Devant l’absence de majorité des Etats-membres, la Commission européenne renouvelle l’homologation du produit phytopharmaceutique jusqu’en 2033. L’abstention de la France illustre le tiraillement de l’exécutif entre compétitivité à l’échelle européenne et préoccupations environnementales.
L’UE reste divisée sur l’utilisation du glyphosate ce jeudi 16 novembre à Bruxelles. Les États membres n’ayant pas trouvé d’accord sur l’utilisation du glyphosate, la Commission européenne a tranché : l’herbicide est autorisé pour dix années supplémentaires. Le renouvellement, basé sur « l’évaluation complète des risques » étudiés par l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), et l’agence européenne des produits chimiques s’accompagne néanmoins de nouvelles restrictions. L’utilisation du pesticide pour déshydrater avant la récolte devient interdite, et les organismes non ciblés devront faire l’objet de mesures de protections obligatoires. En outre, chaque pays membre reste responsable de l’évaluation, et de l’autorisation individuelle des produits phytopharmaceutiques avant diffusion sur le marché, dont la substance active (le glyphosate) a été autorisée à échelle européenne.
Positionnement flou de la France sur la question du glyphosate
Cette décision place la France face à ses contradictions sur le sujet, comme le montre l’abstention française lors du vote pour le prolongement des glyphosates ce 16 novembre. D’un côté Emmanuel Macron avait promis une sortie de l’herbicide en novembre 2017, en demandant au « gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France au plus tard dans trois ans ». D’un autre côté, l’exécutif soutient les agriculteurs largement dépendants de cette molécule, qui pointent du doigt les interdictions sans solutions alternatives crédibles aujourd’hui.
Le compromis trouvé jusqu’alors interdit l’herbicide pour les particuliers, tandis que les agriculteurs sont soumis à des restrictions d’utilisation depuis 2022. Les efforts sont visibles, puisque les ventes de glyphosate dans l’Hexagone ont chuté de 27 % en 2022, revenant à un niveau d’utilisation équivalent à 2009. Une information clé dans l’argumentation du ministre de l’agriculture Marc Fesneau pour convaincre de la bonne foi du gouvernement.
Un produit extrêmement controversé
Les scientifiques peinent à se mettre d’accord sur les risques d’utilisation du produit, générant une controverse publique largement relayée par les médias. Tout commence en 2015, lorsque le centre international de recherche sur le cancer de l’OMS classifie le glyphosate comme « cancérigène probable pour l’homme ». Les rapports s’enchaînent, l’institut national de recherche médical conjecture un lien avec quatre pathologies dont le cancer du sang, tandis que l’EFSA n’identifie « aucun domaine de préoccupation critique » à l’utilisation du pesticide. Cette divergence pourrait s’expliquer par l’origine des données sur lesquelles se fondent les études (académique ou industrielle), par la prise en compte ou non des perturbateurs endocriniens, ou encore de « l’effet cocktail », résultant du mélange des substances actives pour obtenir le produit final.
Mais devant le consensus des toxicologues sur la capacité du glyphosate à altérer l’ADN, la directrice de recherche à l’Institut national de recherches pour l’agriculture et l’environnement (Inrae), Laurence Huc dénonce « un lobbying extrêmement fort et puissant […] sur l’herbicide le moins cher à produire, et le plus facile à utiliser. » En 2018, le ministre de la transition écologique engagé pour la sortie du glyphosate, Nicolas Hulot dénonçait également la pression des lobbies agricoles (UIPP et FNSEA entre autres), défendant les pesticides aux côtés du ministre de l’Agriculture de l’époque Stéphane Travert.
Quelle place pour le glyphosate en France ?
Si le sevrage est envisageable pour de faibles surfaces de maraîchage, les immenses exploitations, et les zones caillouteuses ou pentues ne permettant pas le labour requièrent l’utilisation du glyphosate, selon le directeur de l’Inrae Xavier Reboud. Les obligations de production poussent ainsi la Confédération paysanne à demander au gouvernement les « moyens d’accompagner correctement les agriculteurs », grâce à des subventions pour ceux qui renonceraient aux pesticides de synthèse par exemple.
Si l’équivalent glyphosate n’existe pas, la SNCF a prouvé en 2022 qu’on pouvait le substituer. La plus grande utilisatrice du pesticide en France jusqu’à 2021 s’est en effet tournée vers l’acide pélargonique issu de colza et tournesol, moins efficace et plus cher, mais qui se veut plus respectueux de l’environnement pour désherber ses voies ferrées. Aucune étude n’a néanmoins été menée sur ce produit phytosanitaire classique, promu comme « désherbant bio ».
Peu d’alternatives aux pesticides pour rester compétitifs à l’échelle européenne
La compétitivité de l’agriculture française, la première en Europe, est également un élément clé dans l’abstention française lors du vote pour la reconduction de l’herbicide ce jeudi 16 novembre, comme lors du précédent vote le 13 octobre. Si trois pays ont voté contre, pas moins de 17 autres tels que l’Allemagne, dont le groupe Bayer est propriétaire de Monsanto (Roundup) soutiennent son renouvellement. En ce sens, la liberté de réglementation du glyphosate laissée aux Etats membres par la Commission ne permet pas à la France d’interdire totalement son utilisation : « la lecture économique, c’est qu’il faut que tout le monde suive les mêmes règles, sinon les plus vertueux perdront en compétitivité », explique la journaliste Alexandra Bensaid sur France Inter.
La sortie du glyphosate ne semble s’envisager que de manière progressive ; en attendant, l’exécutif plaide pour un encadrement plus strict de ses usages. S’il est réautorisé dans les champs européens jusqu’au 15 décembre 2033, l’herbicide néanmoins controversé est susceptible d’être réévalué à tout moment en cas de nouvelles expertises scientifiques probantes.
Agathe Bodelot
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