[JdR] La résilience des entreprises : une nécessité face à un avenir incertain

La crise du coronavirus que vivent aujourd’hui les sociétés européennes expose de fait leurs faiblesses sanitaires, économiques, sociales et politiques, allant jusqu’à imposer un arrêt de la vie courante. Ce qui changera le futur de notre pays sera la capacité de notre système politique, économique et social à surmonter cette épreuve et à en tirer les enseignements nécessaires en faisant preuve de résilience.

Dans notre précédente analyse, nous évoquions les avantages stratégiques d’une politique de continuité d’activité. L’article présent aura donc pour vocation de définir le concept de la résilience et de proposer des pistes à suivre pour développer une résilience individuelle et collective, notamment au sein des entreprises.

 

Le concept de la résilience

La résilience tire son origine dans la physique : la résistance d’un matériau aux chocs, concept qui a depuis été repris dans le domaine de la psychiatrie. Les premiers travaux fondateurs sur la résilience ont été réalisés par Emmy Werner, psychologue américaine, en 1950. A travers ses recherches, il a été établi que les individus avaient la capacité d’évoluer et de s’adapter au cours du temps, en fonction des changements et des transformations de leur contexte de vie.

 

Au regard des travaux sur la résilience menée par la communauté scientifique anglo-saxonne ces dernières décennies, le concept de la résilience a été influencé par :

 

  • John Bowlby et la théorie de l’attachement (années 1960-70) ;
  • Les nombreux travaux sur le stress et le coping (processus d’ajustement) ;
  • L’analyse des différences interindividuelles face au stress et aux traumatismes ;
  • L’analyse des processus de protection individuels et socio-environnementaux ;
  • Les études du développement tout au long de la vie.

 

En France, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a largement participé au développement du concept de résilience. Une définition a été proposée par Vanistaendel, Lecompte et Cyrulnik, qui la présente comme étant « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se projeter dans l’avenir en dépit d’évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». Cette définition englobe non seulement l’individu, mais également un groupe, une collectivité et les interactions sociales entre eux.

 

Boris Cyrulnik s’est particulièrement intéressé à l’engagement des soldats dans les conflits armés et au lien avec le stress post traumatique. Il a montré que ceux qui parvenaient le mieux à surmonter le traumatisme étaient ceux qui l’avaient accepté. Par analogie, la résilience serait la capacité des entreprises à surmonter une crise en s’adaptant et en modifiant son organisation afin de mieux affronter les chocs futurs.

 

Il y a une dizaine d’années, le gouvernement français s’est naturellement emparé de ce concept, qui lui permet entre autres de subsister à travers les crises. Le domaine de la défense et de la sécurité nationale est en première ligne. Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 définit le concept comme « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou tout le moins dans un monde socialement acceptable ». Cette définition se retranscrit bien au niveau des institutions militaires. La résilience est dans l’essence même de nos armées. Des unités comme le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) évoluent sans arrêt en s’adaptant au contexte, à l’incertitude, pour toujours pouvoir répondre au mieux face aux crises.

 

Arrêtons-nous un peu plus sur ce concept. La résilience est avant tout un état d’esprit que l’humilité, la patience et la volonté nous permettent de bâtir. Ces qualités nous aideront à anticiper les épreuves et le cas échéant, nous aideront à les surmonter. La résilience, c’est aussi un état des lieux, un bilan, qu’il est préférable de réaliser avant l’absorption d’un choc. Les responsables concernés, en appui des dirigeants, vont alors rédiger/revoir les procédures, investir, que ce soit au niveau RH (gain de compétences, formation/sensibilisation) ou logistique (amélioration de la sûreté, site de repli…). Quand viendra la crise, l’entreprise sera plus résiliente, mieux préparée à surmonter le choc.

 

En outre, l’environnement dans lequel opère l’entreprise aura de facto un impact sur sa résilience. Une entreprise pour laquelle le marché est ultra compétitif n’aura d’autre choix que de s’adapter perpétuellement et de se transformer si elle veut assurer sa pérennité. Les partenaires et les fournisseurs jouent un rôle crucial dans la capacité de l’entreprise à répondre aux chocs. Le cas d’une PME à l’export en est un exemple parlant.

