Il va s’agir ici de présenter de manière pratique certains aspects du comportement que les entreprises françaises devraient adopter ou garder à l’esprit pour mener au mieux leurs opérations d’exportation vers l’Iran (et certainement pour bien d’autres, voire tous), sous le prisme de l’Intelligence économique.
Il convient, dans un premier temps, de définir l’expression récente de Due Diligence. Elle doit être appréhendée comme l’ensemble des recherches opérées sur une personne physique ou morale permettant l’extraction d’un ensemble d’informations. Ce cheminement a pour dessein d’orienter et de sécuriser au maximum la prise de décision d’une entité qui souhaite créer un lien économique, juridique ou politique avec la personne physique ou morale concernée.
Le spectre des risques pouvant toucher une entreprise est large, mais nous pouvons souligner ici les principaux :
- Le risque financier : s’assurer de la situation financière de l’acheteur et des modalités de recours en cas d’insolvabilité.
- Le risque politique : lorsque les parties prenantes de la société sont politiquement exposées et/ou lorsque le pouvoir politique en place peut a un impact négatif sur la relation avec l’acteur local, etc.
- Le risque juridique : les sanctions européennes liées à la non-prolifération nucléaire de l’Iran, le programme balistique, le programme anti-corruption de la banque mondiale etc. Cela peut aussi concerner le risque d’une atteinte à la propriété intellectuelle de l’entreprise, comme par exemple le fait qu’il n’existe pas les mêmes standards de droit de propriété intellectuelle en Iran par rapport à la France.
- Le risque réputationnel : voir la réputation de son entreprise atteinte par des pratiques locales différentes des standards occidentaux, comme une atteinte avérée aux Droits de l’Homme, etc.
L’environnement iranien
Trois différents types d’acteurs économiques sont à distinguer en Iran : les acteurs privés, publics et parapublics. Ces deux derniers types d’acteurs doivent susciter des mesures de précaution chez les entrepreneurs car ce sont eux qui sont les plus visés par des sanctions internationales. Or, à eux deux, ces acteurs représentent entre 70% et 80% de l’économie iranienne. Ainsi, on estime que le domaine privé ne représente seulement que 20% à 30% de l’économie nationale. A ce titre, le Président de la République islamique d’Iran, membre de la branche des réformateurs, Hassan Rohani, tente de mettre en place une politique visant à réduire cette proportion.
Le secteur parapublic est notamment incarné par les fondations iraniennes appelées Bonyads, globalement contrôlées par les Pasdarans (corps des gardiens de la révolution islamique, considérés par la communauté internationale comme étant l’outil de répression interne au régime, et d’influence externe, comme en Syrie avec sa branch Al-Qods) et les Mollahs (clergé). Ces branches parapubliques et publiques disposent de réseaux considérables d’acteurs et d’individus présents dans la plupart des secteurs économiques. Par conséquent, ce sont celles qui possèdent le plus grand poids dans l’économie iranienne.
Commercer avec ces acteurs peut donc entraîner une série de sanctions à l’égard d’une entreprise étrangère qui ne serait pas assez prudente. Mais ce n’est pas tout. En effet, il faut appliquer la même rigueur à l’ensemble des acteurs connexes, c’est-à-dire du fournisseur à l’acheteur ou à l’utilisateur final.
Au cours d’une opération, l’état de santé de l’entreprise iranienne avec laquelle traiter peut être une information difficile à vérifier. Quelques sites internet de l’administration publique locale peuvent être très utiles au cours de cette démarche. En revanche, ils seront rarement suffisants. Cette enquête financière est d’autant plus importante que les offres de protection des échanges internationaux sont encore limitées (assurance-crédit, etc). Elle implique enfin la question du transfert des fonds qui ne dépend encore que de banques de second rang en France ou de circuits complexes susceptibles de décourager les entreprises les moins aguerries à l’export. À noter que depuis 2002, il existe la loi FIPPA relative à l’Encouragement et à la Protection de l’Investissement Étranger qui permet une protection des investissements étrangers selon des modalités fixées par la loi.
De plus, l’analyse d’un futur partenaire économique iranien doit aussi se faire dans le rapport qu’entretient celui-ci avec le monde politique local. D’éventuelles tensions entre opposition et majorité politique peuvent venir perturber une relation d’affaire. Un futur partenaire peut aussi être exposé à un risque politique fort selon son secteur d’activité, son rapport à l’administration, au politique, à la justice, etc. Ainsi, une entreprise privée faisant concurrence à une entreprise publique ou parapublique peut être plus exposée au risque politique local.
