L’Iran est depuis quelques années l’un des points d’inquiétude de la scène internationale à cause notamment de son programme nucléaire. Toutefois, cette inquiétude et les tensions internationales se sont relativement apaisées grâce à la signature, le 14 juillet 2015, de l’accord de Vienne. Pourtant, aujourd’hui encore cet accord fait beaucoup parler de lui surtout avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. En effet, le Président américain demande aux autres membres signataires de l’accord de Vienne sa révision en y intégrant d’autres mesures telles que le programme balistique, au risque de voir son pays se désengager.
Le long cheminement de l’Iran pour se doter d’un programme nucléaire
Le programme nucléaire iranien date de 1950. Tenu secret jusqu’en 2002, des images satellites révèlent la découverte, sur les sites de Natanz et Arak, d’uranium et d’installations d’eau lourde. Leur découverte confirme les craintes de la communauté internationale et notamment celles des Etats-Unis et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) : l’Iran tente de se doter en catimini « des armes de destruction massive ». Il n’en fallait pas autant aux Américains qui cherchaient des motifs (qu’ils soient vrais ou non) pour rentrer en guerre avec l’Iran, comme ils l’ont fait avec l’Irak.
En outre, pour dissiper tout doute sur l’intention du pays de se doter de l’arme atomique, l’Iran coopère avec la communauté internationale en permettant à l’AIEA d’effectuer des inspections. C’est ce qu’affirme en 2006 Ali Asghar Soltanieh : “L'Iran est prêt à poursuivre pleinement sa coopération avec l'AIEA. Nous sommes prêts à dissiper toutes les imprécisions touchant à notre dossier nucléaire”.
De son côté, le Pakistan n’est pas sans reste : doté lui-même de l’arme atomique, le pays se positionne comme celui qui vend la technologie nucléaire aux pays islamiques. Ainsi, c’est naturellement que l’Iran se tourne vers lui lorsqu'il décide de développer son programme nucléaire. Cependant, pourquoi la République islamique souhaite-t-elle se doter de l’arme nucléaire? La réponse vient de la guerre Iran-Irak de 1980-1988. En 1980, l’Irak attaque l’Iran dans le but de stopper Téhéran et de mettre fin à la puissance de la République islamique. Le pays irakien est à la fois soutenu indirectement par les États-Unis et la France qui assistent à cette attaque sans ciller et directement par les autres pays de la région tels qu’Israël et l’Arabie Saoudite.
Le point culminant de cette guerre apparaît lorsque l’Irak décide d’user des armes chimiques sans que la communauté internationale ne réagisse. S’en est trop pour l’Iran qui se rend compte qu’il ne peut compter que sur lui-même pour équilibrer le rapport de force. Outre la guerre avec l’Irak, la montée en puissance militaire d’Israël dans la zone conforte également la volonté de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire car Téhéran et ses alliés se sentent de plus en plus menacés et souhaitent étendre leur influence au Proche-Orient et dans le monde. Mais cette volonté est stoppée par les puissances internationales qui voient la menace que pourrait devenir l’Iran, si ce dernier se dotait de l’arme nucléaire. Ainsi, les États-Unis donnent l’accord à la France d’apporter un soutien aérien à l’armée de Saddam Hussein afin d’affaiblir le régime iranien et précipiter sa chute. En parallèle, est signé l’accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien.
L’accord de Vienne ou Joint Comprehensive Plan Of Action
Après des discussions difficiles qui ont duré près de douze ans, les négociations sur le nucléaire iranien trouvent leur aboutissement avec la signature du Joint Comprehensive Plan Of Action (JCPOA), à Vienne, le 14 juillet 2015. Trois objectifs se dégagent de cet accord :
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La limitation du programme nucléaire iranien durant une décennie ;
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La levée des sanctions économiques ;
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Le renforcement des contrôles.
Ainsi, cet accord lève les sanctions contre Téhéran, à condition que celui-ci abandonne son projet de programme nucléaire à capacité militaire en se consacrant uniquement sur le nucléaire civil. A ce titre, le JCPOA permet de faire un grand pas vers l’amélioration des relations entre l’Iran et les pays signataires : le P5+1 « USA, France, Chine, Russie, Grande-Bretagne et l’Allemagne ». L'événement marque un temps d’arrêt des tensions dans les relations internationales. Mais cet accord est à nouveau menacé par le refus de Donald Trump de le re-certifier.
