La Corée du Nord : comment sortir de la crise ?

Le 27 février dernier, Asialyst a invité Juliette Morillot et Barthélémy Courmont sur le sujet : « La Corée du Nord : comment sortir de la crise ? » Le Portail de l’IE était présent et vous propose un aperçu de ce qui a été dit.
La Corée du Nord ne cesse de multiplier les tirs de missiles, et les essais nucléaires, faisant fi des sanctions de l’ONU. Quelles sont les véritables inquiétudes des pays voisins ? Que veut réellement la Corée du Nord ?

Quelles sont les positions des pays voisins ?

Le Japon, soucieux de se remilitariser

Le Japon prend très au sérieux les menaces de la Corée du Nord.  La colonisation de la Corée par le Japon entre 1910 et 1945 a laissé une trace indélébile dans l’esprit des Coréens. Et malgré les rapports cordiaux qu’entretiennent les deux pays, le ressentiment n’en est pas moins grand. Les menaces de Pyongyang sont donc prises au sérieux, d’autant plus qu’en février, trois missiles avaient finis leur course très près du Japon. Plus récemment, le 5 mars, soit deux jours avant la rencontre entre les présidents américain et chinois, un missile balistique a été tiré en mer du Japon.

L’échec des sanctions économiques fait évoluer la perception de l’environnement stratégique du Japon et les moyens de répondre à la menace nord-coréenne. Shinzo Abe, Premier Ministre japonais, souhaite en effet abolir l’article 9 de la Constitution (qui indique que le Japon renonce à la guerre), ou du moins y intégrer la notion d’état d’urgence. La tendance impérialiste de la Chine sur les îles Senkaku et les menaces de Pyongyang permettent au pays de revendiquer son droit à la remilitarisation et à l’utilisation de ses forces armées en cas d’absolue nécessité.

La Corée du Sud s’interroge sur une éventuelle réunification

Pour son voisin du sud, la question nucléaire n’est pas au centre des préoccupations. Ses inquiétudes se portent plutôt sur l’état des forces conventionnelles de Pyongyang et la situation du régime, qui laisse planer la possibilité d’un remake de la guerre de Corée.

Par ailleurs, la question de la réunification, et particulièrement de son coût et des interrogations politiques qu’elle engendrerait, est très prégnante. Est-ce que tous les coréens du Nord se rallieraient au sud ? La jeune génération sud-coréenne manifeste également un certain désintérêt pour la réunification. Elle voit le nord non pas comme une menace, mais un voisin lointain et belliqueux. La Corée du Sud se retrouve dans une impasse. La question d’un retour à la Sunshine Policy peut se poser, mais l’échec de la première version mise en place en 1998 et ayant tenu jusqu’en 2016, sur fond de tensions politiques, militaires et nucléaires, laisse peu de doute quant aux résultats d’une deuxième tentative.

La Chine joue un double jeu

Concernant la Chine, celle-ci est en position de force : c’est le seul pays capable de faire pression sur la Corée du Nord. Elle impose des sanctions, tout en soutenant les solutions du conseil de l’ONU. Néanmoins, la question qui se pose aujourd’hui est, jusqu’où Pékin peut aller dans le cautionnement des agissements de Pyongyang ? La Corée du Nord est devenue un problème pour la Chine. Et malgré le ralliement, partiel, de la Chine aux Etats-Unis, à la Corée du Sud et au Japon, le voisin du nord ne semble pas prêt à se calmer. Contrairement à ce que peuvent faire croire les médias occidentaux, les américains en tête, Pyongyang ne se laisse pas dicter la marche à suivre par Pékin, il est en même méfiant. De plus, le statu quo est profitable pour la Chine : Pékin fournit 90% de l’énergie, 80% des produits de consommation et 45% de son alimentation à la Corée du Nord. Les sanctions internationales sont souvent contournées grâce aux activités sur la frontière entre la Mandchourie et la Corée du Nord. Pékin souhaite conserver ses relations relativement bonnes et profitables avec Pyongyang.

