Comprendre la vente d’Opella à CD&R

Le 30 janvier 2025, Sanofi annonce avoir fait de meilleurs résultats que ceux anticipés fin 2024. Le groupe a aussi rappelé la vente de sa filiale Opella au fond américain CD&R. Cette vente pourrait perturber la relocalisation des principes actifs du paracétamol, pourtant promise en 2020 par Emmanuel Macron. Cette cartographie permet de mettre en lumière les tenants et les aboutissants de cette vente particulièrement contestée.

La promesse de relocalisation formulée par Emmanuel Macron

Dans le communiqué de presse du 18 juin 2020, le gouvernement annonce que des travaux sont engagés avec Seqens, Upsa et Sanofi pour que, d’ici 3 ans, la France soit en mesure de reproduire, conditionner et distribuer du paracétamol. Cette déclaration survient à la suite de la visite d’Emmanuel Macron à l’usine de Sanofi à Marcy l’Étoile du 16 juin 2020. La France, toujours aux prises avec la crise du Covid 19, est alors confrontée aux pénuries causées par les ruptures d’approvisionnement. Ces dernières touchent en particulier aux pénuries de masques et de médicaments. 

Dans la continuité de cette visite, le Comité stratégique de filière (CSF) s’est réuni le 18 juin 2020, afin d’établir un « Plan d’action pour la relocalisation des industries de santé en France ». Ce plan prévoit d’« augmenter la production de médicaments et renforcer la recherche en France », notamment concernant le paracétamol. Pour rendre cette production possible, il est nécessaire d’en produire le principe actif, qui est alors importé à 80% de Chine et d’Inde. Ce projet de relocalisation est porté par l’entreprise française Seqens, un poids lourd de la chimie pharmaceutique.

Le projet de Seqens

Le groupe de chimie fine Seqens prévoit de relancer la production européenne de paracétamol en construisant une nouvelle unité sur la plateforme chimique de Roussillon, en Isère. Ce projet, nommé Phénix, représente un investissement d’environ 100 millions d’euros. Il est financé à hauteur de 30 à 40 % par l’État français, avec le soutien de laboratoires pharmaceutiques tels que Sanofi et UPSA. Ces derniers se sont engagés sur des contrats à long terme, permettant à Seqens d’écouler sa production.

L’unité de production utilisera un procédé innovant de chimie en flux continu, développé par le Seqens’Lab de Porcheville dans les Yvelines. Ce procédé permettra de réduire de 76 % les émissions de CO₂, de diminuer de 65 % la consommation d’énergie et de diviser par 20 les rejets solides et liquides par rapport aux standards actuels. La mise en service de l’unité est prévue pour 2026, avec une capacité annuelle de 15 000 tonnes, soit la moitié des besoins européens en paracétamol. 

Les risques de délocalisation

Les risques de délocalisation des sites d’Opella sont probables. Plusieurs facteurs appuient cette hypothèse. Tout d’abord, Opella réalise 24 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, contre seulement 10 % en France. Face à un marché français du médicament offrant des perspectives de rentabilité plus faibles, l’entreprise pourrait être incitée à transférer sa production vers les États-Unis, où les prix des médicaments sont nettement plus élevés. Une autre possibilité serait une délocalisation en Inde ou en Chine. Dans tous les cas, pour des propriétaires américains, il existe peu d’incitations à maintenir les unités de production en France.

En outre, il est essentiel de considérer le profil du fonds américain CD&R, actuellement en négociation avec Sanofi pour l’acquisition d’Opella. Ce fonds est spécialisé dans les rachats avec effet de levier (LBO) et le private equity. Le LBO repose sur un montage financier où une holding, créée par les acheteurs, contracte des emprunts auprès de plusieurs banques pour acquérir une entreprise. Les dettes sont ensuite remboursées grâce aux bénéfices générés par cette dernière.

Enfin, la détention d’une majorité de Sanofi par 44,5% d’investisseurs américains (vraisemblablement des investisseurs institutionnels) n’est pas sans danger. Le risque est partiellement confirmé par les déclarations de Paul Hudson, le PDG de Sanofi, qui en 2020, avait affirmé que Sanofi servirait en premier les États-Unis s’il trouvait un vaccin contre le Covid 19.

La prise de participation de l’État au sein d’Opella

L’accord tripartite entre Sanofi, CD&R et l’État français a abouti à une prise de participation de ce dernier via la Banque publique d’investissement (BPI) à hauteur de 1% d’Opella. Cet accord a été signé avant le déclenchement de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France (ou procédure IEF). Cette procédure oblige les investisseurs étrangers souhaitant placer des fonds dans certains domaines à soumettre une demande d’autorisation préalable d’investissement étranger à la Direction générale du Trésor (DGT). Si l’investissement étranger contrevient à la préservation de l’intérêt national, le Ministre de l’Économie est en mesure de ne pas l’autoriser. 

Le fait que le dossier ait été négocié avant d’être instruit auprès de l’administration, témoigne du caractère politique de la vente d’Opella. Celle-ci, qui devrait être conclue au second trimestre 2025 au plus tôt, ne sera donc vraisemblablement pas empêchée. Seuls restent les engagements pris par l’État ; encore faut-il les faire respecter.

 

Clément Bodin

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