Le réchauffement climatique contraint le gouvernement canadien à repenser la vision de sa défense. Le Canada, qui dispose du plus long littoral au monde, a publié en avril dernier une nouvelle stratégie de défense nommée « Notre Nord, fort et libre ». Le rapport souligne que, bien que le changement climatique soit un enjeu mondial, ses conséquences se manifestent de manière particulièrement aiguë dans l’Arctique canadien, en passe de devenir une importante route commerciale. « Défendre l’Arctique, c’est affirmer la souveraineté du Canada », qui compte renforcer ses capacités militaires dans la région en s’équipant auprès d’industries d’armement étrangères… et peut être bien auprès de la BITD française.
Réchauffement climatique et recomposition géopolitique
En avril 2024, le gouvernement canadien a publié une nouvelle stratégie de défense, visant à répondre aux nouvelles contraintes causées par le réchauffement climatique. Ce réchauffement rapide, quatre fois plus élevé que la moyenne mondiale, suscite de vives préoccupations chez les autorités, qui doivent affronter ces menaces dans des conditions climatiques extrêmes et avec des infrastructures encore peu développées. Cette nouvelle doctrine, nommée « Notre Nord, fort et libre », rappelle l’importance de la défense des territoires du nord, qui abritent de nombreuses ressources naturelles, et qui pourraient d’ici 2050 devenir la route maritime la plus rapide entre l’Europe et l’Asie de l’Est. Dans ce contexte, le Canada se voit contraint de moderniser ses capacités de défense afin d’assurer sa souveraineté et de répondre à cette nouvelle réalité géopolitique. Pour Ottawa, la ligne semble claire : « Défendre l’Arctique, c’est affirmer la souveraineté du Canada. Pour ce faire, nous devons adopter une nouvelle approche qui améliore et modernise nos défenses dans la région. »
En effet, le rapport souligne d’autant plus que l’accessibilité croissante de la zone arctique canadienne suscite la convoitise des puissances étrangères. Il cible tout particulièrement la Russie et la Chine, qui intensifient leurs activités militaires et scientifiques dans la région. L’armée canadienne recense une hausse des activités de cartographie, et de collecte de données topologiques d’acteurs russes et chinois dans cette zone encore peu exploitée.
Vers un renforcement capacitaire
Pour faire face à cette nouvelle dynamique régionale, le Canada a décidé de procéder à un renforcement des capacités militaires dans la zone. Parmi les projets annoncés, le gouvernement canadien prévoit d’établir une nouvelle capacité de production de munitions d’artillerie sur son territoire, tout en augmentant sa réserve stratégique de munitions pour mieux se préparer aux éventualités futures.
En parallèle, Ottawa prévoit de lancer des appels d’offres pour l’acquisition de plusieurs types de matériel militaire étranger. Cela inclut l’achat d’hélicoptères maritimes capables de mener des opérations de surveillance et de lutte anti-sous-marine, ainsi que de nouveaux patrouilleurs pour renforcer la sécurité des eaux territoriales. Le Canada compte également se doter de stations terrestres de satellite afin d’assurer des capacités de communication et de renseignement optimales. Pour les opérations en terrains extrêmes, le pays souhaite acquérir des véhicules spécifiquement conçus pour évoluer dans un climat arctique. Du côté des armements, l’Armée de terre souhaite se doter de missiles longue portée pouvant être lancés depuis des aéronefs ou des plateformes maritimes. La défense aérienne ne sera pas en reste, avec l’acquisition de systèmes de défense basés au sol et d’avions de détection avancée pour surveiller l’espace aérien canadien. Enfin, une modernisation du parc de chars et de véhicules blindés légers est à l’étude, tout comme l’achat de drones de surveillance et de frappe pour élargir les capacités de projection de puissance à longue distance.
Opportunités pour la BITD française
Les ambitions canadiennes de renouveler et d’adapter ses capacités militaires dans le Grand Nord pourraient représenter une opportunité intéressante pour la BITD (Base Industrielle Technologique de Défense) française.
Dans le domaine des hélicoptères navals, le NH90, développé par NHIndustries, est un appareil qui a déjà fait ses preuves au sein de nombreuses marines européennes. Doté de capacités de lutte anti-sous-marine et d’actions en haute mer, il pourrait s’inscrire dans le cadre des missions de la Marine royale canadienne. En parallèle, la flotte de patrouilleurs canadiens, qui nécessite une modernisation, pourrait bénéficier de l’expertise de Naval Group. Par exemple, la classe Gowind semble convenir aux besoins canadiens.
