Aujourd’hui, les équipes du Portail de l’IE rencontrent M. Alain ZABULON, directeur du management des risques et de la conformité au sein du Groupe ADP.
Présentation Groupe ADP :
Avec 119 pays desservis depuis Paris, 3 917 millions € de chiffre d'affaires consolidé, 165 compagnies aériennes, 228,2 millions de passagers et 26 aéroports dans le monde, le Groupe ADP est un des leaders mondiaux de la conception, de la construction et de l'exploitation d'aéroports.
(Crédits : Groupe ADP)
Présentation M. Alain ZABULON
Alain ZABULON, titulaire d'une maîtrise d'administration économique et sociale et ancien élève de l'ENA (1988), intègre le ministère de l'équipement en 1988 à sa sortie de l'ENA. Il a en charge la tutelle des organismes de logement social. En 1992, il intègre le corps des sous-préfets et occupe successivement plusieurs postes dans l'administration préfectorale jusqu'en février 2006, date de sa nomination au grade de préfet. Il occupe successivement les postes de préfet délégué à l'égalité des chances en Essonne, de préfet de la Corrèze, puis de préfet des Landes jusqu’en mai 2012, date à laquelle il rejoint le cabinet du Président de la République, François Hollande.
Il y occupe la fonction de directeur adjoint du cabinet, chargé des affaires intérieures puis en mai 2013, est nommé coordonnateur national du renseignement auprès du Président.
En juin 2015, il rejoint le groupe Aéroports de Paris en qualité de directeur de la sûreté, du management des risques et de la conformité.
P.IE. : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots quelles sont exactement vos attributions au sein du Groupe ADP ?
A. ZABULON : Mes attributions ont récemment changé. Avant le 1er juillet 2017, j’étais directeur de la sûreté et de la maîtrise des risques. Le volet sûreté comprend toutes les procédures réglementaires de sûreté aéroportuaires. La direction était en charge de veiller à la conformité réglementaire de nos procédures, de faire de l’anticipation par la veille technologique, de procéder à des benchmarck avec d’autres aéroports ainsi que d’assurer le financement de la sûreté grâce à taxe « aéroport » dédiée.
A côté du département sûreté, se situe la maîtrise des risques. Ce département a en charge la gestion de la cartographie des risques : tous les risques y sont inscrits, pas uniquement ceux liés à la sûreté mais bien ceux de l’ensemble du groupe, les filiales du groupe étant comprises. En tant qu’entreprise cotée en bourse, nous avons l’obligation d’avoir un document, actualisé chaque année, qui résume les risques stratégiques ainsi qu’une cotation de ces risques. Le secteur « maîtrise des risques » est également en charge du dispositif de contrôle interne pour mesurer la robustesse des processus. Elle gère également la gestion de crises par la création notamment de fiches-réflexes. Le fait que le groupe soit Opérateur d’Importance Vitale (OIV) nécessite la mise en place d’un plan de sûreté opérateur, de décliner Vigipirate en vue d’une mise en œuvre opérationnelle de la part des aéroports ainsi que des plans de protection particuliers et de définir les points d’importance vitale. La protection de l’information est également une part importante. Pour gérer les fuites d’information, un prestataire balaye Internet jour et nuit pour repérer les éventuelles fuites de documents d’ADP, fuites souvent effectuées par négligence. C’est aussi la mise en conformité du groupe avec le Règlement Général de Protection des Données (RGPD).
Au terme d'une réforme intervenue au 1er juillet 2017, toutes les procédures de sûreté aéroportuaire sont transférées à une direction des opérations aéroportuaires. Si ma direction s’est repositionnée sur la partie maîtrise des risques, les échanges avec la direction des opérations demeurent importants.
P.IE. : Vous sous-traitez une partie de vos activités, comme cité ci-dessus, pour gérer la fuite d’informations. Quels domaines de la sûreté aéroportuaire peuvent être délégués à des structures privées ?
