Ce jeudi 29 février s’est tenu le 28e Jeudi de la Sécurité sur le thème « Intelligence économique : renforcer notre souveraineté et notre compétitivité ; vers une fin de la naïveté en temps de guerre économique ? ». L’occasion pour les intervenants d’insister sur la nécessité du renseignement d’affaires pour rester compétitif dans un contexte concurrentiel.
Organisé par S&D Magazine, le Jeudi de la Sécurité ciblait l’intelligence économique pour sa 28e édition ce jeudi 29 février 2024. Après la sortie d’un dossier spécial sur les ingérences étrangères, la sécurité et intelligence économique, les deux tables rondes ont abordé la souveraineté et la compétitivité des entreprises dans un contexte de guerre économique.
Regards croisés entre les porteurs des volets offensif et défensif de l’IE en France
Le contexte économique actuel est particulièrement agressif : le Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) a recensé 968 alertes de sécurité économique pour cette année 2023, soit 2,7 fois plus qu’à sa création en 2016. Menace économique, espionnage, infiltration, le directeur du service Joffrey Célestin-Urbain souligne l’intensification de la menace économique telle que répertoriée par l’Etat. La première mission du SISSE consiste à définir les entreprises jugées stratégiques, les technologies critiques et les laboratoires de recherche sensibles pour la souveraineté. Puis dès qu’une menace étrangère, une alerte caractérisée est détectée, le service garantit une unité de l’action, coordonnant la réponse de l’Etat. En cas d’attaque bien définie dont les bénéficiaires finaux sont traçables, « il n’y a pas de pudeur dans la réponse » affirme le SISSE, quand bien même les auteurs sont considérés comme des « amis ». Deux outils de riposte permettent de contrer ces menaces étrangères : le contrôle IEF, et la loi de blocage de 1968, renforcée. La gestion de 98 dossiers relatifs à la loi de blocage sur deux ans montre que « la France est capable de parler le langage de la souveraineté sans provoquer de conflits de normes avec l’autorité étrangère offensive ».
Jeoffrey Célestin-Urbain pointe un secteur nouvellement ciblé par ces problèmes de sécurité économique : l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation qui représente 14% des alertes caractérisées détectées, après la santé, les transports et le numérique. Cette nouvelle cible s’inscrit dans un contexte de rivalité technologique autour de l’IA, de la blockchain et du quantique. L’arsenal défensif est considérablement renforcé avec la création du SISSE en 2016, et le décret du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.
Dans un monde où la géopolitique met l’économie au pas, Jean-Baptiste Lemoyne revient sur sa volonté d’instaurer, avec sa collaboratrice Marie-Noëlle Lienemann, une stratégie nationale d’intelligence économique. Transverse, l’IE doit impliquer tous les acteurs ainsi qu’un sursaut des pouvoirs publics sur la démarche offensive, la competitive intelligence. Au-delà de l’Etat, il s’agit de sensibiliser les PME, ETI, chambres de commerce et d’industrie dans les territoires. A peine quatre régions intègrent aujourd’hui l’IE dans leur schéma de développement économique. Avant d’espérer l’adoption d’une politique nationale assumée d’intelligence économique, la démarche doit partir de la base : des entreprises intégrées dans les territoires et de sous-préfets destinés à développer l’IE dans chaque département. L’ancien ministre aujourd’hui sénateur appelle à la création d’un secrétariat général à Matignon pour garantir l’inter-ministérialité du sujet.
L’IE pour maitriser l’environnement économique de l’entreprise, vecteur d’opportunités
Pour François Jeanne-Beylot, « il faut arrêter de parler de risques mais d’opportunités ». Le président du SYNFIE explique qu’il faut enseigner l’IE de la bonne manière, ne pas chercher à calquer les modèles britanniques ou japonais et développer une culture française de l’IE. L’information est personnelle. En ce sens, la sensibilisation des entreprises doit se faire selon leur modèle propre, leur ADN. PDG de Ternwaves, Julie Duclercq a pu observer pendant 25 ans, aux Etats-Unis ou au Japon, les mesures de guerre économique affectant les entreprises. Le lancement de Ternwaves avec ses associés également sensibilisés à l’IE s’est ainsi accompagné d’un soutien du ministère des Armées à l’époque, pour ésquiver une attaque étrangère sur une subtilité du dépôt de brevet, spécifique au système juridique américain. Ternwaves, la DRSD et la DGSI ont alors collaboré pour déjouer la stratégie, qui a pu être détectée en amont grâce à cette sensibilisation.
Les entreprises sont sujettes à trois catégories de menaces selon Nicolas Houël, directeur du centre d’analyse économique et stratégique à la direction des Affaires publiques de Dassault Aviation : la fuite ou le vol de données, les ingérences économiques ou institutionnelles ainsi que l’attaque physique de l’entreprise. « Le renseignement d’affaires apporte alors une agilité et une hauteur de vue permettant de s’adapter rapidement à son environnement. L’IE évite d’être la cible de certaines situations par l’anticipation, permet de maitriser son environnement économique et de devenir plus compétitif. » L’intelligence économique permet alors de petites victoires grâce à une bonne gestion de l’information stratégique, faisant gagner des parts de marché. C’est pourquoi des entités comme le SYNFIE, ou l’IHEDN agissent pour rassembler et faire parler de l’IE, tenter de casser les cloisons séparant l’Etat et les entreprises ou leurs responsables IE des cabinets d’IE. Maï-Linh Camus a notamment pu développer le rôle important des cabinets de conseil en IE pour faire prendre conscience aux décideurs de leur besoin en intelligence économique, bien souvent sous-évalué.
« L’intelligence économique, c’est le seul moyen d’arriver à vendre dans un contexte concurrentiel »
Nicolas Houël, directeur du centre d’analyse économique et stratégique à la direction des Affaires publiques de Dassault Aviation
Si l’IE peine à se développer pleinement en France, c’est peut-être à cause de l’absence de culture du renseignement, contrairement aux Britanniques ou Japonais. La culture ancestrale jacobine du pouvoir très centralisé, où l’information remonte toujours mais ne descend jamais, assimile l’information à un instrument de pouvoir. Or c’est une incongruité pour l’intelligence économique, puisque considérer l’information comme un outil de pouvoir empêche les gens de partager cette information dans un cercle de confiance. La connaissance partagée pourra alors bénéficier à l’autre pour créer un tissu économique national renforcé, et converger naturellement vers la compétitivité et la souveraineté.
Agathe Bodelot pour le Portail de l’IE
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