Colonel de gendarmerie depuis 2004, Alain Faugeras a d’abord œuvré comme chef de la section « gestion civile des crises » à la Représentation permanente de la France auprès de l’UE à Bruxelles. Il a également participé à la Force de Mise en Œuvre (IFOR) et à la Force de Stabilisation (SFOR) en Bosnie-Herzégovine, avant de prendre la tête de la mission d’assistance frontalière de l’Union européenne à Rafah (EUBAM Rafah) du 25 novembre 2008 au 1er juillet 2012. Après un mandat de Directeur de site en charge de la sûreté aéroportuaire de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle (CDG), mission effectuée pour le compte de l’International Consultants on Targeted Security (ICTS), Alain Faugeras est nommé Directeur Sécurité et Prévention de la ville de Colombes en 2014. Il occupe encore cette fonction aujourd’hui.
Intervenant dans un contexte de profonde mutation sécuritaire, notamment en raison des attentats qui ont touché la France depuis 2015, la publication en septembre 2018 du rapport parlementaire D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale , coécrit par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauverguen, ambitionne et projette les évolutions de la sécurité publique et privée de demain.
Dans le cadre de sa démarche de mise en valeur des métiers de la sureté et de la sécurité, le club sureté de l'AEGE a rencontré Alain Faugeras en sa qualité de Directeur Sécurité et Prévention, afin de recueillir son avis sur le sujet.
Vous êtes Directeur de la Sécurité et de la Prévention de la la ville de Colombes. Comment s’articule la politique de sécurité et de prévention, dans une ville comme la vôtre ?
Il faut avant tout bien comprendre que chaque commune a une vision de la sécurité différente et donc une police municipale différente en fonction :
- de son maire ;
- de son Directeur Sécurité & Prévention ;
- de son Directeur ou chef de service de la police municipale ;
- du besoin sécuritaire de la ville ;
À Colombes, je me suis directement rapproché de la police municipale dans mon rôle de Directeur Sécurité & Prévention, en raison de mon expérience en gendarmerie. J’y ai recréé une « compagnie de gendarmerie » à ma manière. En termes d’organisation, cela se traduit par le développement d’une brigade de proximité, d’une brigade motorisée, des groupes de surveillance et d’intervention et des équipes cynophiles. De fait, chaque Directeur Sécurité & Prévention a un rôle et des moyens différents.
Pouvez-vous nous dire quelles sont vos missions ?
Le rapport parlementaire, à travers la proposition 12, insiste sur l’importance de diffuser la culture de la sécurité dans toute la société. Mon rôle au sein de la commune de Colombes s’inscrit dans cette démarche.
Sur l’aspect sécurité, nous avons évoqué qu’elle était exercée à la discrétion du Directeur Sécurité & Prévention, en raison de son expérience.
Pour ce qui est de la prévention, nous menons au quotidien de nombreuses actions. D’abord, nous contribuons à développer l’enseignement citoyen auprès des écoles et des collèges, au travers de programmes variés tels que « Moi, jeune citoyen » ou des exercices de sécurité routière. Nous faisons passer le permis piéton aux enfants également. Ce volet citoyen s’inscrit de manière plus élargie dans le cadre de travaux que nous effectuons en collaboration avec la SNCF et la RATP, notamment pour des exercices de constat des incivilités.
Ensuite, notre action est dirigée vers les différents acteurs sociaux de la commune afin de développer les relations entre les associations et les différents partenaires (bailleurs sociaux, directeurs d’école, etc.).
Enfin, nous coordonnons et assurons la mise en place des travaux d’intérêt général (TIG) réalisés sur la commune.
Je me dois de préciser que la police municipale a certes moins de moyens judiciaires, mais parfois plus de moyens financiers et matériels que la Police nationale, son budget étant directement alloué par la municipalité. Le Directeur Sécurité & Prévention prend également l’initiative de mettre en place des dispositifs (par exemple : dispositif de type Vigipirate au marché de Noël) en avertissant ses homologues de la Police nationale, et à la préfecture.
