Le 20 octobre 2024, l’ambassadrice d’Israël au Costa Rica a accusé les pays d’Amérique du Sud d’héberger des cellules du Hezbollah. Ces déclarations interviennent alors que des réseaux de narcotrafiquants et de blanchiment d’argent, qui financent le groupe armé, ont été démantelés en janvier au Brésil.
Depuis les années 1980, le Hezbollah, mouvement politique et paramilitaire chiite libanais, a étendu son influence au-delà du Moyen-Orient. En Amérique latine, cette présence prend forme à travers des réseaux de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Les cartels et les gouvernements sud-américains, à la recherche de partenaires, voient en cette organisation un allié inattendu, tandis que le Hezbollah profite de l’une des routes de narcotrafic les plus lucratives du monde pour financer ses opérations.
La région des « Trois Frontières » et les communautés locales comme point de départ des opérations du Hezbollah
Au cœur de cette alliance se trouve la région des « Trois Frontières », une zone qui s’étend entre le Paraguay, le Brésil et l’Argentine. Cette région, incontrôlée et connue pour son commerce transfrontalier, est un point d’entrée pour les marchandises illicites. Le Hezbollah y est bien implanté grâce aux communautés libanaises et syriennes présentes, qui offrent un soutien logistique et financier. En effet, certaines de ces communautés, intégrées localement et possédant des réseaux d’affaires établis, facilitent les transferts de fonds et le blanchiment d’argent. Cet appui est fourni par des individus sensibles aux idéaux ou aux causes politiques et religieuses défendues par le Hezbollah. L’intégration du Hezbollah dans ces communautés diasporiques permet à l’organisation, non seulement d’étendre son influence au-delà du simple soutien logistique, mais aussi de créer des liens durables avec les cartels locaux.
L’alliance entre le Hezbollah et les cartels de drogue repose avant tout sur un intérêt commun, celui de faire du profit. Le fonctionnement de cette alliance se base sur un échange de connaissances et d’infrastructures : le Hezbollah bénéficie d’une expertise en matière de contrebande et de réseaux financiers clandestins, tandis que les cartels cherchent des routes sécurisées pour leurs exportations de drogue vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Cette coopération permet au Hezbollah de profiter de l’infrastructure logistique des cartels, qui administrent les routes et les connexions avec les ports et les aéroports.
Des réseaux financiers et logistiques
Les fonds générés par ces opérations de narcotrafic sont ensuite réinvestis, le plus souvent sous couvert d’entreprises légales, dans des commerces locaux, mais aussi dans l’achat de biens immobiliers. Ces investissements sont réalisés avec une volonté de maintenir une forte discrétion, afin d’éviter d’attirer l’attention des autorités, tout en privilégiant une stratégie axée sur le long terme. Les activités menées financent indirectement les opérations militaires du Hezbollah au Moyen-Orient. Selon certaines estimations, plus de dix millions de dollars par an seraient envoyés vers le Liban depuis cette région. Des enquêtes montrent qu’une partie de cet argent est renvoyée à Beyrouth via des banques colombiennes ou vénézuéliennes, ou par le biais de systèmes de transfert de fonds informels, comme l’Hawala.
Présence et activités du Hezbollah sur le continent américain, Émilie Bouvier, 2023
La présence du Hezbollah s’étend sur la quasi-totalité des pays de l’Amérique latine. Les bases d’opérations logistiques, situées majoritairement sur le territoire vénézuélien, représentent un point stratégique pour le groupe, facilitant le transit de fonds, d’armes et de ressources humaines. La présence du groupe s’est aussi manifestée par des attentats et des attaques, principalement contre des ressortissants israéliens. Néanmoins, sont peu nombreux les pays latino-américains qui considerent le Hezbollah comme un groupe terroriste.
Les gouvernements sud-américains et le Hezbollah : alliés ou ennemis ?
