Meta, maison-mère de Facebook, Instagram et WhatsApp a été condamnée à une amende de 91 millions d’euros le 27 septembre 2024. Cette dernière s’ajoute à une série de sanctions imposées par les autorités européennes. Accusée à de multiples reprises pour non-respect des réglementations en vigueur, Meta a annoncé mettre en place un nouvel organisme de règlement extrajudiciaire des litiges : l’Appeals Center Europe. L’objectif : répondre aux nouvelles exigences du Digital Services Act.
Meta dans le collimateur de Bruxelles : scandales et violations répétées du droit européen
Avec 45 millions d’utilisateurs actifs par mois, ce qui représente une quantité considérable de données stockées, Meta a été classé comme «Très Grandes Plateformes» selon la législation européenne en avril 2023. Cette nomination les soumet donc au Digital Services Act (DSA). Meta est souvent évoquée pour son manque de contrôle strict sur les contenus publiés sur ses plateformes. L’entreprise utilise en effet des algorithmes qui génèrent certains types de contenus via des bots (likes, partages…) sans vérifier la véracité des sources. Cette méthode augmente la visibilité des publications auprès de ses utilisateurs, facilitant ainsi la manipulation de l’information. Meta, en juillet 2019, a été condamnée à payer une amende de 5 milliards de dollars. En effet, elle est accusée d’avoir vendu des millions de données d’utilisateurs Facebook à la société de communication Cambridge Analytica. Cette dernière avait pour objectif de promouvoir l’élection présidentielle en faveur de Donald Trump en 2016 et soutenir le Brexit.
L’IA générative, utilisée pour créer des contenus rapides, alimente quant à elle des campagnes de désinformation qui envahissent les réseaux de Meta. La diffusion de ces contenus illégaux peut encourager les discours de haine et alimenter les clivages au sein de la société. Par exemple, Thierry Breton, ancien Commissaire Européen au marché intérieur, a signalé que certaines publications relatives aux attaques du Hamas contre Israël et aux élections européennes soulevaient des préoccupations et des manquements face à la réglementation en vigueur. La Commission européenne a également relevé des insuffisances dans la modération des contenus violents, et trompeurs, ainsi qu’un manquement pour la protection des mineurs. Elle s’interroge sur la capacité du mécanisme de signalement des contenus illicites de Meta à répondre aux normes de la législation sur les services numériques, et ce d’autant plus que la configuration ne permet pas de signaler rapidement.
De plus, son système interne est jugé inefficace pour traiter les différentes plaintes recueillies. Ce manque de supervision a placé Meta en tête des entreprises les plus souvent sanctionnées en Europe au regard de ces problématiques.
Bruxelles riposte : la Commission européenne durcit sa réglementation
Entre 2018 et 2023, la société a accumulé plus de 2,5 milliards d’euros d’amende. Des failles de sécurité dans la protection de données et du stockage des mots de passe de ses utilisateurs dans leurs systèmes internes basés aux États-Unis ont en effet été constatées. Ce règlement est entré en application le 17 février 2024. Il instaure un cadre juridique plus strict concernant la modération des contenus, la protection des données numériques et du respect de la vie privée de ses utilisateurs. Il a pour objectif d’équilibrer les relations entre les utilisateurs, les gouvernements et les plateformes. Cette nouvelle législation vient compléter deux réglementations antérieures : le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et le Digital Market Act (DMA), respectivement mis en place le 25 mai 2018 et le 2 mai 2023.
L’Union européenne réagit et oblige ainsi les plus grandes puissances des technologies de l’information et de la communication comme Meta à respecter ces nouvelles exigences.
Meta innove : adaptation sincère ou stratégie de dissimulation ?
Dans le cadre de sa mise en conformité, Meta a annoncé la création d’un organisme extrajudiciaire : Appeals Center Europe. Ce nouvel organe tentera de répondre aux nouvelles exigences de la Commission européenne, à savoir la mise à disposition d’outils plus transparents et accessibles pour les utilisateurs. Il sera chargé de résoudre les litiges des utilisateurs européens sur ces plateformes afin de lutter contre la désinformation.
Cette gouvernance sera financée par le Conseil de Surveillance de Meta, mis en place en 2020. Ce conseil est composé de 20 membres internationaux, incluant des journalistes, avocats, défenseurs des droits humains et anciens responsables politiques. Il a pour mission de garantir une supervision indépendante de la modération des contenus de Meta.
Thomas Hughes, ancien directeur du Conseil de Surveillance, a été nommé futur responsable de cette nouvelle organisation. Il a précisé que cette entité agira comme une sorte de « cour d’appel », sans pour autant se substituer au système judiciaire traditionnel. Son objectif sera de rendre les contestations des utilisateurs plus accessibles, et plus adaptées aux défis de l’ère numérique. L’Appeals Center Europe sera composé de 7 membres et se concentrera d’abord sur les affaires concernant Facebook, TikTok et YouTube, avec l’intégration progressive d’autres plateformes. Ce tribunal aura le pouvoir discrétionnaire de supprimer ou de maintenir en ligne un contenu signalé par un usager. Les internautes pourront contester les décisions prises en amont par le nouvel organe, qu’elles concernent les actions à leur encontre ou les contenus diffusés par des tiers.
Transparence renforcée : la Commission européenne oppressée ?
L’Appeals Center Europe, bien que se présentant comme indépendant, ne dispose pas de pouvoir juridique contraignant. Son rôle se limite à formuler des recommandations et à décider de la conservation ou de la suppression de contenus sur ses plateformes. De plus, cet organisme est financé par le Conseil de Surveillance de Meta. Or, ce conseil, qui existait déjà, n’a pas empêché la Commission européenne de sanctionner Meta à plusieurs reprises, en particulier pour l’utilisation abusive des données personnelles de ces utilisateurs à des fins publicitaires. Un conflit d’intérêts apparaît alors entre les ambitions commerciales de Meta et les principes éthiques de ses nouveaux dispositifs de régulation.
Meta représente un défi majeur pour les régulateurs, qui doivent trouver un équilibre entre les difficultés à la contrôler sans affecter son rôle dans l’économie réelle. En tant que grand employeur en Europe, tant directement qu’indirectement dans de nombreux secteurs, tels que le marketing ou la publicité, son influence est considérable. En l’absence d’une régulation internationale, où de nombreux pays poursuivent des objectifs individuels et refusent une telle réglementation, le retrait de ses outils de communication et de ses réseaux sociaux en Europe engendrerait un vide immense sans alternatives viables. Dans ce contexte, Meta tire profit de sa position et sait qu’elle appartient à la catégorie Too Big to fail.
Son importance systémique en Europe est telle que les décisions concernant une éventuelle interdiction ou une régulation trop stricte suscitent des débats au sein de la haute direction de la Commission européenne. Thierry Breton, figure marquante de l’exécutif bruxellois, connu pour ses critiques des abus des géants du numérique, a annoncé sa démission le 16 septembre 2024. Sa volonté d’une régulation plus stricte et plus expéditive a créé de profondes tensions avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, liées à des divergences sur la gestion de ces enjeux. La situation actuelle de Meta illustre les arbitrages et réflexions complexes rencontrées par l’Union européenne aujourd’hui dans sa quête de régulation. Meta semble pour l’instant privilégier le paiement des amendes sans véritablement trouver de réelles solutions. L’«Appeals Center Europe» sera-t-il un outil de régulation efficace ou une énième tentative de désamorcer les tensions avec Bruxelles ?
Calypso Hugon
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