Emergence d’un acteur sur la scène vidéoludique : EpicGames défie Steam

Le marché vidéoludique, secteur trop souvent négligé, ne cesse de croître depuis le début des années 2000. Lourd de ses 140 milliards de dollars de revenus pour l’année 2018, dépassant les industries musicales et cinématographiques réunies, l’industrie du jeu vidéo est en constante évolution : réalité virtuelle, augmentée, jeux mobiles, microtransactions, streaming en ligne, etc.

Avec notamment la récente implication de Google sur le marché du jeu en streaming (catalogue de jeux et machines mises à disposition en ligne contre un abonnement mensuel), il devient difficile de sous-estimer ce secteur. Et quand bien même cette nouvelle a secoué autant le monde vidéoludique que le monde du cyber en général, cela n’a pas tant marqué les esprits. C’est en effet un bras de fer opposant Epic Games (Unreal Engine, Fortnite) à Steam (Valve, Counter Strike) qui fait parler de lui dans les forums consacrés à l’univers vidéoludique.

Une concurrence à priori négligeable, mais bruyante

En effet, voilà déjà 3 mois qu’Epic Games, plateforme de téléchargement de l’entreprise du même nom, connu pour le développement du jeu à succès Fortnite, a réussi à signer l’exclusivité de nombreux jeux à succès sur sa plateforme, notamment Metro Exodus, Borderlands 3, The Division 2… Jusqu’à présent, Steam, la plateforme de téléchargement de jeux de l’entreprise américaine Valve, était l’incontournable étape de tout développeur souhaitant voir son jeu vendu sur PC.

Aujourd’hui, Epic Games conteste l’écrasant monopole de Steam. Ce n’est pourtant pas pour le plus grand plaisir des joueurs, comme on a pu le voir à chaque annonce d’exclusivité temporaire sur la plateforme d’Epic. Contrairement à ce que la logique économique libérale voudrait, la concurrence est très mal perçue par les consommateurs, habitués à passer par la plateforme de Valve pour télécharger et jouer à leurs jeux PC favoris. D’aucuns se plaignent du manque de fonctionnalités sur la plateforme, relativement récente, d’autres débattent sur la répartition des revenus engrangés dans ce secteur, entre le développeur, le publieur et le distributeur. En somme, les consommateurs se saisissent de la question.

Face à cet immense vague de critiques, Epic Games a multiplié les annonces pour défendre sa nouvelle politique de développement. Les premiers messages de l’entreprise américaine ont d’abord cherché à rassurer les acheteurs réticents à passer sur la nouvelle plateforme : détail du plan de développement, négation des allégations d’espionnage chinois, motivations et ambitions de l’équipe, etc. Multipliant les messages sur les raisons qui les ont poussés à faire concurrence à Steam, presque directement en dialogue avec les consommateurs agacés par ces vagues d’exclusivités négociées par la récente plateforme.  

Les critiques ne se tarissant pas, la direction d’Epic Games a voulu répondre à la grogne des consommateurs en lançant à l’attention de son concurrent, des bravades en appel à la générosité de Steam. « Si Steam distribue 88% de ses revenus aux développeurs et publieurs, nous cesserons de négocier des exclusivités » écrivait, par exemple, Tim Sweeney sur Twitter. De la sorte, la direction d’Epic légitime sa prise de position dans le marché, et parvient également à pointer du doigt Steam qui profite de sa position de monopole pour redistribuer moins de ses revenus. En effet, Steam ne distribue que 70% des revenus totaux générés sur sa plateforme.

De son côté, Steam a préféré ne pas répondre aux ultimatums de son nouveau concurrent. Cependant, on a pu voir de nouveaux évènements accabler Epic Games Store. D’après un article du journal américain Polygon, « une douzaine d’employés et ex-employés » de la société ont dénoncé les conditions de travail du studio. Les conditions de travail dans l’industrie vidéoludiques sont parfois rudes, et il arrive parfois qu’une poignée d’employés et d’anciens employés se réunissent pour dénoncer cette situation.

La question qui devrait pourtant être soulevée d’emblée reste : pourquoi donc Epic Games s’attaque-t-il à Steam, leader incontesté du jeu PC ? Pourquoi ne pas s’attaquer à un de ses concurrents plus « directs », comme Good Old Games (CD Project), Uplay (Ubisoft), ou encore Origin (Electronic Arts) ? L’Américain Steam est en effet, et ce depuis une quinzaine d’années, en situation de quasi-monopole dans ce secteur. Et tandis que ces acteurs bien plus conséquents ne cherchent même pas à concurrencer Steam, le nouveau venu s’est lancé dans cette entreprise visiblement irréalisable.  

Epic Games, cheval de Troie de l’industrie vidéoludique chinoise ?

Or, Epic Games a commencé à opérer son virage concurrentiel dès lors que Tencent, géant de la télécommunication et du jeu-vidéo chinois, acquit 40% des parts de la société américaine pour le pécule de 330 millions de dollars. Cet afflux de capitaux aurait pu permettre à la société de publier de nouveaux jeux, ou bien encore de fournir de nouveaux contenus pour sa licence phare, « Fortnite ». Tim Sweeney, le président d’Epic Games se réjouissait d’ailleurs de l’entrée du géant vidéoludique dans le capital de l’entreprise, y voyant une porte d’entrée pour ses jeux sur le marché chinois. Or il semble que ça soit tout l’inverse qui se produisit.

En effet, avec l’arrivée de Tencent au capital de l’entreprise, le géant chinois cherche à stimuler la concurrence sur un secteur aux rapports de forces cristallisés autour du monopole de Steam. En attaquant de front le géant vidéoludique PC, Tencent, par le biais d’Epic Games, cherche à affaiblir la position de Steam, pour permettre à sa plateforme « We Game » de mieux pénétrer un marché dominé par le géant américain. Plateforme qui a d’ailleurs été récemment lancée en Occident, et compte proposer, tout comme Google, un service de jeu en streaming par abonnement.

Nul ne sait ce que prépare Tencent à l’aide de sa double présence en Occident désormais qu’il y est installé. Reste également à voir ce que se prépare à répondre Steam, ou encore Google, qui s’est récemment lancé dans le jeu vidéo. Quoi qu’il en soit, l’industrie vidéoludique, plus importante que celles du cinéma et de la musique mises ensemble, n’est plus à négliger. Les géants chinois et américains en prennent désormais bonne note, adoptant des mesures propres à l’intelligence économique, qui n’étaient jusque-là que très rarement exploitées dans le secteur.