Le 28 février 2025, l’Institut National des Affaires Stratégiques et Politiques (INASP) a organisé une conférence exceptionnelle en présence d’Alain Juillet (ex-DGSE), Camille Lanet (DGA), Philippe Eudeline (cluster Normandie Aerospace) et Florian Rondé (Safran). Ensemble, ils ont abordé le sujet de la construction d’une culture de l’intelligence économique et son rôle dans l’industrie de défense française.
L’intelligence économique défensive et offensive impulsée par l’État
Alain Juillet s’est montré optimiste quant à la prise de conscience de l’importance de l’intelligence économique dans l’appareil d’État pour développer l’industrie de défense française malgré un certain désintérêt ces dernières années. Il avait été nommé Haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier Ministre à la suite de la perte des fleurons français Gemplus et Péchiney au début des années 2000, causant la perte de plus de 70 000 emplois en France. Son action entre 2003 et 2009 a démontré la pertinence de l’intelligence économique défensive au sein du ministère de l’Économie et des Finances de Bercy pour surveiller les prédations économiques étrangères sur des entreprises françaises stratégiques.
Son optimisme rejoint celui de Camille Lanet, sous-directeur de l’intelligence économique à la DGA. Les deux panélistes se sont référés aux multiples déclarations du délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, qui a souligné l’importance de l’intelligence économique offensive dans son ministère pour « passer du statut de proie consentante à celui de prédateur ». Ce mouvement crée une émulation au sein des autres ministères de l’État. À la DGA, l’intelligence économique offensive se traduit par une collaboration avec les cellules spécialisées des ministères comme le SISSE mais également les acteurs de la BITD au travers des neuf grands groupes français et des trois clusters de l’industrie de défense où 4500 PME sont réunies. Ces dernières sont au centre de son action. De concert avec les attachés d’industrie de défense en région qu’il a formés, il organise des groupes de travail à l’intelligence économique et des réunions régulières avec les dirigeants des entreprises pour les sensibiliser et identifier les menaces et les risques qu’ils rencontrent. L’écosystème académique et le biotope des cabinets privés spécialisés dans l’intelligence économique concourent aussi à l’action de la DGA pour surveiller, analyser, protéger et influencer.
La dynamique de l’intelligence économique en Normandie et au sein du groupe Safran
Au niveau territorial, Philippe Eudeline, a partagé son expérience dans la région Normandie en tant que président du cluster de l’aéronautique et du spatial NAE. En collaboration étroite avec le conseil régional et son président Hervé Morin, il organise des bilans annuels depuis 2016 sur les besoins des entreprises du cluster en matière de protection face aux risques économiques notamment en ce qui concerne la cybersécurité. À ce titre, il a aussi défendu des actions de surveillance des prédations financières étrangères pour les entreprises de toute taille dans sa région. Pour lui, l’efficacité de l’intelligence économique se traduit par la création de ponts de confiance entre acteurs à travers le partage de l’information de la part des grands groupes vers les PME pour les aider à s’internationaliser. Face au manque de formation des cadres d’entreprises de son territoire, il œuvre à les sensibiliser à l’intelligence économique à travers un MOOC de dix heures auquel 5700 personnes se sont déjà inscrites. Pour Florian Rondé, l’intelligence économique défensive et offensive sont des outils majeurs pour la protection ainsi que les prises de décision de la direction d’un grand groupe comme Safran qui est confronté à l’hypercompétition et aux rapports de forces informationnelles. En sa qualité de Funding Intelligence Manager, il allie la recherche et l’analyse de l’information à l’art de la négociation et au développement de stratégies de lobbying.
Les freins au développement de la stratégie de l’industrie de défense française
Les quatre conférenciers ont collectivement identifié les contraintes à dépasser pour renforcer la culture de l’intelligence économique pour la stratégie de l’industrie de défense française. Comparativement à l’Allemagne et l’Italie, très bons à l’exportation, les PME françaises n’arrivent pas suffisamment à se consolider, ce qui fait que nous manquons d’ETI capables de se projeter plus facilement à l’international. En outre, contrairement aux Allemands, les entreprises françaises allant des grands groupes aux PME ne travaillent pas assez ensemble pour conquérir des marchés en influençant les normes comme celles de l’Union européenne. Sans oublier que les PME, du fait de leur taille, sont les plus vulnérables dans la chaîne de valeurs du secteur de la défense face aux groupes étrangers. En cela, les grands groupes du secteur qui disposent déjà de cellules d’intelligence économique pourraient les accompagner pour être plus fortes. Idem en ce qui concerne les laboratoires de recherche et développement qui sont aussi des cibles de choix pour les concurrents. De la même manière, les centres de formation des futurs cadres de l’industrie de défense, à l’instar de l’établissement public Polytechnique, n’ont pas encore développé de cours dédiés à l’intelligence économique. Parallèlement, le refus des banques françaises de financer les entreprises françaises de la défense freine le développement global de la stratégie de l’industrie de défense française.
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Pour aller plus loin :
- Emmanuel Chiva : Osons passer à l’offensive [Colloque de l’IE]
- OpenBox TV et Alain Juillet – La France : cible de la guerre économique
- Premier MOOC IE en Normandie : « l’intelligence économique : pourquoi et comment faire ? »