Élections générales à Taïwan : la défiance de l’île face à l’influence chinoise sur son territoire

Emergeant victorieuse dans l’élection qui l’opposait à Han Kuo-yu, tête d’affiche du parti nationaliste (Kuomintang, KMT), la présidente taïwanaise sortante Tsai Ing-wen (Democratic Progressive Party, DPP) briguera un second mandat de quatre ans. Ces résultats sont un signal fort à destination de la Chine communiste, qui souhaite voir revenir Taïwan sous son contrôle.

Le
11 janvier 2020 se tenaient les élections générales à Taïwan afin de
désigner le Président et le vice-président de la République de Chine
(ROC), mais aussi de permettre le renouvellement du Yuan, l’assemblée
législative locale. Cette élection à un tour, a donné la présidente
sortante du DPP, Tsai Ing-wen, victorieuse
(57,1% des voix) contre son adversaire du KMT, Han Kuo-yu (38,6% des
voix), ce qui lui permettra de briguer un second mandat de quatre années
supplémentaires. Les résultats sont en revanche plus mitigés en ce qui
concerne la partie législative de cette élection, le DPP perdant 7
sièges et le KMT en gagnant 3. Depuis une réforme
constitutionnelle en 2012, le parlement taïwanais est toutefois
contrôlé par le même parti que celui tenant la branche exécutive du
pouvoir politique à Taïwan. 

L’arrivée
au pouvoir en 2016 du DPP ayant considérablement contribué à creuser
les désaccords des deux côtés du détroit, cette nouvelle victoire est
d’autant plus problématique pour les relations entre Taipei et Pékin. La
République Populaire de Chine (RPC) a en effet récemment subi un autre
revers électoral durant les élections de districts à Hong Kong, qui ont
permis au camp pro-démocrate de renforcer sa présence au sein de
l’organe législatif du territoire semi-autonome. En toile de fond, le
conflit à Hong Kong demeure ainsi vecteur d’éloignement entre Taiwan et
la RPC, car révélateur d’un arrangement
moribond selon lequel deux systèmes politiques radicalement différents
cohabiteraient efficacement sous un seul et même drapeau. L’indépendance
de Taiwan, idée longtemps restée taboue sous la direction politique du
KMT, est ainsi redevenue un pilier du débat sur la souveraineté de l’île
et le fer de lance du programme politique du DPP.

Au
travers de ce prisme, les actions d’influence de la RPC vis-à-vis de
Taïwan se révèlent contre-productives de manière évidente. Sur le plan
économique, Taïwan demeure dépendante de la Chine continentale pour ses
importations et exportations ainsi que pour ses relations d’affaires et
son tourisme, sur lesquels la Chine fait planer une menace
constante. 

Depuis
2016, la RPC s’active à encercler Taïwan diplomatiquement et
économiquement, refusant que celle-ci participe en tant qu’observatrice à
certains évènements internationaux, comme la 70ème Assemblée mondiale
sur la santé, ou la 106ème conférence internationale sur le travail en 2017. En 2019, la RPC fut aussi à l’origine du boycott du Golden Horse, festival cinématographique de renom en Chine, ou d’une interdiction
de voyager vers Taïwan aux touristes chinois individuels, ce qui eut
l’effet notoire d’engager les artistes de ce festival au soutien des
manifestants hongkongais et obligea Taïwan à diversifier son offre
touristique, accueillant ainsi 12 millions de voyageurs, soit un nombre
record. Pourtant, le ralentissement économique de l’île, porté par une baisse
globale des exportations dans le secteur de l’industrie technologique,
fait craindre à la population taïwanaise une réunification avec la Chine
continentale par nécessité, mettant de fait l‘exécutif taïwanais en
porte-à-faux quant à sa politique économique.

Sur
le terrain de la lutte informationnelle, Taïwan est le premier
récipient de l’influence chinoise et la société taïwanaise la cible
prioritaire. Le développement des outils d’influence de la RPC a
grandement évolué depuis l’époque où la Chine tirait des missiles en
direction de Taïwan pour intimider cette dernière. Il ne s’agit plus de
faire peur, mais de convaincre les taïwanais. La Chine développe ainsi
depuis des années des canaux servant à inciter la société taïwanaise à
profiter d’initiatives académiques et économiques en Chine continentale.
Depuis peu, ces tentatives ont semblé prendre une tournure plus
insidieuse, à travers des campagnes de désinformation ciblées sur les
résultats de la politique économique de l’exécutif taïwanais. Le concept
de « Sharp Power »,
employé pour désigner les actions offensives dans le cadre de la lutte
informationnelle menée par la RPC, fait ainsi référence aux efforts
menés par le gouvernement de Xi Jinping pour contrôler toute la chaîne
de production de l’information à Taïwan, dont les journalistes, éditeurs
et médias. Le 31 décembre 2019, une loi anti-infiltration a en outre vu le jour à Taïwan, afin de limiter l’écho des campagnes de désinformation émanant du continent.

Il
devient donc évident que le spectre des options du gouvernement de Xi
Jinping quant à son voisin taïwanais tend à être de plus en plus
limité : toute action radicale entreprise par la RPC ne semble
qu’éloigner la perspective d’une réunification avec Taïwan. Considérant
l’importance de cette politique pour le gouvernement chinois et les
difficultés socio-économiques que rencontrent la RPC, la perspective
d’une action vindicative de cette dernière devient d’autant plus
crédible que ses efforts d’influence ne portent pas leurs fruits. Aussi,
dans le cadre plus global des relations sino-américaine, le soutien des
États-Unis à Taïwan, pouvant potentiellement être remis en question par
un accord commercial, reste une donnée stratégique cruciale pour
l’avenir de l’île.

Christophe Moulin