Le géant minier Rio Tinto obtient gain de cause dans le cadre d’un procès sur les sanctions russes

Après l’instauration de sanctions australiennes liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Rio Tinto a légalement pris le contrôle de la raffinerie Queensland Alumina, éliminant l’accès de son concurrent Rusal à ses parts. Cette démarche, soutenue par une nouvelle légalité, a initié une bataille judiciaire entre les deux titans du marché de l’alumine, mettant en évidence les défis du droit international en contexte de sanctions.

Les sanctions internationales cherchant à affaiblir l’économie russe

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a exacerbé les tensions internationales, entraînant une réaction en chaîne de sanctions économiques par les pays et les blocs occidentaux. Ces mesures visaient à isoler la Russie sur la scène internationale, en limitant ses capacités économiques pour mener à bien ses actions militaires. En réponse directe à l’agression militaire, les sanctions ont ciblé divers secteurs clés de l’économie russe, y compris le secteur stratégique de l’aluminium, essentiel à la fois pour les revenus d’exportation de la Russie et pour l’industrie mondiale de la construction et de la fabrication.

L’Australie, alignée sur les actions de ses alliés internationaux, a mis en place des sanctions spécifiques visant à restreindre les échanges commerciaux avec la Russie. Parmi ces mesures, l’interdiction d’exporter de l’alumine et d’autres matières premières essentielles à la production d’aluminium en Russie se voulait un coup direct aux capacités de production d’aluminium de la Russie, un secteur clé pour l’économie russe. L’objectif de ces sanctions australiennes était double : réduire les ressources financières disponibles pour soutenir l’effort de guerre russe et exercer une pression économique pour encourager un changement dans la conduite de la politique étrangère russe.

Rio Tinto et Rusal : géants de l’aluminium

Rio Tinto, géant minier mondial d’origine anglo-australienne, joue un rôle prépondérant dans l’industrie de l’alumine et de l’aluminium. L’entreprise se distingue par son expertise dans l’extraction de la bauxite, la production d’alumine et la fabrication d’aluminium, matériaux essentiels à de nombreuses industries, de l’automobile à la construction. Rio Tinto détient 80% de la raffinerie Queensland Alumina Limited (QAL), l’une des plus grandes et des plus efficaces installations de ce type au monde, située en Australie. Cette raffinerie est cruciale pour la production d’alumine, ingrédient fondamental dans la fabrication d’aluminium.

United Company Rusal, de son côté, est un acteur majeur de l’industrie de l’aluminium à l’échelle globale, originaire de Russie. Connue pour être l’un des plus grands producteurs d’aluminium hors Chine, Rusal joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement de l’aluminium sur les marchés internationaux. La société détient une participation de 20% dans QAL, témoignant de son engagement dans la chaîne de valeur de l’aluminium, depuis l’extraction de la bauxite jusqu’à la production d’alumine et d’aluminium.

La décision stratégique de Rio Tinto et la riposte de Rusal sur le terrain juridique

Dans le cadre des sanctions imposées par l’Australie suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Rio Tinto a pris la décision significative de suspendre la fourniture d’alumine à Rusal. Cette mesure, prise en conformité avec les directives internationales, visait à restreindre les capacités opérationnelles de Rusal en limitant son accès à une ressource cruciale pour la production d’aluminium.

En réaction, Rusal a lancé une procédure judiciaire contre Rio Tinto, cherchant à contester cette suspension et à rétablir son accès à l’alumine de la raffinerie Queensland Alumina Limited (QAL). Cette démarche visait non seulement à défendre ses intérêts commerciaux et maintenir ses opérations globales, mais également à questionner la légitimité et l’application des sanctions au regard des accords contractuels existants, soulignant un conflit entre les obligations contractuelles et les exigences des sanctions internationales.

La défense de Rio Tinto, basée sur la conformité des sanctions occidentales

La défense de Rio Tinto s’est fondée sur la notion d’illégalité supervenante ainsi que sur la clause de force majeure inscrite dans leurs accords commerciaux. L’illégalité supervenante fait référence aux situations où des actions légales deviennent illégales à cause de nouvelles lois ou modifications réglementaires.

Rio Tinto a soutenu que les sanctions imposées par l’Australie en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie rendaient illégale la poursuite de la fourniture d’alumine à Rusal, invoquant ainsi une impossibilité légale de respecter les engagements contractuels existants. Du point de vue juridique, l’action de Rio Tinto est une mise en conformité aux nouvelles réglementations. L’invocation de l’illégalité supervenante illustre une manière astucieuse d’ajuster ses engagements sans encourir de responsabilité juridique. Ce stratagème leur permet également d’optimiser leur rendement financier, car en coupant l’accès de Rusal à sa part de 20% de la production d’alumine, Rio Tinto augmente potentiellement ses propres bénéfices.

Le tribunal donne raison à Rio Tinto

La cour a examiné ces arguments en tenant compte des dispositions spécifiques des sanctions, qui visaient à limiter les bénéfices économiques pouvant soutenir l’effort de guerre russe, y compris à travers des transactions commerciales apparemment neutres. L’interprétation de l’illégalité supervenante a permis de reconnaître que les actions de Rio Tinto étaient non seulement conformes, mais nécessaires dans le cadre légal imposé par les sanctions.

Quant à la clause de force majeure, la cour a reconnu que l’imposition de sanctions constituait un événement imprévisible et extérieur, qui empêchait l’exécution des obligations contractuelles de manière légitime. Cela a permis à Rio Tinto de suspendre ses livraisons sans être en faute contractuelle.

La conclusion du litige entre Rusal et Rio Tinto révèle les défis des entreprises face aux sanctions internationales. Rusal, exprimant sa déception face au verdict, envisage une possible contestation, tout en soulignant que cette issue n’affecte pas ses opérations mondiales ni sa participation dans l’actif. La firme continue d’adapter sa stratégie, comme en témoigne son acquisition en 2023 d’une part de 30% dans une raffinerie d’alumine chinoise, visant à renforcer l’approvisionnement depuis ses actifs en Russie, Irlande, Jamaïque et Guinée. De leurs côtés, Rio Tinto et QAL s’engagent à opérer sous le régime des sanctions tant qu’il perdurera.

Arnaud Bossy Casteret pour le club droit de l’AEGE

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