Le 26 avril 2016, La nouvelle tombe comme un couperet. L’Australie choisit la DCNS française pour renouveler sa flotte sous marine. Le Japon, récemment lancé dans le commerce d’armement, accueille cette décision avec un calme qui cache mal un aveu d’échec annoncé.
Tokyo avait pourtant commencé comme grand favori de cette course au contrat de 50 milliards $ AUD (soit 34 milliards €) destiné à renouveler la flotte sous-marine australienne. Cependant, lors de tout grand contrat de défense, les raisons amenant à choisir un matériel militaire plutôt qu’un autre sont multiples et ne se limitent pas à des considérations techniques et opérationnelles, mais sont également soumises à des calculs politiques et géostratégiques.
Pourquoi ce renversement spectaculaire de situation pour l’industrie nippone ? Dans ce cas précis, une analyse de la situation peut désigner 5 causes de l’échec japonais.
1. L’alternance de pouvoir australien défavorable au Japon
Le Japon comptait sur l’excellente relation entre le Premier ministre japonais Shinzo Abe et l’ancien Premier ministre australien Tony Abbott. Cette entente aurait favorisé un contrat incluant la construction au Japon des sous marins, renforçant davantage la relation stratégique Australie-Japon. Le gouvernement Abbott a été contraint de lancer un appel d’offres, permettant au français DCNS et à l’allemand ThyssenKrupp AG (TKMS) de se lancer dans la course aux côtés de Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et Kawasaki Shipbuilding Corporation (KSC).
Sûrs de leur succès, les industriels japonais n’avaient pas tenus compte de l’avertissement lancé en novembre 2014 par le comité économique du Sénat australien. L’institution avait déjà, à l’époque, déploré la faiblesse de leur offre en rejetant une première fois le programme nippon, jugé inadapté au cahier des charges prescrit.
En septembre 2015, revirement de situation : Le premier ministre australien Tony Abbott est remplacé par Malcolm Turnbull. Ce remaniement prive le Japon de son meilleur atout, l’amenant tardivement à réorganiser sa stratégie pour remporter l’offre. En vain, les industriels japonais ont été rapidement distancés par les offres de leurs homologues français et allemands.
2. La réticence japonaise au transfert de compétences.
Dans un calcul politicien, Malcolm Turnbull a déclaré que la totalité des 12 sous-marins devra être construite sur le sol australien à Adélaïde, la capitale de l’Australie méridionale et base des chantiers navals de l’Australian Submarine Corporation (ASC) pour y contrer un chômage grandissant et tenter de gagner quelques sièges lors des élections fédérales approchant.
« Les sous-marins, « les plus sophistiqués du monde, seront construits ici, en Australie, (…) par des Australiens, avec de l’acier australien », Malcolm Turnbull
Consciente de cet impératif australien, la DCNS avait alors judicieusement exprimé un accord de principe sur la localisation à Adelaïde des constructions de sous-marins avec des matériaux locaux. De son côté, le Japon culturellement réticent au transfert de technologie militaire sensible à l’étranger, a tardivement assoupli sa position au cours des derniers mois de négociations. Face au positionnement français, leur réticence a desservi leur cause auprès des Australiens.
3. L’inexpérience japonaise du marché international de l’armement
Malgré la récente évolution de sa Constitution sur son statut pacifiste l’évolution culturelle japonaise en ce domaine reste compliquée après 70 ans d’antimilitarisme s’additionnant à une méfiance atavique de l’étranger.
Le secteur militaro-industriel japonais n’a pas accueilli favorablement la vente des sous – marins Soryu à l’étranger. Les deux sociétés produisant des sous-marins, MHI et KSC, disposent actuellement d’une capacité de production uniquement adaptée à leur demande intérieure. Dans l’ ensemble, la Marine japonaise prévoit de commander un total de 11 sous-marins de la classe Soryu- d’ici à 2020. Jusqu’à présent, seuls 7 ont été commandés. En raison de l’inexpérience des industries japonaises de défense dans l’approche des clients internationaux, l’Australie doutait de la capacité nippone à gérer les différences culturelles lors d’un transfert de technologie ou d’une simple délocalisation de production.
La récente et prudente évolution constitutionnelle japonaise autorisant l’export d’armement a provoqué la création d’un organisme chargé de coordonner production et vente au sein du secteur militaro industriel nippon. Le pays s’est d’ailleurs inspiré du modèle de la DGA française pour créer l’ATLA (Acquisition Technology Logistics Agency). Cependant, le Japon n’a pas encore d’expérience dans la vente de son matériel militaire, y compris dans le transfert de technologies de défense sensibles à un pays autre que les Etats-Unis. Le peu d’enthousiasme de la bureaucratie japonaise a d’ailleurs influencé le ministère de la Défense australienne, ce dernier craignant une annulation subite de tout accord signé avec Tokyo.
4. La levée du veto américain sur l’acquisition de matériel européen
Les États-Unis avait jusqu’alors ouvertement soutenu la candidature japonaise. La campagne d’influence américaine en faveur des sous-marins japonais exprimait clairement que les États-Unis n’autoriseraient pas l’installation de ses systèmes d’armes les plus avancés sur des sous-marins de conception européenne. La nomination de MalcolmTurnbull a provoqué un soudain revirement américain qui aura participé à l’échec japonais. Le président américain Barack Obama a garanti au nouveau Premier ministre australien que le marché des sous – marins était une question souveraine de l’Australie et que la sélection de la France ou l’Allemagne n’affecterait pas l’alliance Australie-États – Unis.
La présence d’anciens officiers supérieurs de la marine américaine parmi l’équipe d’évaluation australienne et du groupe d’audit externe laisse supposer que l’US Navy va permettre à l’ensemble de ses technologies les plus sensibles d’être adaptées au sous marin français.
5. L’expérience solide et les couts d’entretien contenus des français.
Lors de la publication d’attribution du contrat à DCNS, Malcom Turnbull et sa ministre de la Défense Marine Payne ont déclaré conjointement que « cette décision a été motivée par la capacité de DCNS à mieux répondre à l’ensemble de nos attentes en capacités uniques ». Ne tarissant pas d’éloges sur les caractéristiques techniques du sous-marin français, les considérations du gouvernement comprenaient également les coûts, le respect du calendrier, l’exécution du programme, la capacité de maintenance ainsi que la participation de l’industrie australienne, et d’ajouter : « DCNS a construit plus de 100 sous-marins pour neuf marines différentes et ses navires naviguent sur les cinq océans, un avantage majeur sur le Japon qui n’a pas d’expérience sous-marine à l’exportation. »
Le processus d’appel d’offres bâclé et l’excès de confiance furent une leçon importante pour le Japon. Son industrie d’armements a apparemment encore un long chemin à parcourir pour devenir un acteur majeur sur le marché mondial de l’armement. Jusqu’alors, le seul client de l’industrie militaire du Japon avait été son propre gouvernement. Avec la récente autorisation d’exportation d’armement en Avril 2014, il est peu surprenant que les entrepreneurs de la défense japonais manquent d’expérience dans le marketing, les transferts de technologie ou de délocalisation de production. Le Japon a cependant fait montre d’une extraordinaire capacité d’adaptation, et tirera de chaque échec une leçon qu’il mettra à profit afin d’atteindre ses ambitieux objectifs. Il faudra très bientôt compter avec lui lors des prochaines négociations.
Stéphane Przybyszewski