Le développement de TSMC en Europe, une opportunité pour la France ? 

Alors que son bénéfice bondit de plus de 50% au troisième trimestre, Taiwan Semiconductor Manufacturing Co (TSMC) envisage de construire de nouvelles usines en Europe. Porté par forte demande en IA, le leader mondial des semi-conducteurs affiche une volonté d’expansion internationale depuis le chantier de Dresde. Une opportunité pour la France ? 

Bientôt de nouvelles usines TSMC en Europe ?

Le 14 octobre 2024, le ministre taïwanais des Sciences et Technologies, Wu Cheng-wen, a annoncé que Taiwan Semiconductor Manufacturing Co (TSMC) envisageait de construire de nouvelles usines en Europe, confirmant ainsi sa stratégie d’expansion internationale. Bien que l’information ne soit pas officiellement confirmée, elle souligne la volonté de l’entreprise taïwanaise de diversifier ses sites de production, comme en témoignent déjà l’ouverture d’une usine au Japon et la construction de trois unités aux États-Unis. Si l’emplacement exact reste encore à déterminer, cette initiative représente une opportunité pour la France de consolider sa souveraineté et d’accroître son influence dans le domaine des semi-conducteurs et de l’intelligence artificielle. 

Pour le moment, la France ne semble pas envisagée par TSMC, même si celui-ci n’a pas encore arrêté sa décision concernant son expansion en Europe. Deux options sont sur la table : étendre son site existant à Dresde, bénéficiant du réseau de sous-traitants déjà en place, ou choisir une implantation dans un autre pays. Ce choix pourrait être influencé par la possibilité d’obtenir des subventions publiques. Pour l’usine de Dresde, dont l’investissement s’élève à 10 milliards d’euros, 50 % est financé par Berlin et par de grands groupes industriels européens, notamment Bosch, Infineon et NXP. Ces subventions sont devenues vitales pour les fabricants de semi-conducteurs, qui tirent parti de la concurrence entre pays pour les attirer. 

Contribution à la stratégie européenne d’autonomie numérique

Du point de vue européen, l’arrivée de TSMC est une excellente nouvelle. La réputation mondiale de l’entreprise, leader du marché qui vient d’annoncer un chiffre d’affaires de 23,6 milliards de dollars au titre du troisième semestre 2024, apportera des opportunités attractives aux entreprises locales tout en contribuant à l’un des objectifs majeurs du Chips Act : augmenter la part de l’Europe dans une industrie stratégique. Le Chips Act, vaste plan de plusieurs dizaines de milliards d’euros piloté par l’Union européenne, a initialement été conçu pour répondre à la pénurie de composants provoquée par la pandémie de Covid-19. Désormais, il constitue un pilier de la stratégie économique européenne, visant à renforcer l’industrie des semi-conducteurs grâce à des subventions et à une simplification réglementaire. L’objectif est d’atteindre 20 % du marché mondial d’ici 2030. En accueillant une nouvelle usine de TSMC, la France contribuerait à cette stratégie d’autonomie et consoliderait sa position comme acteur clé de l’industrie des semi-conducteurs. Cela pourrait également attirer des fonds européens pour la recherche et l’innovation dans ce secteur, où l’Europe ne représente actuellement que 10 % de la production mondiale.

Ce programme a facilité l’implantation de TSMC en Europe, notamment avec la décision de construire une mégafabrique à Dresde, en août 2023, au cœur de la  « Silicon Saxony ». Censée être opérationnelle en 2027, elle devrait, à partir de cette date, produire jusqu’à 40 000 wafers  par mois, et créer 2000 emplois dans les technologies. Sur le site de Dresde, l’entreprise veut surtout construire des processeurs plus anciens sur des nœuds plus vétustes et moins efficaces tels que 28 nm, 22 nm et 16 nm. De telles chaînes de production ne produisent pas les processeurs d’ordinateurs portables les plus communs ; TSMC construira donc principalement des puces pour les applications automobiles et industrielles.

Effet catalyseur sur l’économie et attractivité : l’exemple de l’implantation Intel en Irlande

La mise en place de telles installations sur le sol français stimulerait l’économie nationale en créant des centaines d’emplois qualifiés et en attirant des talents internationaux. Elle offrirait également des opportunités pour les sous-traitants et les écosystèmes industriels locaux, avec des retombées directes pour les fournisseurs de matériaux, d’équipements de haute technologie et de services spécialisés. Cette implantation stimulerait ainsi un écosystème d’innovation autour de la fabrication de puces.