Comprendre ce qui implique la non-certification de l’accord par les États-Unis.
La mise en place de l’Iran Nuclear Agreement Review Act
En parallèle de la signature des accords de Vienne, le Congrès des Etats-Unis vote la même année l’Iran Nuclear Agreement Review Act (INARA). Cette loi donne le droit au Président américain de certifier ou pas le JCPOA en fonction du respect des conditions énumérées dans ladite loi, et ce, tous les 90 jours. Selon l’INARA, pour que le JCPOA soit certifié par le Président, il faut que :
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L'Iran respecte l’accord totalement et dans la transparence ;
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L'Iran n’est pas responsable de violations matérielles du texte ;
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L'Iran n’a pas développé son programme nucléaire en vue de se doter de l’arme atomique ;
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L'accord de 2015 reste vital pour l’intérêt et la sécurité nationaux des États-Unis.
Si l’une de ces conditions n’est pas respectée, alors le Président américain a les pleins pouvoirs pour ne pas certifier l’accord de Vienne. Aussi, la volonté des Etats-Unis de mettre fin aux ambitions de l’Iran de se doter de l’arme atomique est mise en exergue par l’ex-président Barack Obama, lequel a déclaré en visite en Israël le 20 mars 2013 vouloir “mettre tous les moyens en oeuvre pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire”.
Depuis la mise en place de l’INARA, l’accord a été certifié à deux reprises par Donald Trump, le 18 avril et le 17 juillet 2016. Mais pourquoi Trump refuse-t-il de certifier à nouveau le JCPOA, le 12 janvier 2018 ? La réponse est que le Président américain affirme, contrairement à ses conseillers et la majorité du Congrès, que la République islamique a un rôle déstabilisateur au Moyen-Orient et qu’elle ne respecte pas le quatrième point de l’INARA. De plus, avec les essais balistiques que l’Iran a effectués, le Président Trump pense que l’esprit de l’accord ne tient plus même si le volet balistique ne fait pas partie de la JCPOA. Outre le volet nucléaire, il pointe du doigt la question d’un changement de régime et accuse l’Iran de soutenir le régime syrien de Bachar Al Assad ainsi que le Hezbollah libanais et la rébellion houthie au Yémen. En outre, les États-Unis demandent à l’AIEA de renforcer ou pousser les inspections.
Par ailleurs, cette décision de Donald Trump est vivement encouragée par l’Arabie Saoudite et l’État hébreu qui, à travers son premier ministre Benyamin Nétanyahou, affirme à propos de l’accord de Vienne : « Fix it or nix it », c’est à dire “Réparez-le ou rejetez-le !”. En effet, Israël s’inquiète de la montée en puissance de l’Iran et œuvre à stopper cette ascendance de Téhéran.
Que devient l’accord de Vienne en cas de non-certification ? La validité de l’accord de Vienne dépendra du Congrès américain. En effet, le Congrès doit décider sous 60 jours de restaurer ou pas les sanctions à l’encontre de Téhéran. S’il décide de restaurer les sanctions alors les Etats-Unis sortent de l’accord ; sinon, le JCPOA continue mais l’Etat américain demandera un renforcement de l’accord de Vienne.
La réaction iranienne
Les réactions ne se font pas attendre après cette annonce de non-certification de l’accord de Vienne par Trump. L’Iran, le principal concerné, réagit via son Président Hassan Rohani, lequel a déclaré à la télévision : « Aujourd’hui les États-Unis sont plus seuls que jamais dans leurs complots contre le peuple iranien ». Aussi, il affirme l’incapacité du Président américain à revenir sur un accord multilatéral ainsi que son ignorance du droit international et des relations internationales.
L'Iran ne compte pas être celui qui remettra en cause cet accord, même s’il est poussé à la faute par Donald Trump, puisqu’avec la levée des suspensions l’économie de la République islamique se porte “mieux”. Hassan Rohani dénonce les allégations de Donald Trump sur le non-respect dudit accord et le qualifie de « voyou » qui vient d’arriver sur la scène internationale. D’ailleurs, le pays continue son opération de lobbying afin de s’assurer du soutien de l’Union Européenne (UE) et poursuivre la mise en application de l’accord de Vienne.
