La France est la première puissance spatiale européenne. Son industrie spatiale représente 50 % du chiffre d’affaires européen et 40 % des emplois. Elle est en outre, le premier contributeur de l’Agence spatiale européenne avec plus de 750 millions d’euros par an. Avec Astrium et Thales Alenia Space, deux leaders du secteur sont présents sur son territoire.
Cependant et alors que l’industrie spatiale privée subit un essor important aux États-Unis, la France en particulier, et l’Europe en général, ne semble pas prête à mettre en œuvre une vision stratégique en la matière et à proposer des subventions suffisantes pour les entreprises innovantes du secteur. Es ce une occasion manquée ? alors que l'on pourrait considérer que le spatial est un des principaux secteurs d’avenir, tant pour le tourisme que pour le transport de marchandises, de passagers, la recherche ou encore l’exploitation minière. Grand pourvoyeur d’emploi, on estime par ailleurs qu’un euro investi dans le spatial revient à 20 euros de retombées économiques.
Quel avenir pour le spatial français et européen?
D’abord, réticent et considérant que le spatial était réservé aux Américains et aux Soviétiques, le Général De Gaulle a vite compris l’intérêt pour la France en terme de prestige et l’impératif en terme d’indépendance d’accès à l’espace que représentaient le développement d’une politique spatiale crédible. L'agence spatiale française chargée de la mettre en œuvre, le CNES lança alors divers programmes qui aboutirent aux fusées Diamant et à l'envoi du premier satellite français Astérix A1, de SPOT ou encore HÉLIOS. L’impulsion française conduisit en outre à la création de l’agence spatiale européenne et d’Arianespace et des succès qui en suivirent.
À l'occasion de la remise du rapport du Centre d'analyse stratégique intitulé « Une ambition spatiale pour l'Europe », le 11 octobre 2011, l’ex-ministre de la Recherche, Laurent Wauquiez a dégagé les axes possibles d'une politique européenne du secteur à l'horizon 2030. Face à l'émergence de nouvelles puissances spatiales, l'Europe doit repenser sa politique et la France doit jouer un rôle moteur en la matière, a indiqué Laurent Wauquiez. « L'industrie aérospatiale est une belle réussite européenne. Elle représente 30 000 emplois en Europe ». Dans un rapport publié le 23 mars 2012, et avec l'apport du traité de Lisbonne en matière spatiale pour l'UE, Laurent Wauquiez militait pour une préférence européenne concernant les appels d’offres, plutôt qu’une ouverture mondiale; « L'Union européenne doit avoir un rôle de stratège, définir les grandes orientations et les besoins».
En octobre aura d’ailleurs lieu la conférence ministérielle de l’ESA. Pour Alain Rousset, responsable des questions industrielles de François Hollande, « La France doit assumer son rôle de leader dans le domaine spatial et tirer parti de ses savoir-faire dans ce domaine qui entraîne toute une chaîne d'activités: motorisation, matériaux, optique, électronique ». Mais ce dernier se montre moins optimiste en notant que la politique spatiale de la France se caractérise par une absence de vision et de capacité de décision : les effectifs de l’industrie spatiale française ont baissé de 14% depuis 2002, passant de 14 000 à 12 000 salariés actuellement tandis qu’ils ont progressé de 11% en Allemagne. Inquiet quant à l’avenir d’Ariane, dont « les coûts ne font qu’augmenter », il rappelle également que « l'intégralité des satellites du programme Galileo, financé par l'Union européenne, est fabriquée en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie ».
L’essor du privé
Néanmoins, si l’on se réfère à l’incontestable première puissance spatiale, les États-Unis, ce sont les entreprises privées qu’il convient de surveiller. Autrefois dépendantes des agences spatiales, elles sont désormais pleinement associées à celle-ci et pourraient assurer seules demain, l’exploration et l’exploitation du système solaire.