Quelles principales difficultés sont inhérentes à votre fonction, en comparaison d’un Directeur sûreté dans le privé ?
Les deux fonctions sont éminemment différentes. Dans ses propositions 14 et 15, le rapport propose de « revaloriser le rôle et le positionnement des Directeurs de la Sécurité dans les entreprises », ainsi que « d’encourager une démarche d’assermentation des personnels accomplissant des missions de sécurité ».
Néanmoins, les Directeurs Sécurité & Prévention à la tête des grandes villes disposant d’une police municipale (50 000 habitants) sont oubliés. Ils n’ont ni le grade ni l’accréditation de leurs équivalents dans la Police nationale. Il conviendrait d’officialiser leur nomination et de les faire assermenter également.
La fonction de Directeur Sécurité & Prévention est instable, car elle vient supplanter celle du chef de service de la Police municipale. Pour autant, il n’a pas de grade, pas d’assermentation.
Ensuite, il est directement associé au maire sous lequel il sert. En raison de cette association, il est tributaire de l’alternance politique.
Le caractère politique de cette fonction s’illustre notamment dans la difficulté d’inscrire sur le long terme les actions mises en place : à Colombes, le précédent maire avait fait désarmer la police municipale et enlever la vidéosurveillance. C’est Madame le maire, Nicole Goutea, qui a réintroduit la police municipale armée et remis en place la vidéo-protection
Disposez-vous d’un centre de surveillance urbain (CSU) ? Si oui, est-ce qu’un déport d’image est effectif au sein d’un centre de commandement départemental ?
Oui, nous disposons d’un CSU, mais il n’y a pas de déport automatique, seulement sur demande. Les images sont stockées un certain nombre de jours. En cas de délit ou crime, un officier de police judiciaire (OPJ) est informé et ce dernier peut, par réquisition, faire extraire les images souhaitées précisément.
Le rapport parlementaire propose d’encourager l’utilisation de dispositifs privés de vidéo-protection, notamment en prenant en compte les caméras des bailleurs sociaux dans les CSU proposition 61. Cette préconisation est malheureusement difficilement applicable en raison de la loi actuelle, qui réserve aux bailleurs la possibilité d’ouvrir aux CSU l’accès aux images uniquement lorsque ces derniers le jugent utile.
La ville de Colombes est concernée par le dispositif d’expérimentation d’une police de sécurité du quotidien (PSQ), notamment depuis ce mois de janvier 2019. Comment cela fait-il évoluer votre politique de proximité ? Des moyens supplémentaires seront-ils alloués ?
La police de sécurité du quotidien (PSQ) illustre l’aspiration de nos concitoyens à plus de « proximité ». Les effectifs, notamment de la Police nationale, sont en décalage par rapport à ces besoins. La population souhaite d’abord une présence, et une présence quotidienne. À titre d’exemple, à Colombes, la Police-secours est de plus en plus assurée par la police municipale.
Il convient de replacer ces éléments dans leur contexte : avant les attentats de 2015, et les suivants de 2016 et 2017, le préfet de police ne voulait pas que la police municipale prenne la place de la Police nationale. Cet état d’esprit général a désormais changé.
En revanche, en sus des 10 % d’effectifs promis avec la PSQ, on sera davantage proches d’une baisse de 10 % en raison du manque d’effectif dans d’autres unités.
Dans leur rapport de septembre 2018, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauverge proposent « l’armement obligatoire des polices municipales sauf décision motivée du maire » (proposition 31). C’est une revendication forte des syndicats de police municipale souvent écartée lors des différents travaux. Qu’en pensez-vous ?
J’ai effectivement été amené à me prononcer sur cette proposition : un policier municipal doit pouvoir se défendre lui-même avant de défendre les autres. Sa première action est de rassurer, à la fois par sa présence et par son armement.
Le rapport parlementaire propose la création d’une école nationale de la police municipale (idée déjà proposée lors d’un rapport d’information sénatorial en 2012). Les parlementaires semblent s’inspirer du modèle de la Police nationale (école nationale, armement, centre de vidéosurveillance commun, etc.). La police municipale étant aujourd’hui la troisième force de sécurité du pays, pensez-vous que nous glissons d’un continuum de sécurité vers une sécurité globale ?