Toutes ces suppositions ne sont pas utopiques, il suffit de regarder les conséquences actuelles et passées de l’implantation d’Intel en Irlande depuis la fin des années 1980 pour avoir un aperçu du dynamisme économique que pourrait provoquer l’installation de TSMC sur le sol français. Intel a investi environ 30 milliards d’euros dans le pays, dont 12 milliards récemment pour l’extension de son site de Leixlip. Ce site, qui abrite désormais l’une des usines de semi-conducteurs les plus avancées d’Europe, a permis la création de milliers d’emplois, notamment 1 600 postes supplémentaires avec l’ouverture de la nouvelle installation Fab 34 en 2023, ce qui devrait porter le nombre d’emplois à 6 500. Intel est devenu un acteur clé de l’économie irlandaise, non seulement en termes d’emplois mais aussi par son rôle dans le renforcement de l’écosystème technologique local, avec des impacts sur les infrastructures, les compétences et l’attrait pour d’autres investissements étrangers.

La faible attractivité de la France, quels obstacles ?

Bien que la France ait une main-d’œuvre qualifiée, le coût du travail en France est l’un des plus élevés d’Europe, ce qui peut affecter la rentabilité d’une implantation à long terme, notamment par rapport aux pays d’Europe de l’Est ou d’Europe centrale. Par ailleurs, la rigidité du droit du travail français, qui impose des règles strictes sur les licenciements et les conditions de travail, peut rendre l’installation risquée pour des entreprises comme TSMC, qui opèrent dans un secteur fluctuant. La fiscalité française, souvent jugée trop élevée, constitue un frein majeur pour les entreprises étrangères. Avec des charges sociales importantes et des impôts sur les sociétés élevés, la France peine à rivaliser avec des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui offrent des régimes fiscaux plus favorables. De plus, la bureaucratie française est perçue comme complexe et lente, ce qui peut décourager des acteurs industriels ayant besoin de flexibilité et de rapidité pour implanter leurs usines.

La France est parfois perçue comme un pays sujet à des mouvements sociaux fréquents et à une instabilité politique (grèves, manifestations contre les réformes économiques, etc.), ce qui peut dissuader les entreprises étrangères à la recherche d’un environnement stable pour leurs investissements à long terme. À l’instar de ce qui s’est passé avec l’usine Tesla à Berlin-Brandebourg, l’ampleur des projets industriels en France pourrait susciter des oppositions locales. Ces installations de grande envergure peuvent provoquer des réactions hostiles de la part d’associations écologiques, de syndicats, ou d’habitants inquiets des conséquences sociales et environnementales. 

Les atouts de l’Hexagone face à la concurrence européenne

La France dispose de hubs technologiques de pointe, comme Sophia Antipolis et Saclay, qui regroupent des talents et des infrastructures adaptés aux industries de haute technologie, y compris les semi-conducteurs. Ces pôles peuvent offrir un environnement propice à l’innovation et à la R&D, des éléments convainquant TSMC de s’installer en France. De plus, des acteurs locaux comme STMicroelectronics pourraient jouer un rôle clé en facilitant l’intégration de TSMC dans un écosystème industriel déjà bien établi. Pour séduire TSMC, la France se doit d’offrir des réductions fiscales attractives, à l’image des crédits d’impôt à l’instar du CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi), ou encore des exonérations de taxes sur les premières années d’exploitation. Le gouvernement pourrait également offrir des subventions directes, en particulier pour la R&D, afin de rendre l’implantation de TSMC plus attractive. Ces mesures doivent être à la hauteur des aides que d’autres pays ont déjà mises en place pour attirer des géants de la technologie. L’Allemagne, par exemple, a offert un soutien financier conséquent pour attirer TSMC à Dresde.

La concurrence avec d’autres pays européens est intense. La République tchèque se distingue particulièrement, bénéficiant de sa proximité avec Dresde, d’un réseau routier de qualité et d’un coût de la main-d’œuvre inférieur à celui de l’Europe de l’Ouest. De plus, le pays renforce progressivement ses relations commerciales et politiques avec Taïwan. Bien que Prague maintienne des relations diplomatiques officielles avec Pékin, elle a noué des liens informels plus étroits avec Taipei. Au cours de l’année écoulée, plusieurs hauts responsables taïwanais, dont Wu Cheng-wen et l’ancienne présidente Tsai Ing-wen, ont ainsi visité la République tchèque. La France reste pour le moment en dehors de tout dialogue. 

 

Mathéo Colinet

 

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