Avocats d’affaires et Intelligence économique, une synergie (devenue) naturelle

Le 18 avril 2012, l’Ordre des Avocats de Paris (ODA), le Conseil National des Barreaux (CNB) et la Délégation Interministèrielle à l’Intelligence Economique (D2IE) ont signé des conventions soulignant les interactions entre l’Intelligence Economique et les approches juridiques

Ces conventions ont plusieurs buts :

  • Renforcer la sensibilisation des avocats à l’intelligence économique ;
  • Améliorer la prise en compte des aspects juridiques dans l’intelligence économiques ;
  • Mobiliser les réseaux du CNB et du Barreau de Paris sur les situations à risques au sein des régions ;
  • Associer plus étroitement les avocats et bénéficier de leur expertise sur certains projets d’intelligence économique pilotés par l’Etat.

Si la signature de ces conventions est incontestablement un signe des temps, il est étonnant que celui-ci survienne aussi tardivement tant on aurait pu attendre que l’intelligence économique franchisse beaucoup plus tôt le seuil des cabinets d’avocats. 

L’avocat conseil en entreprise, acteur de l’intelligence économique

Naturellement, ce récent  partenariat avec la D2IE est représentatif d’une tendance qui voit émerger des synergies naturelles entre les cabinets d’avocats et les sociétés d’intelligence économique.  Il est vrai que les complementarités sont très diverses dans leur application.        Ainsi, Bernard Carayon  ancien député du Tarn et avocat a mis en lumière dans son article, Les cabinets d’avocats se familiarisent avec l’intelligence économique, la variété de ce type d’intéractions. Son engagement pour la protection des secrets des affaires est l’exemple concret du rôle que l’avocat peut jouer au sein d’une démarche d’intelligence économique.  

Pour bien mener sa mission de conseil des entreprises et de ses clients, l’avocat doit parfaitement comprendre leur environnement économique. Ces dernières années, le champ d’intervention des avocats s’est élargi face à la diversisité des menaces concurrentielles. Précisément, la concurrence qui se joue entre les acteurs n’est pas nécessairement loyale et quand cela dégénère les affrontements économiques prennent de plus en plus le chemin des prétoires.  Les avocats en tant que spécialistes des rapports de force sont amenés à utiliser toutes les ressources qui leurs sont disponibles pour attaquer ou défendre une entreprise. Thibault du Manoir de Juaye dans son ouvrage “les robes noires dans la guerre économique” met en exergue les rouages juridiques des querelles que se livrent les entreprises devant la justice. Selon lui, autour des affaires complexes se jouent de plus en plus des stratégies non judiciaires (lobbying, gestion médiatique) que l’avocat doit prendre en compte. Cela s’illustre notamment par la médiatisation des affaires qui prend le chemin de la guerre informationnelle. 

L’intelligence économique combinée au savoir-faire et à l’expérience des avocats apparait donc comme le meilleur moyen d’appréhender le risque et lui trouver la réponse la plus pertinente.  Comment en effet poser une règle juridique protectrice de certaines agressions si précisément on  ne sait pas identifier le danger en amont ? La transversalité de l’intelligence économique rend son application possible aux différents domaines du droit et ceci pour toute typologie d’entreprise. Que cela soit pour le droit du travail, financier, immobilier ou les NTIC une démarche d’intelligence économique peut être mise en place afin de protéger au mieux les intérêts des clients.

L’avocat, acteur de l’influence normative

Au delà de leur mission de conseil au niveau micro-économique, les avocats ont un rôle à jouer en tant qu’influenceurs de normes au niveau macro-économique. La France fait face à une offensive des pays anglo-saxons qui vise à porter atteinte à la réputation du Code civil et supplanter le Droit Civil au profit du Common law. Cette influence sur les normes a une répercussion considérable sur l’activité des entreprises.  La loi applicable est la règle du jeu et bien souvent on livre avec elle le terrain sur lequel l’appliquer : la juridiction compétente en cas de litige.

Evoluer sous un régime juridique étranger qui sera mis en application par des tribunaux étrangers peut avoir des conséquences majeures, et parfois désastreuses. Or, le choix contractuel de la loi et de la juridiction compétente  est également le fruit d’opérations d’influence. La France a commencé à prendre conscience de son retard sur cette problématique et s’est organisée par la création de la Fondation pour le Droit Continental et l’action de Bertrand du Marais. Le rapport de Claude Revel  Développer une influence normative internationale stratégique pour la France remis le 28 décembre 2012, propose une démarche ambitieuse d’influence normative, qu’il convient de saluer. Dans les actions à mener, Claude Revel identifie les avocats comme des acteurs déterminants des stratégies normalisatrices : « Dans le secteur privé, les ingénieries, professions du conseil, bureaux d’études, consultants et avocats jouent un grand rôle dans les stratégies normalisatrices car ils sont prescripteurs. Leurs homologues américains ont largement contribué à la diffusion des normes techniques et de gouvernance de leur État partout dans le monde »

Si, aujourd’hui, comme le bourgeois gentilhomme faisait de la prose sans le savoir, beaucoup d’avocats pratiquent quotidiennement l’intelligence économique sans même s’en douter, il est grand temps de passer à la  phase 2  c’est à dire la sensibilisation aux outils et réflexes de la matière. De leur coté, les experts en intelligence économique doivent de plus en plus considérer ces interlocuteurs qui sont amenés à avoir un rôle de plus en plus déterminant dans la protection et la sécurisation de l’activité des entreprises.  Droit et Influence, c’est le mariage de demain mais celui-ci ne devrait pas faire polémique.

Grégoire Sélégny