Les États-Unis, quelle superpuissance après l’élection présidentielle de 2020 ?

L’histoire étasunienne a constamment alterné entre périodes d’interventionnisme et d’isolationnisme vis-à-vis du reste du monde. À l’occasion du 24ème colloque Risques de Coface, Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Fabrice Brégier, président de Palantir France, François Durpraire, historien, universitaire et consultant, spécialiste de l’histoire américaine et John Bercow, ancien président de la Chambre des Communes du Royaume Uni, discutaient de l’avenir de la superpuissance américaine.

 

America First, ou bien America Alone ?

Pour Gérard Araud, ancien ambassadeur à l’ONU, Trump a modifié le format de la politique. Les républicains sont une nouvelle droite, une droite identitaire et protectionniste. Cette droite peut être assimilée à l’idéologie des partis politiques européens de droite. L’ère néolibérale de Margaret Thatcher apparaît révolue. Ainsi, se pose la question de la nouvelle gauche à venir.

 

Le bilan de la présidence de Donald Trump pourrait être le suivant : l’Amérique connaît sa plus longue croissance depuis 1945 et le déficit américain s’est accru. Le président américain a évolué, et évolue encore, dans un monde des affaires où l’on met la pression, il use d’une attitude à l’emporte-pièce. C’est en ce sens qu’il s’oppose au multilatéralisme. Ce système trop codifié à son goût l’empêche de procéder comme il le souhaite, il préfère donc user de relations bilatérales. Il tape fort, met la pression, obtient des acquis et communique bien à ce sujet, de façon à convaincre. Le bilatéralisme est en outre une source de problème pour l’UE, car il est source de division interne.

En termes de politique étrangère, ce n’est qu’un retour à l’ordre des choses que les Etats-Unis souhaitent en soutenant une vision néo-isolationniste dans leur rapport au monde. Les démocrates et les républicains soutiennent l’idée que les US ne redeviendront pas les gendarmes du monde. Il ne s’agit donc pas de croire de manière aveugle au slogan « America First », mais plus à « America Alone », les Etats-Unis n’ayant aucun intérêt pour les alliances et les alliés. La question n’est pas de savoir si Donald Trump agira commercialement sur l’UE, mais quand. Il est acquis que l’Europe va rentrer dans une confrontation stratégique avec les Etats-Unis, au même titre qu’avec la Chine.

 

Industrie militaire

Fabrice Brégier, président de Palantir et ex-directeur d’Airbus et MBDA, met en lumière que l’industrie américaine est la priorité du président américain. C’est un domaine indissociable des enjeux de souveraineté, au même titre que la vente de matériel militaire, et demeure un enjeu diplomatique. Lors de son temps à Airbus, Fabrice Brégier a pu constater les relations privilégiées qu’entretenaient Boeing et l’administration d’Obama. À ses yeux, la diplomatie des États-Unis est au service de ses industries, cela est particulièrement vrai pour les industries stratégiques telles que Boeing. De ce côté, Trump n’a en rien innové. Il poursuit la politique historique américaine. La méthode est différente mais le contenu demeure : les intérêts américains primeront.

 

Il estime ainsi que quel que soit le résultat de la présidentielle américaine de 2020, l’UE devra mieux défendre ses intérêts au cours des négociations commerciales avec ses partenaires. L’Europe n’a pas les moyens de jouer dans la même cour que les US : elle est divisée, elle doit maintenir ses liens historiques. Pour Fabrice Brégier, les américains peuvent être d’excellents partenaires commerciaux, il l’a vu avec MBDA et Airbus. La souveraineté d’Airbus s’est aussi bâtie grâce aux Etats Unis, 50% de son matériel étant américain. D’après le dirigeant de Palantir, la pérennité de la puissance américaine dépend de sa capacité à continuer de développer le meilleur des technologies mondiales et en assurer le contrôle, permettant de prendre des décisions sans être influencée par des tiers.

 

Big Data : l’ère de la coopération

Le domaine du Big Data est également prépondérant. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont aussi importantes que les technologies militaires. Par son expérience dans le domaine chez Palantir, Fabrice Brégier explique que la période post-attentats a amené la question de la lutte contre le terrorisme et ainsi l’utilisation par l’Etat français du Big Data. Pour répondre à ce défi, les entités étatiques misent sur la mise en commun des TIC et sur le traitement des données. Ces pratiques sont également utilisées pour lutter contre le trafic et la grande criminalité. Palantir travaille, sur le modèle d’Airbus, à la création d’une plateforme à très grande échelle pour offrir le même service à toutes les entreprises, avec un petit plus : l’entreprise refuse de monétiser les données personnelles des utilisateurs.

 

L’UE est en outre divisée sur la question de la taxation des TIC. Les négociations devaient initialement se faire en groupe, mais l’Allemagne craignant les conséquences sur son industrie automobile, s’est donc retirée des négociations.

 

Au sujet du développement des nouvelles technologies et du rôle des GAFAM, le risque est inhérent à leur utilisation : ce sont les Etats qui doivent fixer les règles, car les technologies peuvent s’y adapter. Il faut valoriser ces technologies par l’application de règles. L’avenir de ces GAFAM sera déterminé par la prochaine élection présidentielle américaine. Pour les industries du numériques, l’enjeu en 2020 sera d’éviter de recommencer ce qui a eu lieu en 2016. D’après Fabrice Brégier, « Ils y jouent leur peau ».

 

Divisions internes aux USA : Donald Trump, une nouvelle façon de gouverner

Selon Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, Donald Trump est le symbole et le symptôme d’une nouvelle façon de gouverner dans les démocraties occidentales. Trump s’adresse à une Amérique abandonnée. On peut faire un parallèle avec le cas français du Pas-de-Calais qui de la gauche profonde a évolué vers l’extrême droite. Un mouvement largement causé par la désertification industrielle. Ce nouveau paradigme électoral dessert particulièrement les acteurs de la Silicone Valley. Selon Fabrice Brégier, la Silicon Valley est devenue une île extraterritoriale, coupée du reste des États-Unis. Palantir est aujourd’hui une des rares entreprises à avouer travailler avec la Silicone Valley.

 

Avenir géopolitique

À l’avenir, les États-Unis devraient être amenés à conduire moins d’interventions militaires. La baisse de l’influence des États-Unis dans le monde est volontaire, au profit de la défense des intérêts américains. Leurs objectifs en politique étrangère se concentrent principalement sur la Chine mais aussi l’Inde et le Japon. Sur la question russe, les intervenants sont sans équivoque : la Russie est à leurs yeux une puissance régionale et sa présence en Syrie n’est pas un problème majeur. Les États-Unis continueront à jouer le jeu des grandes puissances pour servir leurs intérêts. La mission européenne serait alors de convaincre les américains que nous pouvons travailler avec eux et qu’ils ont intérêt à le faire. Gérard Araud souligne notamment la nécessité pour les Européens de de s’adapter au pivot de la politique étrangère américaine vers l’Asie.

 

Christophe Moulin & Louise Vernhes