Les crypto-actifs sont de moins en moins utilisés par les organisations terroristes. Cependant, cette pratique perdure et évolue, du fait de nouveaux procédés et technologies qui viennent complexifier la régulation du marché des actifs virtuels.
Les groupes terroristes s’adaptent rapidement aux nouvelles technologies, comme en témoigne l’intégration de l’intelligence artificielle et des drones à leur panel de moyens. Concernant le financement de leurs activités, les organisations extrémistes violentes intègrent rapidement de nouveaux procédés à leurs modes opératoires traditionnels. C’est le cas de l’utilisation malveillante des crypto-actifs.
Les crypto-actifs : moyen d’échange financier controversé
Les crypto-actifs sont des actifs financiers virtuels créés grâce à l’utilisation de technologies de cryptographie. À l’origine, soit dans les années 1980, l’objectif était de créer une monnaie échappant aux banques et aux entités centralisées, permettant ainsi la réalisation de transactions intraçables et sécurisées. En 2009, le créateur du Bitcoin, connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, mine le premier bloc de la chaîne Bitcoin, marquant l’avènement des crypto-actifs.
Par la suite, ces produits financiers sont devenus populaires à partir du début des années 2010. Leur adoption rapide et leur développement exponentiel ont profondément transformé divers aspects de l’économie. Aujourd’hui, il existe des milliers de crypto-actifs, valorisés à plus de 2400 milliards d’euros à l’échelle mondiale, pour des échanges quotidiens de l’ordre de 90 milliards. Parmi ces produits, les crypto-monnaies occupent une place importante (voir l’image ci-dessous). Par exemple, le Bitcoin et l’Ethereum représentent à elles seules 70 % des actifs présents sur le marché virtuel. En France, leur usage est en constante augmentation. Alors que 9,4 % des Français possédaient des crypto-actifs en 2023, ils seraient 12 % cette année.
Les crypto-actifs répertoriés en France en 2022
Leur nature décentralisée et leur anonymat relatif facilitent les transactions internationales en évitant les systèmes bancaires traditionnels et les contrôles réglementaires, ce qui favorise l’utilisation illicite des crypto-actifs. Par exemple, la Russie s’en sert comme valeur refuge pour contrer les effets des sanctions occidentales. En ce qui concerne les groupes criminels, ces actifs offrent une alternative discrète pour financer leurs opérations, que ce soit pour l’achat de matériel ou pour le transfert de fonds entre pays.
Des actifs financiers de moins en moins utilisés par les groupes terroristes ?
Parmi les organisations criminelles, les réseaux terroristes utilisent également des actifs virtuels pour leurs besoins financiers. Les crypto-actifs sont ainsi devenus « un nouveau vecteur de financement du terrorisme jihadiste » à la fin des années 2010. Cependant, un rapport de Chainalysis, une société américaine d’analyse de blockchain, pointe une nette baisse de la criminalité associée à ces actifs : seulement 0,34 % des transactions seraient criminelles en 2023.
Cette baisse du recours aux crypto-actifs s’explique notamment par la régulation du secteur. En effet, ils sont devenus des enjeux économiques majeurs pour les États, dépassant les problématiques liées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Depuis 2019, le Groupe d’action financière (GAFI), comprenant une vingtaine de pays, a publié plusieurs rapports visant à encadrer ces actifs virtuels. L’organisme intergouvernemental souligne la nécessité pour les États d’établir des réglementations et des dispositifs de suivi adaptés en engageant les fournisseurs de services d’actifs numériques. En réponse, plusieurs États ont réglementé le secteur, tandis que d’autres ont choisi d’interdire totalement les crypto-monnaies.
État de la réglementation concernant les monnaies virtuelles en 2023.
Une pratique qui perdure et évolue
Malgré ces chiffres en baisse, l’utilisation malveillante des crypto-actifs par les groupes terroristes continue. L’année dernière, le commando jihadiste responsable de l’attaque du Crocus City Hall à Moscou aurait ainsi reçu plus de 2 000 dollars en crypto-monnaies. Au Proche-Orient, le Hamas a également utilisé les crypto-monnaies pour financer ses activités avant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ». Les actifs virtuels du Hamas ont par ailleurs fait l’objet de saisies importantes au lendemain de l’opération du 7 octobre 2023.
Appel aux dons en crypto-monnaies des brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas, en 2019.
Un autre phénomène marquant est la sous-traitance, par les groupes terroristes, de certaines de leurs activités à des spécialistes des crypto-actifs. Conscients de l’intérêt des actifs virtuels, ces réseaux font appel à des experts en cybercriminalité présents sur le darknet, souvent très jeunes, pour compenser leur manque de savoir-faire. En octobre dernier, un mineur anglais de 16 ans a par exemple été accusé d’avoir collecté des fonds en crypto-monnaies pour plusieurs islamistes radicaux, dont des membres d’Al-Qaïda.
Le savoir-faire français sur le sujet
Malgré la baisse de la criminalité liée aux actifs virtuels, la France reste vigilante face aux problèmes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) . Tracfin, le service de renseignement financier de Bercy, joue un rôle central dans la détection des réseaux terroristes exploitant cette technologie. Le service a reçu son premier signalement relatif aux crypto-monnaies en 2014. Depuis, ces alertes ont considérablement augmenté, atteignant le nombre de 518 signalements en 2018. En réponse, Tracfin a mis en place une cellule spécialisée dans les dossiers associés aux actifs virtuels.
Le service est également l’un des membres fondateurs du groupe Egmont, un forum international d’échanges pour les cellules de renseignement financier. Dans son rapport 2021-2023, le forum a mis en avant une enquête française ayant permis de démanteler un réseau complexe de financement terroriste utilisant des crypto-actifs, lié à Al-Qaïda.
Le 26 septembre, Antoine Magnant, directeur de Tracfin, a rappelé l’importance des crypto-actifs pour le renseignement financier français. Il a souligné la nécessité pour les régulateurs d’adapter leur cadre de surveillance au développement de ces actifs. Il a également soulevé une question essentielle : « Est-il acceptable, contrairement aux autres flux financiers, d’autoriser des technologies qui empêchent le suivi public des transactions ? » en évoquant les actifs à anonymat renforcé, tels que le Monero ou les protocoles de mixage. Enfin, il a questionné la manière de gérer les « paradis crypto », à l’instar des paradis fiscaux.
Louis Quinet
Pour aller plus loin :
- L’hawala, banque du terrorisme ? – Portail de l’IE
- Cyber-califat : La stratégie de propagande de l’État islamique de 2014 à nos jours – Portail de l’IE
- Intelligence artificielle et terrorisme : menace ou opportunité ? – Portail de l’IE