A l’heure où PSA internationalise une partie de sa R&D en Chine, il est intéressant de comprendre comment Pékin s’y prend pour relever les défis induits par le boom de son économie.
L’une des questions cruciales concerne le capital humain, dimension stratégique pour le développement d’un pays qui n’est classé que 33ème du Global Talent Index (Heidrick & Struggles, en partenariat avec The Economist Intelligence Unit, perspectives 2011-2015).
Partout, le recrutement des cols blancs est un challenge difficile
Une étude menée pour la Harvard Business Review1 indique qu’en Amérique du nord et en Asie, seules 15% des entreprises sont confiantes quant à leur capacité de recruter les hauts potentiels dont elles auront besoin dans les années qui viennent. L’Europe, légèrement plus optimiste, n’arrive qu’à 30%. Une autre enquête2 indique qu’en 2011, près de 45% des employeurs de la zone Asie Pacifique connaissent des problèmes, contre 28% en 2006.
Dans le contexte de globalisation et d’hyper-concurrence qui caractérise notre époque, l’identification de leaders prometteurs est pourtant un enjeu stratégique puisque la nouvelle économie est celle de la connaissance et des savoirs. Il est donc indispensable pour les responsables des ressources humaines de se doter des bons outils permettant d’attirer les candidats les plus talentueux.
Les Etats sont bien sûr concernés, et en Chine, le gouvernement ne s’y trompe pas : plus volontariste que jamais, il ouvre désormais les portes de ses entreprises publiques aux cadres et managers étrangers.
Pourquoi de telles difficultés ?
Pour certaines entreprises, les causes sont clairement internes : réputation peu flatteuse, package salarial en dessous de la moyenne, localisation peu attirante, secteur d’activité peu attractif, etc. Mais pour les entreprises performantes, si les bons candidats font défaut, c’est d‘abord parce qu’ils sont rares : il est en effet difficile de trouver la bonne combinaison entre les soft skills – résistance au stress, capacité d’écoute et de prise de décisions – et les hard skills. Une expérience insuffisante, un état d’esprit inadéquat ou des attentes salariales démesurées peuvent aussi poser problème. En Occident, l’environnement économique peu favorable est quant à lui un facteur aggravant car il limite les velléités de changement, ce qui implique moins de candidats disponibles sur le marché.
En ce qui concerne la Chine, la pénurie existe en dépit d’un nombre important de nouveaux diplômés chaque année. Le manque est particulièrement criant pour les fonctions de cadres et dirigeants qui nécessitent un bon niveau d’anglais ainsi qu’une bonne culture générale. Les candidats valables sont peu nombreux, ce qui les place en position de force face aux recruteurs. Il est d’ailleurs courant de voir un manager occupant un poste stratégique quitter brutalement son entreprise, le plus souvent juste après la distribution des bonus du Nouvel An chinois. Parfois, c’est même toute son équipe qui l’accompagne. Il va sans dire qu’il devient difficile dans ces circonstances de capitaliser sur les connaissances internes et de protéger son patrimoine intangible. L’enjeu est donc de taille.
Chine : le retour des « haigui »
Les douze programmes que la Chine a lancé pour attirer des experts étrangers apporteront peut-être une solution à ce problème. Ils s’inscrivent dans une stratégie de puissance de l’Etat chinois, dont l’objectif est de constituer un vaste pool de compétences qui permettra au pays de relever les défis qu’il s’est fixés pour 2020, notamment en matière d’innovation et de management. Le « Recruitment Program of Global Experts » (One Thousand Talent Scheme), initié en 2008, cherche ainsi à attirer la matière grise étrangère capable de jouer un rôle décisif pour l‘économie du pays. En août 2011, selon les statistiques officielles, ce serait plus de 1500 scientifiques et professionnels de haut vol qui auraient déjà été amenés à travailler en Chine. Cela reste toutefois relativement peu pour une population de plus d’un milliard d’habitants.