Par ailleurs, une réunification ne serait guère du goût de Pékin, qui pourrait se retrouver face à un bloc nucléarisé et américanisé, composé des deux Corées et du Japon.

Les Etats-Unis, grand point d’interrogation

Enfin, les Etats-Unis sont clairement dans l’impasse. Ils ont épuisés toutes leurs options. Actuellement, l’administration Trump apparaît hésitante sur les questions asiatiques, et n’est plus capable de peser avec force sur le dossier. Depuis une dizaine d’années, on assiste en effet à un déclin du poids des Etats-Unis dans les problématiques en Asie.

Néanmoins, si l’Amérique n’a pas imposé de sanctions importantes depuis un moment, c’est bien que la situation actuelle lui convient. Sans la menace nord-coréenne, les forces américaines seraient contraintes de quitter le Japon et la Corée du Sud. La Chine profiterait donc de l’opportunité pour asseoir son pouvoir en mer de Chine orientale et méridionale notamment. C’est l’influence, de plus en plus pesante, de la Chine sur la région qui fait le plus peur aux Etats-Unis.

 

Que veut la Corée du Nord ?

Grâce à de nombreux voyages en Corée du Nord et sa connaissance de la langue, Juliette Morillot a pu interroger de nombreux nord-coréens et étudier l’environnement dans lequel ils vivent, qui est souvent différent de ce que peuvent dépeindre les médias occidentaux.

La Corée du Nord est un pays qui se sent sous menace directe des Etats-Unis. En effet, au lendemain de la guerre de Corée, les américains ont installés des têtes nucléaires en Corée du Sud (1958-1991), qui sont pointées sur Pyongyang. La menace apparaît donc directe. De plus, théoriquement, les deux Corées sont encore en guerre : aucun traité de paix n’a été signé, d’où la présence de militaires basés sur le 38ème parallèle et la création de la DMZ.

Les revendications de Pyongyang sont simples. Elle réclame la signature d’un traité de paix sur la péninsule, et que les discussions soient bilatérales, avec Washington et non plus à 6 (Japon, Chine, Corée du Sud, Russie et Etats-Unis). Ce traité serait un préalable à toute discussion sur la dénucléarisation. Or, les Etats-Unis demandent que le processus de dénucléarisation soit enclenché avant toute chose. Par ailleurs, Pyongyang veut un programme nucléaire civil et être reconnue en tant que puissance nucléaire et obtenir une reconnaissance diplomatique.

Les médias décrivent souvent le dirigeant de la Corée du Nord comme un être démoniaque, au plan fou. Néanmoins, le danger que représente le pays repose dans sa parfaite rationalité. Il sait exactement ce qu’il veut, sans quoi Pyongyang ne se serait pas maintenu au pouvoir depuis tant d’années. A ses yeux, la meilleure façon de dialoguer au même niveau que les autres « puissances », c’est l’arme nucléaire.

L’interrogation repose principalement sur la Corée du Sud : les relations entre les deux Corées se sont détériorées. Mais suite à la destitution de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, de nouvelles élections vont avoir lieu, et la majorité des candidats ont indiqués qu’ils essaieraient de renouer avec Pyongyang. Un retour à la Sunshine Policy est-il donc envisageable ? Les ambitions de remilitarisation du Japon indiquent également une escalade des tensions et des moyens pour tenter d’y répondre. Par ailleurs, excepté le fait que Trump demande à la Chine de s’occuper de ce voisin gênant, la politique américaine est encore très floue concernant l’Asie.

Pour conclure, la Corée du Nord continue la même politique depuis des années, mais la situation actuelle est plus dangereuse, du fait des évolutions aussi bien économiques que militaires. La manière de résoudre la situation est floue : des interrogations subsistent quant à ce que fera l’administration Trump. Des frappes préventives sont-elles à craindre ? La situation est très imprévisible, d’autant plus que depuis dimanche 9 avril, le porte-avions américains USS Carl Vinson et plusieurs croiseurs se dirigent vers la péninsule coréenne…

Elodie Le Gal