Économie de guerre et guerre économique au Mali

Jadis, certains investisseurs internationaux prenaient la carte de l’Afrique et cochaient en rouge les zones sensibles. A éviter. Aujourd’hui, face à la concurrence, la plupart ont appris à faire des affaires dans les régions à risque. Économie de guerre et guerre économique au Mali : synthèse.

La plupart des spécialistes du Mali sont unanimes sur un point : avant le coup d’Etat du 21 mars qui a conduit à la chute d’Amadou Toumani Touré, l’économie nationale – minée par la corruption de l’élite politique et l’expansion de l’économie informelle – était plongée dans une crise profonde. En 2011, la croissance réelle s’est repliée à 1.1 %. En cause, la chute de la production agricole, l’envolée des cours des produits alimentaires et des hydrocarbures, auxquelles se sont ajoutées la guerre en Libye et la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. En accélérant l’effondrement de l’institution étatique, les islamistes ont contribué à redessiner le marché malien et même sous régional en favorisant le business de la guerre.
Sur le plan humanitaire, les associations et ONG internationales guettent le moindre départ de pandémie, de pénurie d’eau potable ou de famine pour lancer les collectes de fonds. Les chasseurs d’images traquent déjà les photos de femmes et d’enfants malnutris ou sans abris qui illustreront les affiches des prochaines campagnes de fundraising. Dans la crise humanitaire qui ne manquera pas de survenir en cas d’intervention militaire étrangère, les fabricants de médicaments et de matériels de premiers secours ainsi que les industriels de l’eau tels que Severn Trent, pour ne citer qu’un seul, anticipent de bonnes affaires grâce aux commandes des ONG, des grands pays donateurs et des agences spécialisées de l’ONU.

Le business des mines a flambé en même temps que le commerce illicite
Dans la partie sud du pays, les hôtels, restaurants et centres de loisirs – pour ceux qui ouvrent encore – fonctionnent en moyenne à moins de 30% de leurs capacités. Face à la déliquescence du tertiaire, le business repose essentiellement sur ses deux autres piliers que sont l’or et le coton qui génèrent à eux seuls 30% du PIB malien. Pour ce qui est de l’or, les analystes attendent une production de 12 tonnes, en 2012, des 8 mines en exploitation à Sikasso (Kalana, Kodiéran, Morila, Syama) et à  Kayes (Kadiolo, Loulo et Tabacoto, Yatela), ce qui fait du Mali le troisième producteur africain d’or. Bien que l’Etat malien ne bénéficie que de 20% des revenus de ces mines, les autorités n’ont eu de cesse de céder de nouveaux gisements aux entrepreneurs privés. Quant au coton, la campagne agricole 2012-2013, devrait battre un record avec 600 000 tonnes de coton graine et 2,5 millions de tonnes de céréales, d’après les chiffres de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles.
Dans la partie nord, avec l’interdiction instaurée par les islamistes de commercialiser du tabac et de l’alcool, la contrebande a pris une ampleur phénoménale. Dans un contexte où les couples illégitimes, les buveurs d’alcool ou les fumeurs pris en flagrant délit sont fouettés sur la place publique, il faut discrètement demander du « paracétamol » au marché noir pour obtenir une cigarette. Le marché central de Gao, quant à lui, grouille de monde tous les jours. Mais curieusement, malgré la hausse des prix, les produits de base restent disponibles.

Aucun grand média ne relève les efforts du lobby militaro-industriel
Les grands médias veulent faire croire à l’opinion publique internationale que Bamako et ses alliés étrangers ont subitement découvert le danger islamiste dans une zone sahélienne sous haute surveillance électronique de l’aviation étatsunienne. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme islamiste, on fait témoigner les populations déplacées – parmi les 200 000 qui ont fui les combats dans le septentrion malien – en faveur d’une intervention militaire étrangère sans en livrer les vrais mobiles économiques et géostratégiques sous-jacents. Comme dans une espèce d’entente secrète, aucun grand média ne relève les efforts du lobby militaro-industriel, à New-York notamment, pour encourager certains membres du Conseil de sécurité des Nations unies à participer à une intervention armée dans le nord Mali.
Etalée sur 4 millions de km², la zone sahélienne est devenue le principal point d’attraction des islamistes radicaux du sud du Niger, du Tchad et du nord du Nigeria. Pour certains analystes militaires, un « petit point lumineux » intéresse les Occidentaux dans cette région : Tessalit, dans la région de Kidal, une base ultra stratégique aux plans économique et militaire. Le contrôle des accès aux matières premières minières dont le gaz et le pétrole, l’or et l’uranium que possèdent les sous-sols algérien, libyen, nigérien et malien, ainsi que la stratégie atlantiste de blocage de la montée en puissance chinoise dans cette partie du monde constituent les enjeux majeurs de ce qui se trame dans le nord Mali.