A. ZABULON : Deux secteurs sont à différencier : le contrôle de sûreté, qui est déléguée à une structure privée, et le contrôle frontière, incombant à la puissance publique. En tant qu’exploitant aéroportuaire, les contrôles sûreté nous sont confiés par l’État, contrôles que nous sous-traitons à des entreprises de sécurité privées du type Brinks, ICTS, Securitas, etc. Celles-ci sont choisies à la suite d’un appel d’offres, avec mise en concurrence, et un cahier des charges très exigeant car ces entreprises sont chargées de mettre en œuvre les procédures de sûreté définies par la puissance publique. L’État délègue donc une mission de service public à ADP qui la fait mettre en œuvre par des entreprises privées de sécurité.
Pour la maîtrise des risques, nous avons différents prestataires permettant, par exemple, la détection de compromission d’informations ou encore le conseil et l’appui au contrôle interne. Il est important de dire qu’ADP n’a pas la religion de la sous-traitance : nous sous-traitons quand cela est nécessaire ; quand nous avons la compétence en interne, nous le faisons nous-mêmes, bien entendu.
P.IE. : Dans votre processus de recrutement (salarié et prestataire), comment le Groupe ADP manage-t-il les risques de sûreté ? Existent-ils des liens entre les services RH et Sûreté sur cette thématique ?
A. ZABULON : Comme je l'ai expliqué plus haut, dans le domaine de la sûreté, nous faisons appel à des entreprises sous-traitantes qui embauchent des salariés. Ces salariés doivent avoir la qualification d’agent de sûreté aéroportuaire, qualification reconnue par l’État et qui s’obtient au terme d’un cheminement exigeant. Pour suivre la formation, il faut, tout d’abord, un certificat d'aptitude professionnelle, délivré au terme d’une première enquête de police. Une fois le certificat accordé, l’agent doit se former durant plusieurs semaines qui lui permettront d’obtenir la qualification d’agent de sûreté aéroportuaire. Une fois la formation effectuée, la personne est candidate pour Orly, Roissy, Toulouse, Marseille, etc. Pour être accepté, il faut alors avoir le double agrément du préfet de département et du procureur de la République, qui s’obtient aux termes d’une nouvelle enquête de police.
Une fois embauché, l’agent de sûreté n’a pas accès à tout l’aéroport. Comme vous le savez, l’aéroport est constitué de deux parties : une partie ville en libre accès et une partie piste. Pour travailler dans cette seconde partie, il faut avoir une autorisation administrative, délivrée par le préfet et remise après une nouvelle enquête de police. Enfin, de manière régulière, les services de police peuvent effectuer des opérations de vérification avec des passages aux fichiers. Si le préfet estime qu’un agent ne répond plus aux exigences de sûreté, il peut lui retirer son habilitation ; le pouvoir de police administrative est à la main du préfet. Par cela, l’agrément lui est retiré et l’employé est alors immédiatement retiré de son poste. Cela n’entraîne pas la rupture du contrat de travail. L’employeur a l’obligation de le reclasser en dehors de la zone sensible de l’aéroport. S’il ne peut pas, le salarié peut perdre son emploi. Cette procédure s’applique aux 86 000 salariés détenteurs d’une habilitation dont 4 700 agents de sûreté aéroportuaires d'entreprises prestataires en plus des 300 agents de sûreté salariés d’ADP.
P.IE. : Quelles sont vos interactions avec les services de l’Etats (police aux frontières, douanes, gendarmerie, dispositif Sentinelle, etc.) et quel est leur rôle ?
A. ZABULON : Différents services étatiques interagissent avec nous. Le plus important numériquement, c’est la Police des Airs et des Frontières (PAF) qui est une direction de la Police Nationale. La mission de la PAF est double : le contrôle frontière et la surveillance ainsi que la protection des aérogares. Il y a également, dans le cadre du dispositif Vigipirate, des militaires de l’opération Sentinelle. Le dispositif a été mis à l’épreuve à Orly, en mars 2017, lors de l’attaque d'un individu, neutralisé sans qu’aucun dommage physique sur un civil ni un militaire n’ait eu lieu. Les douaniers, bien entendu, sont présents afin de contrôler les marchandises. De manière discrète, les services de renseignement sont aussi présents et leurs effectifs ont été renforcés sur Roissy. Ils ont pour mission la surveillance de la plateforme, mais également le repérage d’un certain nombre d’individus faisant l’objet d’une attention particulière des services de l’État. Enfin la gendarmerie est également présente par le biais de la Gendarmerie des Transports Aériens (GTA) qui est chargée de la police côté piste, du respect des règles de circulation par les personnels mais aussi de la vérification des habilitations, matérialisées par le port d'un badge rouge, qui les autorisent à être là où ils sont.
