) où se dérouleront les épreuves en eau libre. En effet, celle-ci était toujours remplie de détritus et polluants quelques heures avant le début des JO. Cette pollution peut notamment provoquer des problèmes respiratoires ou des vertiges.
Ensuite, le gouvernement est présentement contraint de gérer deux fléaux sanitaires : le virus Zika, transporté par les moustiques tigres, et la grippe A H1N1. Au regard des préoccupations émises par certaines délégations sportives, des officiels locaux et internationaux ont assuré que les risques de contracter et de voir propager le virus susvisé étaient faibles. Ce qui n’empêche pas un certain nombre d’athlètes de prendre des précautions additionnelles, voire même d’avoir réfléchi à leur participation.
Des défis sécuritaires
Dans un premier temps, l’état des infrastructures construites dans le cadre des Jeux est un sujet d’anxiété en matière de sécurité. Lors des travaux, une dizaine de personnes ont été victimes d’accidents mortels.
Ensuite, les gangs et narcotrafiquants représentent une menace très sérieuse au Brésil. Malgré les multiples opérations policières, ils reprennent le contrôle des favelas. L’insécurité est un problème omniprésent: en cinq mois, 2083 personnes ont été tuées dans la capitale carioca, soit une augmentation de 14% par rapport à 2015. Le jour de l’ouverture des JO, deux personnes ont trouvé la mort. Les zones frontalières avec 10 pays différents sont par ailleurs difficiles à protéger/surveiller. Classé 76ème par Transparency International, la corruption au Brésil est aussi un véritable fléau.
Au vu du contexte actuel, la crainte d’une attaque terroriste est également grandissante dans une région qui est pourtant peu touchée par le phénomène du terrorisme international (sa politique étrangère traditionnelle étant moins « agressive » que celle des Occidentaux): selon l’expert en sécurité Robert Muggah, « Si un groupe terroriste veut marquer un grand coup à un évènement mondial, Rio serait un bon endroit pour commencer ». Pour certains médias anglo-saxons, les JO vont même se passer dans un Etat qui aurait une conception de la sûreté antérieure au 11/09. Deux Modus Operandi semblent inquiéter particulièrement les spécialistes : l’appel au « loup solitaire » et le recours à « une bombe sale » par l’organisation terroriste ISIS.
Les autorités brésiliennes semblent néanmoins prendre la menace terroriste de plus en plus au sérieux, particulièrement à la suite de l’interpellation d’une dizaine de terroristes présumés proches de l’Etat islamique (étant soupçonnés d’avoir voulu planifier plusieurs attaques pendant ces Jeux) et à la recherche d’Abu Wa’el Dhiab, un ex-détenu de la prison de Guantanamo Bay accusé d’être proche d’Al Qaeda, qui avait disparu des radars en Uruguay avant de réapparaitre au Venezuela en fin juillet. Sans compter l’identification de 4 individus liés à des activités terroristes ayant essayé d’obtenir des accréditations.
Plus de 80.000 membres des forces de sécurité ont été mobilisés pour ces JO. Cela représente le double des effectifs déployés lors de ceux de Londres en 2012. Il faut noter au demeurant que les autorités brésiliennes ont dû rapidement rappeler des milliers d’hommes supplémentaires après que la société ARTEL n’ait pu recruter et former à temps un nombre suffisant d’agents de sécurité. Cela rappelle les déboires de G4S à Londres en 2012. Enfin, José Mariano Beltrame, le secrétaire d’Etat chargé de la sécurité de Rio, a confirmé devant les médias la présence d’une cellule antiterroriste dans la capitale Brasilia.
La collaboration internationale n’est pas en reste : le personnel d’une cinquantaine de pays prend également part à la sécurisation des Jeux. Des équipes d’intervention françaises ont même travaillé avec les forces de sécurité brésiliennes lors de simulations d’attaques. Plus encore, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) leur a envoyé des équipements de détection sophistiqués pour parer à toute éventualité. L’appui de services de renseignement étrangers, notamment français et américain, est également avéré.
Cela va-t-il suffire ? Pour le Comité international olympique (CIO), « les autorités brésiliennes font ce qu’elles peuvent ». Certains professionnels du renseignement tentent même d’être plus rassurants : « Nous avons déjà vu des cas où la sécurité des JO semblait chaotique et elle s’avérait finalement efficace, parce que les autorités y mettaient toutes leurs forces » (Patrick Skinner, ancien officier de la CIA spécialisé dans l’antiterrorisme). Les prochaines semaines nous diront si ces sujets d’inquiétude étaient justifiés.
Nicolas de Turenne