Le 26 juin dernier, les sénateurs Florence Blatrix Contat et Pascal Allizard présentaient leur rapport d’information sur l’euro numérique à la commission des affaires européennes. Si cette future capacité de paiement dématérialisée permettrait de réduire les dépendances européennes dans le domaine des paiements, les rapporteurs soulignent les incertitudes autour de la protection des données des utilisateurs, de la stabilité du modèle économique ou encore de la répartition des rôles entre la BCE et les colégislateurs.
En 2021, l’Eurosystème initiait le projet d’euro numérique, monnaie virtuelle complémentaire des espèces, qui permettrait une fluidification des échanges financiers reposant sur un modèle de finance décentralisée. Public, l’euro numérique serait émis par la Banque centrale européenne (BCE), avec « un objectif politique et non pas économique. L’euro numérique est non pas une réponse à des défaillances de marché, mais à des dépendances » explique Pascal Allizard.
Une réponse politique à la dépendance extra-européenne dans le domaine des paiements
Aujourd’hui, « aucune solution de paiement paneuropéenne n’existe » explique Pascal Allizard. 70% des paiements par carte bancaire s’effectuent par le duopole américain constitué de Visa et Mastercard. Le paiement mobile est également dominé par des acteurs extra-européens, tels qu’ApplePay, SamsungPay ou encore GooglePay.
En parallèle, les offres de paiement privées, autonomes des banques, se multiplient à travers les cryptomonnaies, s’affranchissant du pouvoir d’Etat. L’euro numérique permettrait de résorber cette dépendance aux acteurs financiers extra-européens, alimentée par l’émergence des nouvelles monnaies numériques de banque centrale (MNBC).
Trois recommandations principales : politique monétaire, confidentialité et modèle économique
« La BCE, faisant valoir son indépendance et sa compétence exclusive en matière de politique monétaire, tient à garder la main non seulement sur la décision d’émission, mais également sur la détermination de certains paramètres. Plusieurs États font valoir, à l’inverse, la nécessité de fonder démocratiquement ces décisions, via une intervention des colégislateurs. […] L’euro numérique est une question de souveraineté. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur la répartition des rôles entre les colégislateurs et la BCE. »
Pascal Allizard, rapporteur du Rapport d’information n° 708 (2023-2024) sur l’euro numérique co-écrit avec Florence Blatrix Contat, déposé le 26 juin 2024
Les rapporteurs recommandent ainsi une implication des Etats membres dans la détermination des modalités de l’euro numérique. Au-delà d’influencer les processus décisionnel et normatif, les colégislateurs seraient le garde-fou d’un potentiel transfert de souveraineté des banques nationales à la BCE.
Sujets de vigilance majeur, la protection des données et l’impact du modèle économique de l’euro numérique sur la stabilité financière sont également encore incertains. L’instauration d’un plafond de détention et la non-rémunération de l’euro numérique devraient néanmoins limiter l’usage de cette monnaie dématérialisée comme réserve de valeur. « Avec un plafond de détention d’euros numériques fixé à 3 000 euros, la Fédération bancaire française (FBF) estime à environ 13 % la part de fuite des dépôts des clients de détail de la zone euro » explique Florence Blatrix Contat. Une information importante lorsqu’elle est corrélée au montant d’épargne privée dans l’Union européenne, qui s’élève à 33 000 milliards d’euros.
Au-delà de ces points de contrôle, l’euro numérique semble incarne une opportunité de s’affranchir des dépendances de paiement extra-européennes. Il pourrait circuler à l’horizon 2027-2028, et permettre à l’UE de s’imposer sur la scène internationale des cryptomonnaies.
Agathe Bodelot
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