Sur le front de la défense terrestre, où le Canada cherche à se doter de nouveaux véhicules capables de résister aux conditions climatiques extrêmes, le constructeur français Arquus dispose de modèles comme le Sherpa Light. Conçu pour évoluer sur des terrains particulièrement exigeants, ce véhicule tout-terrain pourrait correspondre aux exigences des forces canadiennes souhaitant accroître leurs opérations dans la toundra et sur les terrains gelés du Nord.
Pour les besoins de frappe, le fleuron français MBDA pourrait également se positionner avec ses missiles longue (type SCALP) et moyenne portée (type MMP). Quant au système de défense SAMP/T Mamba, développé par Thales et MBDA, il représente une capacité éprouvée pour la protection contre les menaces aériennes. Enfin, les besoins canadiens en matière de surveillance pourraient trouver un écho favorable du côté de Safran, qui développe le drone Patroller, conçu pour des missions de reconnaissance longue distance dans des environnements hostiles.
La question des sous-marins
Toujours dans le cadre de sa nouvelle stratégie de défense, le Canada s’engage résolument dans le renouvellement et l’expansion de sa flotte de sous-marins, un projet essentiel pour la Marine royale canadienne afin de maintenir sa posture de dissuasion sur ses trois côtes. Le ministre canadien de la Défense, Bill Blair, a souligné que l’acquisition de douze nouveaux sous-marins à propulsion conventionnelle, capables de naviguer sous la glace, permettra non seulement de détecter discrètement les menaces maritimes, mais aussi de projeter la puissance canadienne loin de ses côtes. Le renouvellement est d’autant plus urgent que la marine canadienne ne compte actuellement que quatre sous-marins de la classe Victoria, datant des années 2000, qui deviennent obsolètes et coûteux à entretenir.
Naval Group, fort de ses récents succès aux Pays-Bas et en Indonésie, serait certainement en mesure de répondre aux besoins du Canada. Le Barracuda, dans sa dernière version soumise aux Néerlandais, pourrait intéresser Ottawa.
Une compétition mondiale, et surtout américaine
Avec ces diverses capacités, la France pourrait se positionner comme un partenaire solide pour le Canada, en accompagnant son objectif de sécuriser l’Arctique. Lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron au Canada le 26 septembre dernier, Justin Trudeau a d’ailleurs réaffirmé la volonté du gouvernement canadien de travailler avec Paris sur les questions de défense.
Néanmoins, les récents déboires liés au contrat des sous-marins australiens forcent à avancer avec prudence. La compétition internationale pour ce type de contrat est rude, et beaucoup d’acteurs saisiront l’opportunité. Dans le cadre d’un appel d’offres pour l’achat de sous-marins, on peut imaginer que les constructeurs japonais, coréens, allemands, suédois, britanniques et espagnols seront de sérieux concurrents à Naval Group.
Aussi, il faudra suivre avec attention le comportement des Etats-Unis. En effet, la doctrine “Notre Nord, fort et libre” insiste sur l’importance du partenariat américain pour le Canada, soulignant la nécessité de contribuer à la défense de l’ensemble du continent nord-américain. On peut donc imaginer que la coopération avec les Etats-Unis sera prioritaire, qu’elle ne se limitera pas aux seuls accords politiques, et qu’elle entraînera également une coopération industrielle découlant sur de l’achat d’armements. Alliés et fournisseurs historiques du Canada, les États-Unis font également partie du « Groupe des cinq » (Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, États-Unis et Canada) avec lequel le Canada a annoncé, dans sa nouvelle doctrine, qu’il participerait activement.
Cependant, les difficultés que rencontrent actuellement les constructeurs américains à honorer leurs livraisons à l’US Navy, ajouté aux engagements pris pour fournir des sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie, pourraient représenter une opportunité pour Naval Group. En effet, un récent rapport du congrès des États-Unis s’inquiète de l’accumulation d’importants retards de l’industrie navale américaine dans plusieurs programmes majeurs, notamment pour la construction des sous-marins des classes Virginia et Columbia, ainsi que pour le porte-avions USS Enterprise, troisième de la classe Gerald Ford. Plus globalement, le cas des surcoûts du programme F-35 montre que les difficultés ne se cantonnent pas uniquement à l’industrie navale américaine. C’est l’ensemble de l’industrie de défense des États-Unis qui doit faire face à des retards importants et à des dépassements budgétaires. Dans ce contexte, la BITD française pourrait s’affirmer comme une alternative crédible.
Thomas Dereux
Pour aller plus loin :