La sémantique de la guerre est omniprésente dans les allocutions du président de la république : la protection, la lutte, la transparence, la reconquête, la mobilisation, ou encore la souveraineté. Quelles conditions doivent être réunies pour nous défendre ? Quelle stratégie la France suit-elle pour organiser son front de guerre ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour « rebâtir notre souveraineté » ? L’analyse de la crise sanitaire actuelle s’avère très pertinente pour décrire notre dépendance économique croissante à la production étrangère.
Nous sommes en guerre. En guerre sanitaire mais aussi en guerre économique : illustrée en ce moment même dans la course à l’importation des masques qui se déroule sous nos yeux démunis. C’est le dessin vulgaire, sans artifice d’un jeu de puissances et de dépendances qui structurent nos chaînes de production. Lors de son allocution du 31 mars, le président de la République, Emmanuel Macron a présenté des solutions durables concrètes, que le pays s’apprête à mettre en place.
Plusieurs facteurs doivent être réunis pour parvenir à endiguer cette crise de manière pérenne. Pour « réduire notre dépendance et nous équiper dans la durée » s’exclame Emmanuel Macron. Nous voyons une prise de conscience des politiques : produire en France est une nécessité. Le président dans son discours souligne à plusieurs reprises que nous devons reconquérir notre production, nous devons la faire fructifier en France. Il cible trois domaines : les masques, les respirateurs, et les produits. Ces trois derniers sont les éléments nécessaires pour parvenir à une bonne gestion de la crise. Le gouvernement les qualifie de « produits à caractère stratégique » et impliquent donc « une souveraineté européenne » quant à leur production.
A plus grande échelle et en période prospère de l’économie comment pouvons-nous caractériser des produits stratégiques ou non ? Faut-il attendre une autre crise d’un autre type pour faire dérouler la liste ? Comment reconquérir notre production ?
Pour les masques, Emmanuel Macron souligne l’avantage français d’avoir gardé l’expertise de la production et le fait valoir. « Nous avons l’expertise », nous pouvons fabriquer des masques en France et en grande quantité. Ainsi nous devons reconquérir cette production nationale, pour arriver à la fin de la crise à une production 100% européenne. Oui cette expertise est partagée par de nombreux acteurs mondiaux, oui elle n’est pas nécessairement plus qualitative qu’ailleurs, oui les coûts de production peuvent différer d’un pays à l’autre. Mais nous ne pouvons pas mettre des personnes en danger, sans masques, car notre stratégie de production est inexistante. Nous ne pouvons pas une deuxième fois faire face à un tel paradoxe : attendre une livraison de masques chinois pour se protéger d’un virus d’origine chinoise. Ces masques ne sont qu’un exemple, et l’ironie de cette situation ne peut que nous réveiller.
Le deuxième point important est la mobilisation de nos moyens de production. En temps de guerre il faut être unis, il faut mettre toutes nos forces ensemble pour être productif. La production de respirateurs reflète la volonté française de repenser notre production. Nous avons besoin de ces machines en quantité pour soigner nos malades. L’usine d’Air Liquide à Antony est depuis le début de la crise pleinement mobilisée. Une initiative industrielle s’est forgée, un consortium s’est créé entre des grands industriels français : Air Liquide, Schneider Electric, Valeo et PSA. Nous voyons une France industrielle unie, qui sait produire efficacement dans un temps record.
Enfin nous avons besoin d’un Etat garant et présent. Pour financer cette production dans un premier temps le gouvernement annonce une dotation de 4 milliards à Santé Publique France.
Emmanuel Macron ne s’est pas prononcé sur les tests de dépistage. Face à la crise sanitaire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a délivré un message clair : « Testez, Testez, testez » le 16 mars dernier. Elle a incité à tous les pays à accentuer les programmes de dépistage de la population pour freiner la pandémie. La non communication de ce sujet lors discours présidentiel soulève des questions sur le manque de vision stratégique du gouvernement. La France est loin d’être le pays ayant réalisé le plus de tests pour dépister le Covid-19 comparé à son voisin Allemand, qui a testé cinq fois plus qu’en France. Mais la France est-elle capable de tester en masse ?
Selon l’analyse de Sébastien Gibault, directeur général des laboratoires Eurofins Biomnis, « Le vrai problème est que tout le monde a besoin de la même chose partout à travers le monde au même moment. Et ce, dans des quantités qui se situent bien au-delà de ce que les fournisseurs peuvent proposer tout de suite ». Les tests de biologie moléculaire sont très majoritairement produits à l’international et seulement quelques acteurs français, comme Biomérieux, AAZ et Eurobio Scientific produisent en France.
De plus l’augmentation attendue des tests homologués en France ne devrait guère changer la donne, comme le déplore François Blanchecotte, président du Syndicat des Biologistes et biologiste médical dans la banlieue de Tours : « L’Agence nationale de sécurité du médicament et l’Assurance Maladie doivent faire passer les tests de 6 à 12 références, mais aucun des fabricants n’est français, les produits proviennent d’Espagne, de Corée du Sud… ».
Encore une fois cette crise ne fait que pointer du doigt les dépendances de plus en plus accrues de notre production.Comme le répète Emmanuel Macron « nous sommes en guerre ». Un état de guerre implique une sortie de la guerre. Ce réveil des consciences sur notre stratégie industrielle est-il temporaire ? Allons-nous tirer des conclusions sur le long terme de cette crise, de cette guerre économique et sanitaire ? La guerre économique n’est pas qu’un problème de concurrence exacerbée qui va au-delà des principes économiques moraux. Non, la guerre économique dans la crise que nous vivons vient remettre en cause notre souveraineté nationale et nous pouvons répliquer.
P.de.B & A.C