La position des autres membres de l’accord
Malgré la position de refus de Donald Trump, toutes les autres parties signataires affichent une volonté commune de maintenir cet accord historique. Les capitales occidentales, telles que Paris, Berlin ou Londres, ne tardent pas à réagir. En effet, Emmanuel Macron, Theresa May et Angela Merkel annoncent leur soutien total à la poursuite de cet accord nucléaire d’une seule voix dans un communiqué dédié. De plus, cet accord est en adéquation avec les intérêts nationaux et notamment économiques de ces puissances. La position des puissances européennes est également réitérée par l’UE à travers Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne, en ces termes : « Cet accord n'est pas un accord bilatéral, ce n'est pas un traité international. (…) A ma connaissance, aucun pays au monde ne peut mettre fin seul à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a été adoptée, et adoptée à l'unanimité ». Aussi ajoute-t-elle que : « Le président des États-Unis a beaucoup de pouvoirs, pas celui-là ». Le Président de la République française ajoute même qu’il serait dangereux de mettre fin à cet accord sans rien proposer en échange.
La décision et la position de l’UE sont claires : soutenir l’application de l’accord de Vienne et montrer que « Nul n’est au-dessus des résolutions des Nations Unies et des accords internationaux ». Dans un communiqué du 11 janvier 2018, Emmanuel Macron a demandé à son homologue américain de se conformer à l’accord signé à Vienne en 2015 sur le nucléaire iranien. De leur côté, la Russie et la Chine s’opposent également à cette décision de Trump.
L’intérêt de l’Union européenne et des autres pays signataires de l’accord sur le nucléaire iranien
Federica Mogherini a déclaré que « l'Union européenne va continuer à œuvrer pour le respect et l'application de cet accord extrêmement important, principalement pour notre sécurité » et affirme par la même occasion que la signature de cet accord montre que la diplomatie fonctionne. Quant aux autres puissances (Chine et Russie), si l’intérêt est bien évidemment d’ordre sécuritaire, comme pour l’UE, il est également et surtout une démonstration de force d’opposition aux Etats-Unis.
Aussi, des intérêts économiques se cachent derrière cette stratégie des pays signataires notamment concernant le groupe français Total et l’entreprise China National Petroleum Corporation (CNPC). En effet, après la levée des sanctions contre l’Iran, l’entreprise française à signer un accord de principe pour le développement du champ gazier de Pars Sud. De son côté, la CNPC tire également bénéfice de cette situation en partageant le champ gazier avec Total et la compagnie Iranienne Petropars. Il faut dire que l’Iran dispose de la deuxième réserve mondiale de gaz.
L'accord sur le nucléaire iranien est dans une phase critique depuis l’ultimatum lancé le 12 janvier 2018 aux pays européens par le Président Trump qui souhaite durcir l’accord. Or, dans un monde multipolaire, le non-respect de cet accord par les États-Unis engendrera un déséquilibre dans les relations internationales et enclenchera une course à l’armement nucléaire. Les pays comme la Corée du Sud et le Japon, mais également la Corée du Nord, souhaiteront également se procurer l’arme nucléaire. L’un des enjeux de la poursuite de cet accord est donc de ramener l’Iran sur la table de négociations et mettre fin à son programme nucléaire pour ne pas inciter les autres pays demandeurs à le faire. Cependant, comment avoir une stratégie crédible vis-à-vis de la Corée du Nord si Donald Trump se comporte de manière aussi imprévisible avec l’Iran ?
En somme, l’accord sur le nucléaire iranien, après douze ans de négociation, constitue à n’en point douter le meilleur accord qui puisse être signé même si le programme balistique est une de ses faiblesses. Par ailleurs, peut-on empêcher l’Iran de mettre en place un tel programme afin d’assurer sa défense ? Que se passera-t-il après 2025, date qui marque la fin de l’accord ? Le dossier du nucléaire iranien n’a pas encore fini de faire parler de lui : l’ultimatum de Trump laisse une fenêtre de 120 jours aux autres membres signataires afin de trouver une entente avec les États-Unis qui, le cas échéant, pourront sortir de l’accord de Vienne et remettre au goût du jour les sanctions contre le régime iranien.
Loukman Konaté