L’aide logistique profite aux capitales voisines du Mali, sauf à Alger
Dans son édition du 6 avril 2012, le journal malien «L’Indépendant» annonçait une livraison de matériel militaire du Qatar par avion-cargo à l’aéroport de Gao, à destination des rebelles. Un précédent ravitaillement était intervenu le 10 mars 2012, déchargeant plusieurs véhicules 4X4 et d’importantes quantités d’armes sophistiquées et de munitions. Le 6 juin 2012, le journal satirique, Le Canard enchainé, s’appuyant sur des informations de la Direction du Renseignement militaire français, annonçait que «les insurgés du MNLA (indépendantistes et laïcs), les mouvements Ansar Dine, Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) et MUJAO (Djihad en Afrique de l’Ouest) ont reçu une aide en dollars du Qatar».
D’après nos informations, le Département de la Défense américain a alloué des camions, des uniformes et du matériel de communication à la Mauritanie pour un montant de 6,9 millions USD en juillet 2012. Dans le même élan, Washington a décidé l’octroi de 11,6 millions de dollars au Niger sous forme de matériels d’équipement, de surveillance et de transport des troupes. Ouagadougou a également bénéficié des faveurs américaines pour permettre aux forces spéciales US de se déployer dans le cadre du programme de surveillance « Sand Creek » à partir d’une base située au Burkina Faso. Opposée à une intervention militaire occidentale, l’Algérie qui partage plus de 1 300 km de frontières avec le Mali, serait prête à revoir sa position si les Etats-Unis acceptaient de lui fournir des drones de surveillance. Ce à quoi Washington répond par la négative. En somme l’aide logistique bénéficie aux capitales voisines du Mali ; sauf à Alger, idéologiquement trop proche de Moscou et de Damas.

Les ingrédients pour passer de l’économie de guerre à la guerre économique
Dans le cadre de son économie de guerre, Bamako a instauré un train de mesures exceptionnelles, depuis quelques mois, dans le but de maintenir les activités économiques indispensables au pays. L’importation de produits agricoles à forte teneur de glucide, des commandes de matériel militaire, des cessions de gisements de matières premières à des entrepreneurs privés sont autant de business accélérés par l’Etat depuis le putsch du 21 mars. Malgré ces efforts, les conditions de vie des Maliens se sont considérablement détériorées. Le chômage et la précarité consécutifs au ralentissement des activités et aux fermetures d’entreprises, la réduction de la production agricole, le renchérissement des prix des denrées de base et la détérioration des échanges avec les pays voisins ont créé les conditions propices à l’expansion d’une économie parallèle et au trafic de produits illicites.
D’un autre côté, l’économie de guerre est toujours une occasion de croissance et de développement pour les pays non belligérants géographiquement et/ou économiquement proches de la zone de conflit du fait qu’ils peuvent augmenter leurs exportations aux belligérants.  La crise malienne n’y échappe pas, les politiques ayant réuni tous les ingrédients nécessaires pour passer de l’économie de guerre à la guerre économique. Depuis le coup de force militaire du 21 mars, certains opérateurs algériens, sénégalais, nigériens et mauritaniens notamment ont littéralement transformé leurs frontières avec le Mali en comptoirs de trafic, avec la complicité de douaniers véreux. Devant la baisse drastique des exportations vers la sous-région – le Mali est une zone de transit importante au sein de l’UEMOA – des vendeurs de produits pétroliers et des matériels de construction, pour ne citer qu’eux, réalisent des montages ultra sophistiqués et hautement risqués pour leur sécurité, qui s’avèrent de loin plus rentables et plus concurrentiels qu’en période de paix.
Jadis, certains investisseurs internationaux prenaient la carte de l’Afrique et cochaient en rouge les zones sensibles. A éviter. Depuis, nombreux ont appris à investir dans des zones à risque. Pour ceux qui font du business avec la crise malienne, la liquéfaction de l’institution étatique et la lutte contre le terrorisme islamiste offrent deux fenêtres de tir extraordinaires pour transformer ce pays en un vaste marché noir.