Il était attendu et le constat est amer. La délégation parlementaire au renseignement a publié son rapport annuel, jeudi 2 novembre, mettant en évidence les vulnérabilités françaises face aux ingérences étrangères. Ses conclusions sont sans surprise : la France, malgré des services de renseignement efficaces, n’est vraisemblablement pas au niveau.
Créée en 2007, la délégation parlementaire au renseignement a comme prérogative le suivi de l’activité générale des services de renseignement. Chaque année, les huit députés et sénateurs qui la composent rédigent un rapport sur le bilan de ses activités. Rendue publique ce jeudi 2 novembre, l’édition 2023 se consacre exclusivement à la lutte contre les ingérences étrangères en France, désormais considérées comme une urgence nationale.
Le changement d’époque, un terreau favorable ?
« Une menace protéiforme, omniprésente et durable ». Ce sont par ces mots que le rapport définit les ingérences étrangères sur le territoire national. Si les services de renseignement disposent de divers moyens d’entrave pour les contrecarrer, force est de constater que « ces outils ne suffisent pas à eux seuls dans la durée ».
Pratiques d’espionnage, opérations de manipulation de l’information, attaques dans le cyberespace… Parmi les acteurs de ces agissements, la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie se révèlent les plus virulents. Chacun dispose d’un mode opératoire particulier, de la déstabilisation démocratique à la prédation économique, en passant par une influence cultuelle.
L’ingérence économique des pays alliés
Côté occidental, ces outils ne sont pas inexistants, et certains pays les utilisent également pour servir leurs propres intérêts. La prise de conscience du jeu ambigu des Alliés souffre parfois d’une certaine inertie en France. Pourtant, « en matière d’espionnage et d’ingérences économiques, nos alliés ne sont pas non plus forcément nos amis et divers modes opératoires » sont utilisés pour « capter de la donnée et porter atteinte à notre sécurité économique », dénonce le rapport. L’extra-territorialité du droit américain n’est plus à citer, tant les affaires Alstom, Exxelia, Latécoère ou encore Technip sont devenues de notoriété publique. A l’inverse, la France tend progressivement à protéger ses fleurons nationaux, comme Photonis ou Segault, qui sont autant de succès sur lesquels elle doit capitaliser.
Vers un nouveau dispositif juridique ?
Au-delà de blâmer les puissances étrangères mises en cause, le rapport pointe du doigt les « vulnérabilités persistantes » des élites françaises, des élus aux politiciens, dans les milieux économiques comme académiques. « Les puissances étrangères profitent d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe », et qui doit s’arrêter maintenant. La délégation soutient que « le concept de souveraineté doit primer sur toute autre considération ».
« Le concept de souveraineté doit primer sur toute autre considération »
Sans se borner au seul constat de telles agressions envers la France, la délégation appelle à une action urgente pour préserver la souveraineté nationale. Si elle considère que les « valeurs démocratiques sont à la fois notre force et notre faiblesse face à des régimes autocratiques aux méthodes éloignées des nôtres », elle recommande toutefois plusieurs outils pour faire face efficacement en demeurant dans l’État de droit : identification de personnalités étrangères influentes en France, gel des avoirs de structures proches du niveau étatique, mais également formation des élus et surveillance accrue des partenariats universitaires. Un projet de loi anti-ingérence à l’échelle nationale est par ailleurs préconisé, tout comme une réponse européenne.
Il y a toujours des « mais »…
Les conclusions données ne sont pas sans rappeler les nombreuses alertes données ces derniers mois. En février dernier, le Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) mettait en garde sur les tentatives d’approche de renseignements étrangers. Quatre mois plus tard, le Parlement européen appelait à être proactif dans la lutte contre l’ingérence étrangère et la manipulation de l’information et un rapport sur l’ingérence allemande dans la filière nucléaire française était publié. Reste désormais à voir comment l’institutionnel se saisira de ces préconisations et si l’augmentation des effectifs alloués au renseignement (500 millions d’euros), prévue dans la loi de programmation militaire 2024-2030, servira efficacement cette nouvelle priorité nationale.
Sixtine de Faletans
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