Depuis les années 2000, les gouvernements latino-américains se sont divisés quant à leur approche face à l’influence grandissante du Hezbollah. Deux blocs se dessinent : d’une part, les pays qui cherchent activement à démanteler les réseaux de l’organisation, et d’autre part, ceux qui, pour des raisons idéologiques ou politiques, adoptent une attitude plus conciliante, voire favorable à l’égard du Hezbollah.
Le Paraguay, l’Argentine et le Brésil se sont mobilisés pour contrer la présence du Hezbollah. Le Paraguay, par exemple, a renforcé sa législation antiterroriste, facilitant les poursuites judiciaires contre les individus liés aux réseaux financiers de l’organisation. Des partenariats étroits avec les États-Unis ont également permis des échanges d’informations et la mise en place d’opérations conjointes, visant à surveiller les transferts financiers et à perturber les flux illicites associés aux activités des groupes narcotrafiquants.
Le Venezuela et la Bolivie entretiennent quant à eux des relations ambiguës avec le mouvement chiite, souvent influencées par des tensions diplomatiques avec les États-Unis. Le gouvernement vénézuélien, sous Hugo Chávez puis sous Nicolás Maduro, a renforcé ses liens avec l’Iran, principal allié du Hezbollah, et soutient de manière non-officielle les activités du groupe sur son territoire. Un rapport publié par le Comité de la sécurité intérieure des Etats-Unis établit même que le Venezuela permettrait au Hezbollah de mener ses opérations financières et logistiques depuis le pays, en échange d’un soutien politique ou militaire indirect.
Une diversification des sources de financement
La diversification des moyens de financement du Hezbollah pourrait être interprétée comme un signe de méfiance croissante envers le soutien financier de l’Iran. Depuis sa fondation en 1982, le Hezbollah bénéficie d’un soutien financier et militaire de l’Iran, principal parrain de l’organisation. Ce soutien a permis à l’organisation de devenir un acteur militaire et politique majeur au Liban et d’étendre son influence dans toute la région du Moyen-Orient.
Cependant, l’expansion du Hezbollah en Amérique latine permet de questionner la nécessité pour ce groupe paramilitaire de chercher de nouvelles sources de revenus pour assurer sa survie et son autonomie. L’organisation anticipe-t-elle une diminution de l’appui iranien ? L’économie iranienne, affaiblie par les sanctions internationales, dispose de ressources réduites pour financer ses partenaires. Cette situation aurait incité le Hezbollah à se tourner vers des activités économiques alternatives pour combler le possible écart budgétaire. Le trafic de cocaïne est ainsi devenu la deuxième source de financement du Hezbollah, après le financement iranien. L’exploitation de cette nouvelle ressource économique représente un enjeu central pour le groupe, qui a besoin de financements accrus pour maintenir ses opérations de plus en plus nombreuses au Moyen-Orient.
Une autonomie stratégique vis-à-vis de Téhéran ?
Par ailleurs, cette diversification pourrait également être un moyen pour le Hezbollah de renforcer son autonomie et de s’émanciper vis-à-vis de Téhéran. Bien que les liens entre les deux entités restent solides, le Hezbollah pourrait chercher à éviter une dépendance totale envers l’Iran. En finançant ses propres opérations, le groupe s’assure une certaine liberté d’action, pouvant ainsi répondre aux besoins spécifiques de la communauté chiite libanaise sans être entièrement subordonné aux objectifs iraniens.
L’autonomie financière et logistique, rendue possible par les financements provenant des trafics en Amérique latine, pourrait mener le groupe à prendre des orientations moins liées à l’idéologie iranienne. Cela pourrait, à terme, influencer la stratégie globale du Hezbollah et son positionnement dans les conflits régionaux. En d’autres termes : le Hezbollah restera-t-il avant tout un proxy de l’Iran, ou est-il en train de devenir un acteur indépendant avec ses propres priorités stratégiques et économiques ?
Melissa Mey
Pour aller plus loin :