À Colombes, ma fierté est d’avoir optimisé la coordination des forces de la police municipale et de la Police nationale via une convention de coordination : il s’agit de faciliter le dialogue avec le procureur de la République et les OPJ (notamment les commissaires).
Cela permet aux hommes de la police municipale, non pas d’augmenter leurs prérogatives, mais d’avoir la protection juridique nécessaire afin d’expliquer le cas échéant, leur présence en intervention, sur certains lieux. Il demeure toutefois plusieurs problèmes structurels au sein de la police municipale.
Au niveau du recrutement tout d’abord : avec les statuts actuels, n’importe qui peut intégrer la police municipale.
Au niveau de la formation ensuite : celle-ci est actuellement placée sous l’égide des centres de formation du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), dans le cadre de formations initiales obligatoires d’une durée de 6 mois pour les personnels de la police municipale. Ces centres étant financés par les cotisations des municipalités, des dérives sont possibles dans l’enseignement dispensé, et celui-ci est semble-t-il hétérogène en fonction des centres.
Également, cette formation initiale est sanctionnée par une attestation finale de suivi et non pas une attestation finale de réussite. C’est in fine le maire qui a la libre appréciation pour tamponner l’arrêté de titularisation du policier municipal.
Je suis donc favorable à la création d’une école nationale de la police municipale (proposition 24). On pourrait également envisager un enseignement à tronc commun, dispensé dans les écoles de la Gendarmerie nationale et de la Police nationale où les policiers municipaux seraient conviés à être formés.
Je vais néanmoins à l’encontre du rapport parlementaire quand il choisit de ne pas faire évoluer la qualification judiciaire des policiers municipaux (proposition 33). Actuellement, les policiers municipaux relèvent de la qualification « d’agents de police judiciaire adjoints » (APJ21).
Or, ses missions quotidiennes font qu’il devrait être « agent de police judiciaire » (APJ20). À titre d’exemple, l’APJA ne peut, par l’intermédiaire d’un procès-verbal, que constater les contraventions. Pour ce qui est des délits, il ne peut le faire que par un rapport, et en aucun cas ne peut procéder à des actes d’enquête. Autant de tâches qui pourraient soulager les OPJ.
J’ai toutefois conscience que ce changement de qualification entraînerait une modification du cadre d’emploi des agents de police municipale, qui en grande partie relèvent de la catégorie C. Le rapport parlementaire souhaite justement entamer une réflexion sur la revalorisation des titres et grades dans la police municipale (proposition 27).
Je propose donc d’attribuer la qualité d’OPJ (art.16 du Code de procédure pénale) au Directeur ou chef de service de police municipale en excluant les crimes et certains délits, et d’attribuer la qualité d’APJ aux brigadiers-chefs principaux, chefs de patrouilles.
Dans le cadre d’une mise en place d’une sécurité globale, il convient de faire bouger les lignes.
On évoque les prérogatives des policiers municipaux. Le secteur de la sécurité privée est régi par une instance de contrôle, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Qu’en est-il de la police municipale ?
C’est en effet un problème supplémentaire qu’il convient d’évoquer : le contrôle des polices municipales est régi par l’article L.513-1 du Code de la sécurité intérieure qui délègue ce contrôle à la commission consultative des polices municipales et in fine à l’Inspection générale de l’administration (IGA). Il n’y a pour autant aucun organisme dédié au contrôle de la police municipale.
J’appuie donc tout à fait la proposition des députés Thourot et Fauvergue de créer un dispositif effectif de contrôle des polices municipales (proposition 42).
Néanmoins, je me dois de préciser que nos activités sont suivies constamment par le maire, notamment à la mairie de Colombes.
Une dernière question : si vous deviez donner un conseil à un jeune prenant votre fonction ?
Être sensible à tout, à l’ensemble des acteurs en lien avec la profession. Être présent sur tous les fronts.
Club Sûreté de l'AEGE