Pour conclure, j’ai habitude de dire que l’État nous contrôle et nous protège. Il est là pour contrôler toutes ces procédures de sûreté et peut d’ailleurs nous sanctionner en cas de manquement. Il nous protège car il assure notre protection et celle de nos usagers.
Pour Roissy, la coordination de ces différents services est confiée au préfet délégué aux Aéroports de Paris et qui, depuis début 2017, est placé sous l’autorité du préfet de police et non plus sous l’autorité du préfet de Seine-Saint-Denis comme auparavant. Depuis janvier 2018, il a aussi autorité sur Orly et Le Bourget. Cette réforme permettra de simplifier et d'améliorer la coordination des services de l'État placés sous une autorité unique. L’État porte une attention particulière à nos aéroports : le préfet de police accompagne cette réforme avec le déploiement de moyens humains plus importants dans les renseignements, dans la PAF, mais également en mettant à disposition des aéroports une police des taxis.
P.IE. : Existe-t-il un savoir-faire français en général, et d’ADP en particulier, dans le secteur de l’exploitation des plateformes aériennes ?
A. ZABULON : À l’évidence oui, il y a un savoir-faire français par le biais d’ADP. Notre groupe est le premier exploitant aéroportuaire au niveau national et un des plus importants au niveau de l’Union européenne et au niveau mondial. ADP peut concevoir, construire et gérer un aéroport. Nombre de pays font appel à nous pour cela : nous sommes, par exemple, présents au Moyen-Orient, en Turquie ou en Jordanie. Le transport aérien se développe très fortement à travers le monde car il est porté par le développement des classes moyennes. Un des signes d’appartenance à la classe moyenne est le goût du voyage ; en Asie, cette dynamique est très forte. C’est pourquoi en Chine, par exemple, la demande en infrastructures aéroportuaires est importante.
Une fois l’aéroport construit, plusieurs choix s’offrent au donneur d’ordre : soit il demande un aéroport clé en main, un autre acteur s’occupe alors de la gestion, soit nous pouvons entrer dans le capital de l’entreprise par prise de participation, soit on nous en confie la gestion. Cette politique raisonnée de diversification et ces prises de participations à l’international sont portées par une filiale dédiée, ADP international.
P.IE. : Avez-vous des concurrents ? Faites-vous face à des pays ou des entreprises agressives vis-à-vis de votre activité ?
A. ZABULON : On croit souvent qu’ADP est une entreprise de rente au motif que la loi nous a confié le monopole et l’exclusivité de gestion des grands aéroports franciliens. À cela s’ajoute le fait que les compagnies aériennes versent également une redevance pour utiliser nos infrastructures aéroportuaires. En réalité, le marché est très concurrentiel notamment celui de la correspondance. Vu de Pékin, quand on visite l’Europe, atterrir au Royaume-Uni, en Allemagne ou à Paris, c’est un peu équivalent. Si on veut attirer des clients et des touristes pour qu’ils fassent leurs correspondances dans nos aéroports et consomment dans nos commerces, il faut être attractif. Nous avons un hub à Roissy qui permet aux voyageurs d’avoir accès à environ 21 000 opportunités de connexion et de destinations hebdomadaires moyen-courriers en moins de deux heures. Sur ce type de prestations, nous sommes en concurrence avec d’autres aéroports européens comme Francfort, Amsterdam ou Londres.
Vous pourrez retrouver, jeudi prochain dans les « Jeudis du Risque », la deuxième partie de l’entretien portant sur les thèmes de l’aéroport du futur et des risques majeurs auxquels est exposé le Groupe ADP.
Propos recueillis par Julie Soulié et Pierre Lasry