 

La résilience au sein des entreprises

Au niveau de l’entreprise, nous pouvons distinguer plusieurs natures de résilience : organisationnelle, collective et individuelle. La première renvoie à la préparation de l’entreprise (PCA, plan de gestion de crise, etc.) et à sa capitalisation de l’expérience (ne pas reproduire les erreurs passées). La résilience collective est la manière dont les équipes vont ensemble surmonter les épreuves qui peuvent par ailleurs se développer à travers des exercices opérationnels (d’évacuation, de crise…). La dernière est tout simplement la manière dont nous allons appréhender la crise et l’humilité avec laquelle nous en ressortons.

 

En France, en 2019, ce sont près de 52 000 entreprises qui sont défaillantes. Même si les chiffres indiquent une baisse de près de 5% par rapport à l’année 2018, cela nous montre que l’environnement reste très compétitif et qu’il est nécessaire de s’adapter en permanence. Pour cela, la stratégie doit être globale. Cela passe par la définition d’objectifs clairs et atteignables (SMART pour Spécifique Mesurable Atteignable Réaliste et Temporel), à la surveillance de son environnement (politique d’intelligence économique) et au déploiement des capacités opérationnelles (management, investissement…).

 

Les entreprises ont la possibilité de renforcer leur résilience à travers quatre grandes étapes que nous pouvons synthétiser ainsi :

 

  1. Elles peuvent, dans un premier temps, développer leur compétence en gestion de crise : caractériser la notion de crise, penser l’impensable, construire une cellule de crise (organisation, fonctionnement et pilotage) et maitriser la communication de crise.

 

  1. Dans un deuxième temps, il s’agit de cultiver l’intelligence collective et l’introspection pour former une coopération avec des interdépendances mutuelles (constituer et s’appuyer sur un réseau interne).

 

  1. Dans un troisième temps, les dirigeants doivent développer une stratégie robuste qui repose sur une vision à long terme du développement de l’entreprise selon différents scénarios. Ils doivent également avoir la capacité de percevoir des signaux faibles, d’appréhender les vulnérabilités de l’entreprise et de déterminer ses activités critiques. Enfin, il convient que l’ensemble des collaborateurs entretiennent une résilience personnelle.

 

  1. La dernière étape consiste à tester le dispositif mis en place à travers des exercices. Ils sont en effet un moyen permettant de mettre à l’épreuve les plans pour en vérifier non seulement l’efficacité, mais également l’efficience et la pertinence. Les avantages de ces exercices résident dans le fait qu’ils testent les trois catégories de résilience, organisationnelle (puisque les dysfonctionnements sont corrigés), collective (puisque sera évaluée la gestion de la crise) et individuelle (puisque cela va mettre en évidence l’état psychologique de l’individu). L’exercice ne peut être fructueux que s’il a permis l’amélioration de ces trois indicateurs. Tous ces axes d’amélioration devront faire l’objet d’un plan d’action, en priorisant les mesures essentielles des mesures secondaires, afin de pallier les dysfonctionnements recensés et ainsi asseoir sa compétitivité.

 

En d’autres termes, la résilience au sein des entreprises passe avant tout par ses hommes et ses structures.

Bien que nous évoluions dans un monde incertain, globalisé, où les risques et les menaces sont omniprésents, l’entreprise doit néanmoins pouvoir décider. Comme le disait Edgar Morin, dans son ouvrage Pour une crisologie, « Il s’agit aujourd’hui d’approfondir la crise de la conscience pour enfin faire émerger la conscience de la crise ». La mémoire de l’entreprise sur la capitalisation de ses exercices et des crises passées et l’implication des dirigeants et des équipes permettront de bâtir un système résilient, capable d’encaisser les chocs futurs voire d’en tirer parti pour prendre l’avantage sur ses concurrents.

 

Nicolas Ragot & Benjamin Roman