Sans surprise, ce sont les chinois de la diaspora, ou chinois d’outre-mer, qui sont la cible prioritaire. L’intérêt pour les entreprises est évident : les « haigui » (海歸 : diplômés qui reviennent au pays), formés dans les meilleures universités mondiales, sont en général bilingues – voire trilingues s’ils ont étudié en Europe, au Japon, en Inde ou en Amérique du sud – et ils connaissent très bien les subtilités culturelles des pays où ils ont vécu. Pour le gouvernement qui souhaite les séduire, la fibre patriotique est un levier essentiel, mais pas toujours suffisant car les conditions financières d’un retour restent encore souvent désavantageuses. La crise actuelle, avec son lot de mesures de rigueur qui touchent principalement les économies occidentales, pourrait toutefois accélérer le retour des « cerveaux » au pays, en éliminant un certain nombre de barrières psychologiques et matérielles. Au passage, il est important de faire la distinction entre les étudiants venus chercher un master/MBA en occident, et les American Born Chinese, ou European Born Chinese. Ces derniers se considèrent avec humour et dérision comme de vraies « bananes » : jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Leurs réseaux sont différents, ainsi que leurs modes de pensée.
Sociétés à capitaux étrangers en Chine : une logique d’expatriation de moins en moins pertinente
Les sociétés à capitaux occidentaux qui sont implantées en Chine s’inscrivent dans une logique un peu similaire. En effet, pourquoi continuer à fonctionner avec un système d’expatriation dont le coût est très élevé ? Une toute nouvelle loi sur la sécurité sociale vient même de durcir les conditions, et les autres contraintes ne sont pas négligeables : problème de langue et d’adaptation, donc risque d’échec ou de retour prématuré, reclassement délicat lors du retour ou au contraire danger d’enlisement dans une routine locale trop confortable. Par ailleurs, le différentiel en termes de compétences s’est considérablement réduit puisqu’un jeune chinois revenant de Harvard, de la LSE, de l’INSEAD ou même d’une université moins prestigieuse, aura pour lui le triple avantage de la langue, de la culture et du guanxi3, en plus de son diplôme. La transition est donc bien réelle, et en mars 2011, c’est avec une ironie très british que The Economist résumait la situation : l’Asie, si elle offrait auparavant de nombreuses opportunités aux filth – « Failed in London, trying Hong-Kong » – laisse désormais de côté des fishtail – « Failed in Shanghai, trying again in London ».
Néanmoins, certaines fonctions sont encore réservées aux expatriés, comme celles liées à la représentativité nationale, à une expertise spécifique, ou encore à un besoin particulier en termes de management, d’image de marque, ou de protection de la technologie. En Janvier 2011, c’est par exemple Maxime Picat qui a remplacé Liu Weidong à la tête de Dongfeng Peugeot Citroën Automobile Co., Ltd. Mais nul doute que l’extension des activités du groupe au sein de son « China Tech Center » nécessitera une campagne de recrutement à caractère nettement plus local.
Quid des sociétés chinoises en Occident ? Si beaucoup d’entre elles n’ont pas encore inscrit l’international dans leur ADN, quelques championnes ont quand même pris de l’avance, et marchent dans les pas du japonais Toyota. Huawei (télécoms) est ainsi déjà bien implantée en occident et recrute activement pour ses sites allemands et suédois. On sait qu’en Chine, la société débauche sans scrupules, qu’elle paie bien, et que ses employés travaillent dur. Il est donc intéressant de s‘interroger sur la façon dont les chinois gèrent la fonction RH, et de s’attarder sur les mécanismes de promotion des élites.
Promotion des élites en Chine : népotisme ou méritocratie ?
Le système chinois de promotion des élites a été expliqué dans plusieurs ouvrages de façon approfondie. Des mécanismes d’échange existent entre les grandes universités et les grandes entreprises. La Tsinghua university (Beijing), d’où sont diplômés le président Hu Jintao et son fils, est par exemple très habile dans l’incubation de technologies avancées. Selon Xinhua, la Chine a ainsi déjà crée 150 incubateurs, fournissant des services à 8.000 entreprises, et employant 20.000 « haigui ». La CEIBS, China Europe International Business School (Shanghai), est quant à elle très active dans le domaine économique et ses programmes MBA sont largement ouverts aux Européens. Elle développe de nombreux partenariats, comme en 2007 avec l’EM Lyon et quatre entreprises chinoises (Shenzhen Tianma Microelectronics Co., Ltd., Beijing Four Dimensions-Johnson Security Co., Ltd., Lenvo Co., Ltd. and Sany Heavy Industry Co., Ltd.).
