Pour sécuriser son approvisionnement en uranium, Orano signait en octobre dernier un partenariat avec la Mongolie. Le rapprochement critique de la Russie et de la Chine avec les fournisseurs historiques d’uranium français menacent directement le système énergétique de la France fondé sur le nucléaire.
En octobre 2023, le groupe Orano (anciennement Areva) et la société d’investissements publics LLC Erdenes Mongol ont signé un accord à long terme d’exploitation de la mine d’uranium de Zuuvch-Ovoo, dans le désert de Gobi en Mongolie. Ce contrat fait suite à la rencontre entre les présidents français et mongol, et vise à diversifier les sources d’approvisionnement en uranium de la France suite au coup d’Etat du Niger.
L’uranium, une ressource stratégique
L’énergie nucléaire est un avantage stratégique crucial pour la France. Selon le ministère de l’Environnement, le nucléaire représente 75% du mix électrique français, soit un peu plus de 40% de son mix énergétique. Alors que l’Europe est en proie à la crise énergétique, le nucléaire permet à la France d’assurer une partie de son autonomie énergétique, et de bénéficier d’une source d’énergie propre et compétitive à l’export.
Pour faire fonctionner les 56 réacteurs nucléaires en activité, la France a besoin de 8 000 à 9 000 tonnes d’uranium naturel par an. L’uranium naturel est extrait sous forme de poudre jaune qui est ensuite transmise dans une usine de conversion chimique. Il est ensuite transformé en tétrafluorure d’uranium (UF4), puis en hexafluorure d’uranium (UF6). L’UF6 est alors enrichi à la centrifugeuse avant d’être transformé en oxyde d’uranium, le combustible final destiné aux centrales nucléaires. 4 étapes sont donc nécessaires dans le processus de transformation de l’uranium : l’extraction, la transformation chimique, l’enrichissement et enfin la fabrication du combustible. Si Orano maîtrise totalement ou en partie chacune des 3 dernières étapes, la France n’extrait plus d’uranium naturel sur son sol depuis 2001. Par conséquent, la France est entièrement dépendante de l’étranger concernant l’approvisionnement en uranium naturel. Si être souverain serait de choisir ses dépendances, la concentration des sources d’approvisionnement en Uranium autour de quelques pays questionne la pérennité du système énergétique français.
Les risques liés à la concentration des sources d’approvisionnement en uranium
Sur les dix dernières années, la France a importé 88 200 tonnes d’uranium naturel. Selon le comité Euratom, ces importations proviennent majoritairement de 4 pays : le Kazakhstan (environ 27%), le Niger (environ 20%), l’Ouzbékistan (environ 19%) et la Namibie (environ 15%). Ainsi, 80% de l’extraction provient de 4 pays. L’approvisionnement en uranium est donc extrêmement concentré. Une crise survenant dans l’un de ces pays menacerait considérablement la filière nucléaire.
A titre d’exemple, le cas du Niger permet de cerner les risques induits par cette concentration. Le coup d’État survenu cet été a déjà un impact significatif sur la chaîne d’approvisionnement. Sous la pression des sanctions imposées par la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la fermeture des frontières du Niger, Orano a dû mettre provisoirement fin à la production d’uranium sur place en raison d’une pénurie de matières premières. De plus, l’exportation de l’uranium depuis le Niger vers la France passe par le Bénin, un pays touché par les troubles politiques de son voisin, ce qui perturbe d’autant plus la chaîne logistique de l’uranium. Si le groupe assure que la situation n’est pas menaçante à court terme, il risque d’être exposé durablement à des risques multiples comme la nationalisation, ou l’expropriation selon l’évolution de la situation.
Il convient également de rappeler que les militaires français luttant contre le djihadisme au Sahel ont dû quitter le Niger récemment. Leur départ accroît le risque sécuritaire pour Orano qui pourrait être victime d’attaques terroristes ou de pillages. Ce serait alors 20% de l’approvisionnement français en uranium qui se trouverait directement menacé.
L’approvisionnement en uranium face à la concurrence sino-russe
Au-delà des risques induits par la concentration des sources d’approvisionnement, il est important de noter que les quatre pays cités ci-dessus font partie intégrante de la sphère d’influence politique et économique de la Russie mais aussi de la Chine. Ex-pays de l’Union Soviétique, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan se situent dans l’étranger proche de la Russie. Au-delà, de la proximité politique et culturelle, les deux puissances asiatiques sont déjà implantées dans ces deux pays dont les productions d’uranium ne cessent de progresser. A titre d’exemple, le Kazakhstan, première réserve mondiale en uranium, vient de céder 50% de l’une de ses plus importantes mines à Rosatom. Les entreprises français comme Orano sont également concurrencées par la China National Nuclear Corporation, qui a déjà massivement investi dans l’uranium kazakh.
