Les femmes occupent et jouent un rôle stratégique dans la propagande de l’État islamique. Le groupe terroriste a été l’un des premiers à leur consacrer un discours officiel, adapté à leurs aspirations sociales et religieuses. Leur intégration dans ses rangs s’inscrit dans une stratégie à long terme dont l’objectif est de pérenniser l’idéologie en procréant et en éduquant les futurs combattants de l’organisation, « les lionceaux du califat ».
Jusqu’en 2016, avec l’attentat manqué de Notre-Dame, la menace terroriste liée aux femmes était encore sous-estimée. Perçues comme des victimes naïves, les femmes n’étaient pas associées à la violence physique ou psychologique et n’étaient donc considérées que sous le prisme de « femmes de jihadistes », non responsables de leur radicalisation. Néanmoins, ces dernières ont prouvé leur capacité à exercer une violence idéologique et physique et apparaissent désormais comme des « femmes jihadistes » à part entière.
Les profils des candidates au jihad : des profils sous influence ?
Les femmes qui ont rejoint l’État islamique (EI) ne forment pas un groupe homogène, tant par leurs profils que par leurs motivations. L’EI a donc su adapter sa propagande pour cibler des profils spécifiques, en offrant des contenus adaptés à leurs attentes. En effet, l’étude sociologique des femmes candidates au jihad ne permet d’établir un profil type, mais plusieurs points communs émergent, notamment le fait qu’une majorité d’entre elles sont issues de structures familiales dites dysfonctionnelles.
Certaines ont été placées, souvent jeunes, dans des foyers ou familles d’accueil, faisant nourrir en elles un sentiment de stigmatisation, d’injustice et d’abandon. En manque de repères familiaux et sociaux, elles sont particulièrement vulnérables à la propagande jihadiste qui leur promeut un sentiment d’appartenance à une communauté – la Ummah. Pour ce type de profil, la hijra s’apparente alors à un refuge et à une réponse à un sentiment de discrimination grâce à la la promesse d’une certaine égalité et de solidarité au sein du califat.
D’autres femmes ont vécu l’éclatement de leur foyer et l’absence de la figure paternelle. Leur processus de radicalisation et leur départ relèvent davantage de la symbolique. Beaucoup d’entre elles réalisent un jihad dit matrimonial, c’est-à-dire qu’elles se rendent sur zone dans l’espoir de se marier avec un combattant de l’organisation. Inconsciemment, elles projettent sur ce mari une image de force et de virilité, associée à la figure paternaliste manquante durant leur enfance. La propagande de l’organisation a su jouer sur ce besoin de romantisme en plaçant le mariage comme une étape centrale de son recrutement.
Un troisième profil se distingue : la femme ayant grandi dans une famille où la figure paternelle est dominante. Après avoir été « soumise » à cette autorité, elles voient dans la pratique d’un islam rigouriste, une forme d’émancipation volontaire et un moyen de rompre avec une autorité parentale trop contraignante. Cependant, cette émancipation les conduit à rejoindre un système social reproduisant les schémas de soumission à l’égard des femmes qu’elles ont préalablement connues.
L’exemple d’Hasna Aït Boulahcen, cousine d’Abdelhamid Abaaoud, l’un des commanditaires et auteur des attentats du 13 novembre 2015, est parlant. Ayant grandi dans des foyers, avec un père absent et une mère démissionnaire, elle se radicalise lors d’un voyage au Maroc en 2015. En cherchant à se conformer aux attentes de l’EI, elle idéalise inconsciemment son cousin, en qui elle voit une figure paternelle forte et influente. Elle ira jusqu’à accepter de devenir sa complice au lendemain des attentats. Elle sera finalement tuée lors de l’assaut mené pour le tuer, le 18 novembre 2015.
Bien qu’il n’existe pas de profils types parmi les femmes recrutées par l’État islamique, leur intégration semble davantage répondre à des motifs émotionnels que purement religieux. Pour les attirer, le groupe terroriste a su exploiter leurs vulnérabilités psychologiques telles que leur fragilité, leur traumatisme, leur naïveté ainsi que des biais cognitifs spécifiques.
Comment et par qui sont-elles recrutées ?
Contrairement aux hommes, le processus de conversion et de radicalisation des femmes se fait dans la sphère privée, principalement via les réseaux sociaux. Ces femmes compensent leur manque de socialisation par des échanges virtuels avec d’autres « soeurs ». Le développement de l’activisme numérique a entériné la nécessité de posséder un réseau social physique préalablement endoctriné. Ainsi, les propagandistes sont souvent des femmes, appelées « recruteuses recrutées ». Ces dernières ont exploité l’essor du monde immatériel pour diffuser une propagande de masse.
Un recrutement en plusieurs étapes
La stratégie de recrutement se déroule en deux étapes distinctes. Dans un premier temps, les recruteuses entrent en contact avec de jeunes femmes via les réseaux sociaux. Elles diffusent des contenus visuels et écrits vantant la vie sous le califat, créant une image idéalisée d’un quotidien rigoureux mais épanouissant. Ensuite, elles ciblent des femmes déjà sensibles aux contenus propagandistes de la jihadosphère. Les échanges se caractérisent rapidement par un sentiment de culpabilité et de déshonneur à l’égard de celles qui vivent encore en Occident. La hijra et le jihad sont alors présentés comme des obligations pour tout musulman pieux.