La présence d’entreprises privées dans les programmes spatiaux a toujours été importante, que ce soit avec Lockheed Martin, Boeing, EADS/Astrium ou Arianespace, mais elles étaient soumises à leur donneur d’ordre : la NASA ou l’ESA. Au sein de la NASA, le principe d’un partenariat public/privé d’égal à égal dans le secteur spatial ne fait aujourd’hui plus débat. Pour Christophe Bonnal, expert au Centre national d'études spatiales, « la NASA a un rôle de défricheur. Une fois les nouvelles technologies maîtrisées, elle passe le relai au secteur privé. Pour la mission actuelle de fret spatial, la technique de "rendez-vous" a été mise au point par l'agence américaine en 1965. Il n'y a rien de choquant à ce que 50 ans après ce soit une entreprise privée, dont les 1 500 employés dépendent de la NASA, qui s'en occupe ! » Le chef du Centre de recherche de l’agence américaine, Pete Worden va plus loin et estime que toute colonisation de la Lune et de Mars ne peut être que l’affaire d’entreprises privées. Le secteur public s’occuperait de développer les nouvelles technologies et d’assurer les prémices de l’exploration avant que le privé ne prenne le relai, dans la droite ligne des grandes explorations du XVe siècle. Consciente de l'importance des investissements exigés pour se développer dans ce secteur, la NASA a alloué 270 millions de dollars aux entreprises jugées prometteuses : SpaceX, Bigelow Aerospace, Planetary Resources, Sierra Nevada, Blue Origin et même Boeing.
Elon Musk, co-fondateur de PayPal et de SpaceX déjà acteur de l’envoi de fret vers l’ISS discute déjà avec la NASA du financement de bases lunaires et de colonisation de Mars et affirme vouloir faire de l’Homme une espèce “interplanétaire”.
Un secteur privé européen encore trop dépendant des agences publiques
En France et en Europe, la politique spatiale a contribué au développement d’un tissu industriel hautement spécialisé. La maîtrise des techniques et des savoir-faire spatiaux représente un atout de poids pour la France dans le domaine des échanges et des relations internationales grâce à ses offres de coopération. Les grands groupes industriels, comme les P.M.E./P.M.I ont tout intérêt à innover dans ce secteur de haute technologie pour fabriquer lanceurs et satellites, et pouvoir ainsi proposer des systèmes commerciaux, voire directement des services, dont les applications dans la vie quotidienne intéressent le grand public. Avec 12 000 salariés et un chiffre d’affaires consolidé de l’industrie spatiale française de 2,7 milliards d’euros, ce secteur présente un excédent commercial annuel s’approchant parfois du milliard d’euros. Ce chiffre ne prend pas en compte les résultats pour les transports terrestres, maritimes et aériens, l’exploitation de ressources énergétiques, minérales et naturelles, l’environnement, l’agriculture, l’audiovisuel, les communications, etc.
Lors de sa conférence de presse du 14 janvier, Jean-Jacques Dordain, DG de l’Agence spatiale européenne, est revenu sur les partenariats mis en place entre l’Esa et l'industrie spatiale afin de diversifier les moyens de financement et d’obtenir des délais plus courts. Les partenariats entre le public et le privé, bien qu’ayant subi un échec dans le cadre du programme Galiléo et le refus des industriels de prendre des risques, sont en plein essor en Europe également. Il s’agit principalement de satellite de télécommunications avec Hylas Inmarsat et Hispasat.
Reste que le secteur privé est encore trop peu développé en Europe et en France, non pas par sa taille, mais par son indépendance, son ambition et sa hiérarchie à l’égard des agences nationales et de l’ESA. L’exploration et la conquête spatiale sont à l’origine de nombreuses retombées technologiques puis économiques. Le programme Apollo a contribué à l'essor de l'informatique en participant à la scission entre matériel et logiciel. L'utilisation des circuits intégrés qui ont fait leur apparition en 1961 a vu la NASA acheter au début du programme 60 % de la production mondiale pour les besoins des ordinateurs des vaisseaux Apollo. L’industrie spatiale est à l’origine de nouvelles technologies, de nouveaux matériaux, de nouveaux alliages et de nouvelles techniques de gestion qui ont souvent révolutionné notre connaissance de la terre, de l’univers et de notre quotidien.
De même, de nombreux marchés prometteurs à moyen terme et extrêmement rentables à plus long terme ne demandent qu’à être conquis, que ce soit dans le transport du fret, le tourisme spatial, l’énergie, l’extraction minière etc. Les gains et la puissance économique qui pourraient en résulter ne doivent plus ignorés par l’Europe qui doit aider ses entreprises privés et par la même les générations futures.
Alexandre Mandil