Mais la situation est loin d’être satisfaisante. En 2009, fait très rare, le ministre de l’éducation Zhou Ji a été limogé. Le système éducatif frôle la faillite dans bien des domaines : financements déséquilibrés, dévaluation et allongement des études, bureaucratisation, marchandisation, etc. Dans les entreprises, la menace est liée à de vieilles traditions encore très présentes, caractérisées par des stratégies familiales aux relents de népotisme. Celles-ci polluent la vie de nombreuses organisations et parasitent leurs performances. Les pratiques de corruption qui en découlent ralentissent en effet l’activité et diminuent l’efficacité. Bref, le système n’est pas suffisamment méritocratique. Mais ce n’est certainement pas une exclusivité chinoise, et les chinois eux-mêmes, conscients des limites de ce système, réfléchissent activement à des voies d’amélioration.
IE vs. RH : des synergies évidentes à exploiter pour la collecte, le partage, la protection et l’influence
En Europe ou en Chine, les professionnels français des ressources humaines peuvent heureusement s’appuyer sur la « pensée IE » pour relever de nombreux défis : celle-ci place la gestion des connaissances au cœur des pratiques managériales, or c’est précisément la fonction RH qui incarne ce rôle au sein des organisations, puisqu’elle est le chef d’orchestre en charge du management des compétences et des savoir-faire.
Les points de convergence sont nombreux. En termes de collecte, le DRH doit savoir anticiper pour comprendre quelles seront les compétences stratégiques de demain, il doit trouver les bons candidats, réaliser profilings et analyses psychologiques, suivre l’évolution des salaires, des lois, ou encore exploiter les entretiens d’embauche pour découvrir ce que font les concurrents, clients et sous-traitants. En termes de partage, il doit assurer la circulation de l’information afin de stimuler l’innovation, tout en veillant à la cohésion des équipes : les outils collaboratifs doivent être maîtrisés, et l’état d’esprit correspondre à cette logique. Le DRH doit également consolider les liens avec les grandes universités, afin de renouveler les modes de pensée ainsi que les leviers de coopération. Dans le domaine de la protection, il doit éviter les fuites d’informations sensibles : un employé insatisfait étant une proie facile, il faut constamment sensibiliser et rester vigilant. Une campagne de restructuration mal menée peut quant à elle avoir des conséquences néfastes : fragilisation du cours en bourse, atteinte à l’image de marque, boycott, démotivation des équipes, etc. Enfin, au delà du simple screening des compétences des candidats, le DRH doit aussi les envisager sous un angle « dynamique de réseau » et « connexions interculturelles » car il s’agit de leviers d’influence très forts. Pour finir, séduire les bons candidats passe par un vrai « marketing RH » : dans ce domaine, et à titre d’exemple, le storytelling peut se révéler efficace.
Le web 2.0, constituant essentiel des nouvelles approches managériales, doit pour sa part être l’objet de toutes les attentions. Si LinkedIn dispose aujourd’hui d’un avantage évident sur Viadeo par sa portée internationale, le français a décidé de déployer des partenariats stratégiques avec Tianji.com en Chine et ApnaCircle.com en Inde. La compétition ne fait que commencer, et d’autres plateformes sociales vont probablement émerger. Le but est d’organiser la rencontre entre l’offre et la demande en exploitant les nouveaux modes d’interaction entre les individus.
Le rapprochement entre l’IE et les RH est donc d’une logique implacable : d’un côté, les hommes et les femmes sont la principale force des entreprises, de l’autre, l’IE est une pratique transversale, pluridisciplinaire, structurée autour de l’information. C’est pourquoi la combinaison des deux permet l’émergence de nouvelles dynamiques parfaitement adaptées aux mutations récentes de l’environnement d’affaire. Saluons au passage le Club DeciDRH et Nicolas Chamoux, fondateur du cercle RH & IE. Ils participent depuis plus de deux ans à la démystification de l’IE pour tenter d’apporter une certaine fraîcheur à la pensée RH.
1. Claudio Fernandez-Araoz, Boris Groysberg, and Nitin Nohria (HBR.org, Octobre 2011 – The Talent Issue)
2. Manpower
3. Réseau amical, familial, professionnel et politique