Les services de renseignements de l’état islamique : des origines de l’organisation à la menace terroriste actuelle [Partie 2/2]

La proclamation d’un nouveau Calife, le 30 novembre dernier, à la tête de l’état islamique nous offre l’occasion de revenir sur un des outils de puissance, véritable pilier sous le Califat : la constitution de services de renseignements à la structure comparable aux services d’États occidentaux.

 


La première partie de cette analyse, parue jeudi 13 janvier, porte davantage la curiosité du lecteur sur l'origine et la structuration des services de renseignement de l'État Islamique, qui les ont amenés à adroitement s'organiser, et devenir adepte de méthodes précises, y compris en matière de contre-espionnage.


 

Les femmes au sein de l’EI : une place trop souvent sous estimée 

L’exemple de l’américaine Allison Fluke-Ekren est à ce titre évoquant. Entre 2012 et 2019, Allison Fluke-Ekren a soutenu des organisations jihadistes en Libye, en Irak et en Syrie, où elle a fourni un entraînement militaire à plus d’une centaine de femmes. En juin 2022, lors de son procès, elle a notamment reconnu avoir appris à ses consoeurs, dont certaines n'avaient qu’une dizaine d’années, à manier des fusils d'assaut ou des ceintures d'explosifs. Elle a effectué de nombreux voyages en Syrie et a reconnu avoir planifié et recruté des combattants dans le but de commettre une attaque aux Etats-Unis. Allison Fluke-Ekren, prenant la kounya de Oum Mohammed al-Amiriki,  a surtout dirigé un bataillon de l’EI dont le principal objectif était d'entraîner des jeunes filles, et femmes, au combat, plus connu sous le nom de “Katiba Nussaïba”. Cette Katiba a été créée en 2016 et est composée exclusivement de personnes féminines, mariées elles-mêmes à des combattants de l’EI. 

Un second exemple, tout aussi parlant, est celui de la jihadiste française Emilie Koning  qui a été mise en garde à vue dès son arrivée sur le territoire français et est soupçonnée, parmi plusieurs autres griefs, de n’avoir recruté pas moins de 200 combattants de l’EI. L’amniyat contrôlait, à ce sujet, la hisba, police – constituée de femmes – des mœurs féminines au sein du territoire. Elle veillait par exemple, au strict respect de règles établies, concernant les vêtements ou encore à la séparation des indidivus de sexe masculin et féminin dans les espaces publics. 

 

La France face à la menace terroriste actuelle : entre contraintes et enjeux 

Si le terrorisme est un sujet difficile à questionner au vu du peu de sources accessibles, certains enjeux cruciaux sont néanmoins à appréhender au vu d’une actualité toujours brûlante. L’exemple même de leur présence, détectée par des analystes américains sur des plateformes NFT démontre une réelle volonté de s’adapter à la nouvelle ère technologique, et de continuer leur combat, malgré un territoire et des moyens largement plus restreints qu’avant. De même que l’arrestation, le 8 janvier dernier, d’un iranien soupçonné de confectionner des armes biologiques à des fins terroristes rappelle le changement de stratégie, et la tentative de modernisation des moyens, certes moindres en la matière, qu’utilisent les terroristes dans la réalisation de leurs objectifs. 

Des risques majeurs demeurent présents en France, dont une potentielle projection d’attentats peut être envisagée, qui pourrait notamment survenir lors d’évènements sportifs comme les Jeux Olympiques à venir, à Paris en 2024. A titre d’exemple, la branche yéménite d’AQ dans la péninsule arabique (AQPA) a appelé au boycott de la coupe du monde de football ayant lieu au Qatar. Le groupe terroriste a alors accusé les pays du golfe de “travailler à la solde des croisés” et a déclaré que cet événement faisait partie de la “stratégie d’invasion de l'ennemi”.  

 

Les sortants de prison représentent aussi un risque conséquent et nécessitent un suivi, et non des moindres, qui est opéré par les autorités compétentes. En outre, leur nombre accroît durant ces dernières années avec plus de 300 individus condamnés pour terrorisme qui ont été libérés, dont environ 70 en 2022. A ce sujet, l’UCLAT (Unité de Coordination de la Lutte Anti-Terroriste), qui dépend du ministère de l'Intérieur, travaille sur ce suivi inhérent aux risques que composent les sortants de prison. Un des responsables avait alors précisé son fonctionnement : “c'est un dispositif qui permet de rassembler tous les mois l'ensemble non seulement des services antiterroristes, renseignement et judiciaire, mais également tous les partenaires qui vont mener une action d'entrave, y compris administrative”

Si la pratique de taqiya n’est pas nouvelle, comme le rappelle le juge Marc Trévidic, “la dissimulation est une technique vieille comme le monde", elle peut tout de même permettre à certains de passer outre la vigilance des services. Cette attitude de dissimulation opérée par certains musulmans radicaux, ayant pour objectif de dissimuler leurs croyances afin de ne pas attirer l’attention, s’ajoute aussi au panel des difficultés rencontrées par les services compétents en la matière. 

 

De plus, les conflits d’aujourd’hui sont polymorphes et comprennent différents protagonistes et belligérants, rendant les rapports de force d’autant plus forts, d’autant plus longs. Dans un tel contexte, la lutte de certains États contre des organisations protéiformes qui n’ont pas de territoire à proprement parler, pose aussi des problèmes juridiques dans la résolution des conflits. La dichotomie opérée entre les services de renseignements intérieurs et extérieurs est certes réelle car départagée en fonction du domaine de compétences, mais celle-ci n’en demeure pas moins complémentaire. En matière de sécurité extérieure, quelques éléments d’actualité comme la situation turque  –  dont une éventuelle accaparation des forces démocratiques syriennes par la menace turque, pourrait potentiellement engendrer une sécurité diminuée autour des camps d’Al-Hol et d’Al-Roj notamment, représenterait des risques avérés de libération de jihadistes – remettent à l’ordre du jour les liens existants entre ce qu’il se passe en dehors de nos frontières et le territoire national. Ces camps représentent un État dans l'État, et dont les démonstrations d'allégeance à l’EI se répètent régulièrement, comme celui de l’index levé vers le ciel notamment, ne cessent de démontrer que la menace pèse toujours sur le territoire national. 

Si les professionnels s’accordent à dire qu’il est très difficile de faire un état des lieux précis des nébuleuses jihadistes, des menaces demeurent menaçantes pour la France. En outre, certaines sont plus facilement identifiables que d’autres, bien qu’elles puissent paraître contraire d’un prime abord. Certains courants de l’islam politique espèrent s’intégrer dans les méandres de l’administration française, se servant ainsi d’elle, et s’inscrivent, finalement, dans le même objectif que le jihad d’épée. Le salafisme politique – dont la galaxie des Frères musulmans en est une illustration –  est bien souvent oublié dans les discours politiques, mais n’en demeure pas moins comme étant une mouvance servant in fine, comme écrit ci-dessus, les mêmes objectifs. 

Ce constat est partagé par le général d’armée (2s) Richard Lizurey, Frédéric Péchenard et Eric Delbecque, qui ont ensemble co-rédigé la préface du livre “Le jihad en France” d’Alexandre Rodde, déclarant alors que le “salafisme politique et le jihadisme salafiste sont en réalité les deux faces d’une même médaille, l’un préparant la survenue de l’autre”. 

 

Madeleine Robbin

 

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