Le rapport alarmant du Conseil allemand des relations extérieures sorti en novembre dernier souligne l’urgence de la situation actuelle : la Russie, avec ses ambitions impériales, représente une menace majeure à court terme pour l’Allemagne, l’OTAN et plus généralement le continent européen. Quelles peuvent être les conséquences d’un tel scénario sur la stratégie d’influence française au sein de l’UE ?
Le Conseil allemand des relations extérieures (DGAP), se positionne au cœur des enjeux de sécurité et de la politique étrangère en Allemagne, ainsi qu’au niveau européen. Fondé en 1955, cet organisme publie également la revue germanophone « Internationale Politik ». Il est notamment soutenu par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense allemand, l’Open Society et la Commission européenne. Malgré un certain tropisme lié à ses financements, le DGAP a proposé un rapport le 8 novembre dernier, dont les conclusions méritent une réflexion. Ce document, bien que n’ayant pas rencontré un grand engouement médiatique, anticipe les futurs scénarios de confrontation avec la Russie tout en proposant des directives stratégiques à mener.
Augmentation des capacités militaires russes malgré les sanctions occidentales
Alors que les combats en Ukraine ralentissent et que des négociations de paix pourraient s’ouvrir, la Russie se mue davantage en une économie de guerre, alimentant son industrie militaire avec les revenus issus de ses exportations de pétrole et de gaz.
Paradoxalement, malgré les sanctions occidentales, la Russie a réussi à contourner les restrictions sur les composants cruciaux pour son effort de guerre. Cette capacité de résilience économique accroît son potentiel militaire bien au-delà des estimations américaines et européennes. Ainsi, le rapport du DGAP estime qu’après la fin des combats en Ukraine, Moscou pourrait reconstituer ses forces en six à dix ans.
Politique de puissance russe dans une Europe divisée
La Russie demeure déterminée à étendre son influence et à affaiblir l’OTAN et l’UE. Dès lors, on peut se demander quelles seraient les conséquences d’une nouvelle offensive russe contre une Ukraine intégrée à l’UE. Dans l’hypothèse d’une victoire de Trump en 2024 et du retour de l’isolationnisme américain, on peut également s’interroger sur la réponse qu’apporterait l’OTAN à une attaque russe (directe ou indirecte) contre la Pologne ou les États Baltes. En parallèle, on observe que les pays européens sont de plus en plus fragiles et divisés entre eux. Il est probable que certains gouvernements soient tentés de faire cavalier seul, en essayant de s’affranchir des institutions européennes et atlantistes.
Que de tels événements découlent directement d’une action russe ou non, cela profiterait à la stratégie de de Moscou. Des scénarios inquiétants pourraient nous amener à imaginer un effondrement de l’UE ou de l’OTAN, si des actions concrètes n’étaient pas prises pour contrer les ambitions russes. Ainsi, sans reconstituer les frontières soviétiques, la Russie pourrait consolider sa puissance sur un continent européen divisé.
Recommandations stratégiques du rapport
Le rapport allemand suggère alors diverses stratégies pour contrer cette menace potentielle :
- Renforcer le soutien à l’Ukraine avant la fin des combats pour réduire la puissance militaire russe.
- Intégrer rapidement l’Ukraine dans le secteur européen de la défense pour renforcer la sécurité de l’Europe sur sa frontière Est.
- Développer une capacité de défense européenne indépendante en cas de réduction du soutien américain.
- Étendre les sanctions économiques pour affaiblir l’économie de la guerre russe.
Combinées, ces recommandations semblent pragmatiques pour affaiblir la puissance militaire russe et permettre à l’Europe de s’affirmer comme un bloc solide et indépendant. Cependant, ces mesures relèvent de processus complexes et risquent d’être confrontées à d’importantes résistances politiques, économiques et capacitaires. Par exemple, le développement d’une capacité de défense européenne indépendante est une ambition louable, mais nécessite une coordination étroite entre les États européens ainsi qu’une véritable stratégie commune.
Les opportunités géo-stratégiques françaises
Ainsi, le rapport suggère à l’Allemagne de réorienter ses investissements vers des équipements militaires, en mettant particulièrement l’accent sur la quantité. Cette transition offre des opportunités significatives pour l’industrie militaire française. Malgré des intérêts divergents tels que des achats fréquents de matériel américain plutôt que français, le rapport allemand plaide en faveur d’une défense européenne indépendante. En tant que leader sur le plan militaro-industriel en Europe, la France peut exploiter cette situation pour renforcer son secteur de défense.
C’est également l’occasion pour la France de prendre l’ascendant dans un récit franco-européen, en mettant en lumière les contradictions allemandes et en utilisant ces déclarations. Compte tenu de la compétitivité de son industrie, il pourrait être judicieux pour la France de pousser pour la mise en place de quotas européens dans les achats de défense.
Sur le plan stratégique, la France pourra alors réinvestir ces sujets pour affirmer son rôle central dans la politique de puissance européenne. En partant de la dimension politico-militaire, il serait possible de transposer ses succès sur le plan économique via tous les éléments qui pourraient toucher à l’effort de guerre. En plus de son avantage nucléaire, les atouts français pourraient fortement se manifester dans ce contexte. C’est une vraie opportunité d’englober des aspects militaires et de leadership politique en Europe, dépassant ainsi le simple aspect économique sur lequel l’Allemagne s’est reposée depuis sa réunification.
Jules Basset
Pour aller plus loin :