Malgré la levée partielle des sanctions par la signature du traité JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) entre l’Iran et les P5+1 (France, Allemagne, Russie, Etats-Unis, Angleterre, l’Union Européenne et l’Iran) en juillet 2015, une série de sanctions subsiste et doit être prise en compte par les entreprises qui veulent s’implanter en Iran.
Les sources de ces sanctions sont diverses : on les retrouve dans le droit communautaire européen, onusien, français mais aussi états-unien. Les justifications sont de deux ordres : les sanctions liées à la question de la prolifération nucléaire ou d’armements et les sanctions liées à la répression locale. Aussi, le but recherché consiste à ne pas financer les Pasdarans, afin de ne pas accroître leurs forces de manière directe ou indirecte.
Cette liste ne fait pas non plus abstraction des éventuelles sanctions internationales liées aux organisations terroristes, criminelles, etc., par d’autres pays qui peuvent se retourner contre l’entreprise commerçant avec un acteur sous sanction.
En outre, le droit américain doit toujours être considéré avec beaucoup d’attention par les acteurs étrangers. L’extraterritorialité des normes américaines entre dans la thématique de la Compliance mais aussi de Due Diligence. Il est primordial de prendre connaissance de la liste des personnes visées par les sanctions américaines, si l’on ne veut pas être poursuivi. De même, il est impossible d’inclure une entité ou un ressortissant états-unien à la chaîne de transaction ou de décision interne à l’entreprise.
Du point de vue de la protection du patrimoine intellectuel, bien que l’Iran ait ratifié des conventions majeures en la matière, la réalité demeure que l’entreprise qui exporte ses produits sur le marché iranien est fortement exposée au risque de contrefaçon ou de compétition avec des produits contrefaits.
Enfin, il faut pouvoir prendre en compte le contexte lié à l’environnement social du futur partenaire : les droits sociaux ne sont pas les mêmes qu’en France. Cela laisse donc apparaître un risque d’atteinte à l’image de l’entreprise étrangère, du fait de pratiques sociales, économiques, pénales qui se trouveraient en dehors du cadre légal ou para-légal occidental. Le droit local applicable est parfois loin des standards liés à la responsabilité sociétale des entreprises comme l’on peut trouver en France.
L’obtention d’informations fiables
C’est tout l’enjeu de la Due Diligence : rechercher et trouver des informations fiables sur des futurs partenaires. Cependant, cette tâche n’est pas aisée en Iran car il n’y a pas les mêmes exigences françaises sur la communication des éléments extra-financiers. Il existe tout de même une série d’obligations concernant les entreprises cotées en bourse. De même, il est possible de trouver des informations sur les entreprises via les sites internet de l’administration iranienne.
Concernant la qualité des sources, le manque de fiabilité des informations disponibles en sources ouvertes est patent. Garder une trace de l’ensemble des recherches permettra de justifier votre bonne foi auprès de l’État français au cas où, malgré vos recherches et une validation de la fiabilité de l’entité iranienne, celle-ci serait sous le coup de sanctions internationales encore existantes ou dans l’éventualité d’enquêtes futures.
La Due Diligence a une obligation de moyen, l’entreprise doit être en mesure de montrer qu’elle a mis en place les ressources financières et humaines nécessaires à cette opération, et cela même si rien n’a été détecté pendant l’opération.
Plusieurs techniques sont susceptibles d’aider à recouper les informations, le but étant, in fine, d’avoir les informations les plus fiables et les plus précises qui permettraient une prise de décision la plus sécurisée possible :
- Afin de favoriser la pluralité des sources d’informations, il peut être très intéressant, toute proportion gardée, de s’adresser aux acteurs ayant déjà eu affaire avec l’opérateur iranien en question. Cela permet de recueillir les témoignages de ces entreprises et de pouvoir prendre en compte des éventuelles difficultés liées à l’entité visée.
- Pareillement, recourir à une source locale (avocats, consultants, etc.), déconnectée d’un futur partenaire va accentuer cette pluralité de sources. Elle est même absolument nécessaire. À noter que les informations en possession des banques avec lesquelles une entreprise souhaite traiter ou un assureur peuvent être utiles et surtout fiables, mais parfois incomplètes.
- Se rendre directement sur place peut rassurer ou prendre conscience de l’environnement de lequel s’inscrit un échange.
- Faire ses recherches en anglais et en farsi, notamment sur les sites d’informations iraniens et les réseaux sociaux utilisés localement (Linkedin, Instagram, Telegram, etc.)
- Enfin, il peut être pertinent de prendre contact avec la Direction Générale du Trésor afin d’obtenir un avis, éventuellement une aide, dans les recherches.
Commercer avec l’Iran n’est pas une mission impossible, mais l’entreprise désireuse d’atteindre ce marché doit opérer sous le prisme de la bonne intelligence, incluant de fait une opération de Due Diligence.
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