En Afrique, le Niger et la Namibie sont également sous influence sino-russe. La crise nigérienne a déjà mis en lumière les opérations d’influence de la Russie contre la France, tandis que l’arrivée au pouvoir d’une faction pro-russe fait planer une menace sécuritaire et politique sur Orano. Le Groupe français subit également la concurrence chinoise. Premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine échange un accès aux matières premières en échange de crédits bancaires ou de constructions d’infrastructures. Sa stratégie de sécurisation de l’uranium repose sur deux piliers : le Niger et la Namibie. C’est dans ce cadre qu’elle a investi 480 millions de dollars au Niger dans l’exploration et l’exploitation d’uranium. La Chine est également le second partenaire commercial de la Namibie, et a investi plus de 2 milliards de dollars dans la mine d’Husab, première source d’uranium en Afrique.
Une faiblesse en cas de crise géopolitiques
L’approvisionnement de la France en uranium est également soumis à la menace d’une guerre économique et informationnelle dans laquelle la Chine et la Russie déploient des stratégies d’influence et de contre influence à l’égard de la France, comme les Russes ont pu le faire au Niger par exemple. La France a subi de nombreux revers diplomatiques ces dernières années comme au Mali, au Burkina, en Centrafrique ou au Maghreb. Le risque d’une déconvenue similaire en Namibie n’est donc pas à écarter compte-tenu du ressentiment antifrançais et des ingérences de ses adversaires stratégiques.
D’un point de vue géopolitique, la dépendance à ces quatre pays (Kazakhstan, Ouzbékistan, Namibie, Niger) pose la question de la sécurité de nos approvisionnements en cas de conflits avec la Chine et la Russie. Un scénario que l’on ne peut pas exclure compte-tenu de la tension diplomatique et militaire ambiante.
Face à leurs puissants voisins, comment réagiraient le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ? Prendraient-ils le risque de s’opposer à la Russie ou à la Chine pour défendre leurs intérêts commerciaux, ou bien s’aligneraient-ils sous la contrainte ? En cas de déstabilisation de la région ou de crise politico-militaire avec la Russie, pratiquement la moitié de notre approvisionnement en uranium se trouverait menacé. La même question se pose avec les pays africains. Alors que ces derniers sont alimentairement dépendants de la Russie, et financièrement dépendants de la Chine (la Chine détenant 20% de la dette africaine), les intérêts commerciaux avec la France pèseraient-ils bien lourd dans la balance des négociations ? La France ne peut se permettre d’attendre les réponses à ces questions.
Comment renforcer notre souveraineté énergétique ?
La stratégie d’approvisionnements français en uranium comporte un risque majeur : 40% de l’approvisionnement énergétique français est menacé en cas de crise géopolitique avec le monde russe ou chinois. Le contrat signé entre la France et la Mongolie répond à une contrainte d’approvisionnement de court terme. Cependant, la position géographique de la Mongolie à cheval entre la Chine et la Russie ne fait que renforcer notre dépendance à l’étranger proche Russe. Ainsi, d’autres stratégies de diversification doivent être envisagées afin de réduire le risque géopolitique de la dépendance.
Une première possibilité consiste à diversifier les sources d’uranium vers d’autres zones géographiques échappant à l’influence sino-russe. En s’appuyant sur la cartographie des réserves en uranium du CNRS, les Etats-Unis, le Canada, le Brésil et l’Australie (depuis laquelle la France importe déjà 10% de son uranium) peuvent être de nouveaux partenaires potentiels. Cela dit, cette option comporte la faiblesse de renforcer notre dépendance au monde anglo-saxon, et d’accroître considérablement les coûts de transport de l’uranium.
Une deuxième stratégie consiste à faire baisser la part du nucléaire dans le mixte énergétique français afin de réduire la dépendance à l’uranium. Cela réduirait néanmoins l’avantage stratégique que procure l’énergie nucléaire à la France, et nécessiterait de développer des sources d’énergies alternatives fossiles ou renouvelables, moins efficientes tant sur le plan économique qu’environnemental.
Finalement, la diversification des sources d’uranium met la France face à des dilemmes politico-économiques. Le manque de diversification menace l’autonomie énergétique française, à l’image des récents événements au Niger. Pour garantir sa souveraineté énergétique, la France pourrait miser sur des opérations d’influence, afin de contrer les ingérences étrangères et de promouvoir ses intérêts à l’étranger. C’est d’ailleurs dans ce sens que la revue de défense stratégique de 2022 a érigé l’influence comme la sixième fonction stratégique de la politique de défense française.
Théo Fery pour l’EGE Junior Conseil
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