Vers un euro numérique : un pas de géant pour l’Europe, au prix de la souveraineté de ses membres ?

Le 18 octobre, la Présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde annonçait une nouvelle phase de développement pour lancer l’euro numérique d’ici 4 ou 5 ans. Un bond technologique pour l’UE qui s’efforce de demeurer compétitive sur la scène internationale des cryptomonnaies, tandis que les banques nationales s’activent pour influencer en leur faveur les futurs processus décisionnels et normatifs.

Amorcée il y a deux ans par la Banque Centrale Européenne, la phase de développement de l’euro numérique s’est officiellement terminée le 18 octobre 2023. Elle consistait à élaborer un cadre juridique définitif, à sélectionner les prestataires pour développer les infrastructures nécessaires, ainsi qu’à réaliser des tests et des expérimentations pour éprouver la résilience de cette nouvelle monnaie numérique. L’accent a été mis sur le respect des exigences de l’Eurosystème (autorité monétaire regroupant la BCE et les banques nationales), de la confidentialité, de l’inclusion financière et de l’empreinte environnementale.

Après ces deux années, le Conseil des gouverneurs peut passer à la prochaine étape de préparation :  l’éventuelle émission et mise en circulation de l’euro numérique.

Monnaie numérique et financier décentralisé, un bond technologique pour fluidifier les échanges

Le recours aux monnaies digitales de la Banque centrale (CBDC) pour les échanges inter-bancaires permettrait de fluidifier les transferts sur certains types d’actifs financiers. Les transactions seraient enregistrées sur un registre distribué synchronisé sur un réseau d’ordinateurs. Ce système simplifierait les échanges, améliorerait leur rapidité et offrirait la possibilité d’échanger des crypto actifs (token, NFT, etc). L’interopérabilité permise par ses caractéristiques techniques servirait à prévenir l’isolement des banques vis-à-vis des nouvelles infrastructures privées, et offrirait la possibilité d’améliorer la communication entre les différents systèmes monétaires internationaux. Rendre ouverte l’architecture des systèmes bancaires faciliterait les paiements transfrontaliers, tout en réduisant les coûts et en améliorant la rapidité des échanges.

Ces changements font apparaître un nouveau modèle nommé « finance décentralisée ». La Decentralized Finance (DeFi) se concentre sur un processus de désintermédiation des échanges. Ceci implique de réduire le nombre d’acteurs intermédiaires impliqués dans la distribution ou la création d’un service ou produit financier. La DeFi revisite les services financiers traditionnels : paiements, prêts, emprunts, échanges de titres, titrisation, swaps, trading, etc.

Une concurrence intra-européenne pour assurer la survie des banques nationales

De nombreux pays, au travers de leurs banques centrales, participent activement au développement de ces différentes phases. C’est le cas de la Banque de France ainsi que de la Bundesbank. Grâce à leur expertise et leur rôle clé dans la régulation financière nationale, elles ont établi des lobbys puissants pour façonner et « incliner » la conception de l’euro numérique selon leurs besoins. L’objectif est clair : prendre une position avantageuse dans les processus décisionnels et normatifs. D’autres pays européens, dont l’Espagne et la Finlande, montrent également un intérêt marqué pour rejoindre ce projet.

La banque centrale européenne pourrait profiter de cette opportunité pour s’attribuer des missions autrefois réservées aux banques nationales (et aux banques commerciales), et impulser un transfert de souveraineté en particulier pour les paiements de détail. C’est une des raisons qui pousse de nombreuses banques à s’investir auprès de la BCE dans le développement d’une CBDC européenne. Le statut juridique des CBDC permet toutefois de se protéger en partie d’une prise en main par les entreprises privées, qui sont tenues d’utiliser les cryptomonnaies soumises à des contraintes particulières.

Une concurrence internationale

En Asie, en Amérique du Nord, en Europe et jusqu’en Afrique, 131 pays ont lancé des recherches et des projets pilotes sur des monnaies numériques. Ces projets sont menés en grande majorité par les institutions bancaires et sont appuyés par leurs gouvernements respectifs. En développant ces solutions, les États ne laissent pas la place à des ingérences étrangères. Ainsi, les enjeux de sécurité, de confidentialité et de souveraineté restent entre les mains de ces acteurs.

Pour l’Union Européenne, demeurer compétitive sur la scène internationale des crypto-monnaies exige une réponse efficace au regard des bouleversements monétaires, et des nouveaux rapports de force. En développant sa propre monnaie numérique, l’Europe renforce sa position dans le domaine financier, protège sa souveraineté monétaire et stimule l’innovation technologique.

Tom Charpentier

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