Enfin, ces femmes exploitent des biais cognitifs pour manipuler leurs cibles :
- Un sentiment d’appartenance à une organisation qui promeut les valeurs islamiques ;
- Un sentiment victimaire et de revanche liés à une certaine islamophobie dans les pays occidentaux, empêchant les musulmans de pratiquer librement leur foi ;
- Un sentiment d’émancipation des contraintes parentales et sociétales, que seule la réalisation d’un mariage religieux avec un combattant peut accomplir.
Le « web islamisme » et la « jihadosphère » :
L’État islamique a su se rendre totalement indépendant des médias traditionnels pour diffuser sa propagande et organiser des campagnes de recrutement. Plusieurs plateformes sont utilisées à cet effet. D’abord, Youtube, sur lequel l’organisation diffuse des vidéos éducatives, dans lesquelles des femmes « pieuses » présentent la vie quotidienne sous le califat. Elles mettent en scène l’importance de leurs rôles en son sein en se présentant comme gardiennes de l’islam, soutien moral et charnel des combattants et responsables du futur de l’organisation. Toutefois, en raison de l’algorithme de la plateforme, les utilisatrices qui consomment ce type de vidéos pouvant paraître inoffensives, peuvent être progressivement exposées à des contenus extrémistes.
Les plateformes intergénérationnelles Facebook, Instagram et Twitter, permettent quant à elles non seulement de diffuser l’idéologie jihadiste – via des publications de revendications ou de soutiens à l’organisation – mais aussi d’établir une première prise de contact rapide avec des jeunes femmes. Elles sont ensuite dirigées vers des groupes de discussions plus intimes sur d’autres plateformes. Enfin, de 2014 à 2017, l’organisation aurait publié environ 40 000 tweets en français par jour. Les applications Whatsapp et Telegram sont pour ces femmes un moyen de sortir de leur isolement et de se sentir écoutées. Les recrues peuvent échanger avec des « soeurs » plus expérimentées recevoir des conseils sur tous les aspects de la vie quotidienne (éducation, mariage, sexualité). Les groupes privés facilitent l’influence jihadiste et permettent de manipuler leur naïveté et crédulité. Enfin, TikTok est une plateforme non négligeable pour diffuser l’idéologie auprès d’un large public. Grâce aux courtes vidéos dont la diffusion est démultipliée par les algorithmes, l’EI attire des recrues jeunes et influençables. Pour l’experte Elisabeth Kendall, Tiktok est un moyen attrayant de diffuser l’idéologie de Daesh, souvent en musique et ce de manière rapide et percutante.
À ce jour, Émilie Köning est l’une des recruteuses françaises les plus reconnues. Originaire de Lorient et convertie à l’islam, elle est l’une des premières françaises à partir en Syrie en 2012. Elle est accusée de s’être livrée à des activités de propagande, de recrutement d’autres jeunes femmes via les réseaux sociaux et d’incitation à commettre des attentats à l’encontre de femmes de militaires français de l’opération Barkhane. Sa renommée a également été faite grâce à une vidéo datant de mai 2013 où elle apparaît entièrement voilée et s’entraînant au tir, contrairement aux dires de l’organisation où les femmes ne prennent pas part aux combats. Rapatriée au cours de l’été 2022, elle a automatiquement été mise en examen pour « association de malfaiteurs terroristes criminels ».
L’importance stratégique du recrutement féminin pour l’État islamique
L’intégration des femmes est une démarche purement stratégique pour l’EI, qui cherche à construire une société pérenne. Le groupe mise sur un recrutement massif, doublé d’une stratégie d’auto-renouvellement. L’une des principales missions des femmes, selon la propagande de l’EI, est de participer à la création d’une «nation fertile», pour assurer la survie du califat. Elles sont présentées comme responsables de l’éducation des «lionceaux du califat» selon les préceptes jihadistes, destinés à devenir les combattants de demain. La propagande met également l’accent sur la maternité et normalise le « jihad en famille ».
Source : Dabiq n°7, novembre 2015
Dans cette image, la propagande met en avant des enfants souriants, jouant dans un cadre propice à l’épanouissement. Ici, les préceptes religieux sont arborés : le jeune garçon porte une djellaba, tandis que la fille est couverte d’un hijab, ne laissant apparaître que son visage malgré son très jeune âge.
Source : Dabiq n°15, juillet 2016
Cette photo montre un bébé également souriant, portant une veste de camouflage militaire, face à un homme arborant barbe et turban, signe d’adhésion à l’idéologie islamiste.
L’objectif est de diffuser l’idée d’un cadre de vie aimant, familial et joyeux sous le califat, dans lequel les enfants pourront s’épanouir sous la protection d’un père moujahid qui assurera son rôle de figure paternelle, virile et stabilisatrice. Cette vision sera doublement attractive pour ces femmes qui pour la plupart d’entre elles, ont souffert de l’absence d’un père durant leur enfance et/ou adolescence.
Enfin, malgré la défaite territoriale de l’EI en mars 2019, sa propagande reste active et les femmes y restent particulièrement sensibles. La radicalisation et l’endoctrinement des femmes toujours enfermées dans l’est syrien au sein des camps et prisons tenus par les Forces démocratiques syriennes (FDS) représente aujourd’hui la plus grande menace. Ces dernières attendent que les hommes de l’organisation les libèrent afin de recréer un califat. La chute du régime Assad et la prise de pouvoir du HTS pourraient ainsi affaiblir les positions et rapports de forces des FDS – exposées aux attaques turques – de telles sortes qu’elles ne soient plus en mesure de contenir la menace.
Alix Cocard-Lozano
Pour aller plus loin :
- Cyber-califat : la stratégie de propagande de l’État islamique de 2014 à nos jours
- Intelligence artificielle et terrorisme : menace ou opportunité ?
- L’hawala, banque du terrorisme ?