Designed by chinese people in China, style et ambitions de l’Empire du milieu

A la France, la haute-couture et à la Chine le made-in-China. Mais jusqu’à quand ?

Si cette assertion était pleinement justifiée il y a une dizaine d’années, la situation a depuis bien évolué. L’Europe de l’ouest, et plus fortement la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, avait la main-mise sur la mode. Seuls quelques griffes non-européennes, comme Kenzo, parvenaient jusqu’à alors à contester l’hégémonie du vieux continent sur l’avant-gardisme. Kenzo fut d’ailleurs acheté par LVMH en 1993. Dans les années 1990, les marques américaines, telles Tommy Hilfiger ou Ralph Lauren, trouvèrent aussi un public haut de gamme en proposant un prêt-à-porter adapté à la classe moyenne supérieure. Le Japon mis à part, l’Occident avait accaparé la légitimité ; toute la légitimité du luxe et de la mode. Autrement dit, l'influence esthétique était devenue le creuset d'une influence culturelle totale. 

La Chine, elle, ne se posait pas à cette époque la question de savoir si la robe tube ou la robe boule serait à la mode l’été suivant. Elle se consacrait pleinement à son développement économique forcené et les usines produisaient en masse avec pour stratégie l'inondation des marchés occidentaux. Le terme péjoratif de « made in China » prit alors tout son sens, contrepartie de sa réussite industrielle. Matériaux de mauvaise qualité, goût douteux, contrefaçons éhontées et mal fagotées. Rien qui ne pouvait contester la puissance esthétique occidentale. La Chine troqua son raffinement millénaire contre une croissance exponentielle redoutable. 

Cette croissance permit au marché chinois intérieur de se développer et enrichit une partie de la population. Afin de profiter de cette clientèle nouvelle, il y a quelques années d’années les marques occidentales ont voulu intégrer le marché chinois en misant sur le prêt-à-porter confortable à prix accessible et récent. Esprit, Zara et Mango rencontrèrent presque immédiatement un grand succès et par la même occasion les savoir-faire occidentaux se propagèrent en Chine. Zara a maintenant plus d’une centaine de magasins en Chine et une plateforme numérique de vente en lignes. D’autres marques plus luxueuses, comme Hermes ou Burberry, se sont aussi essayées au marché chinois avec les nouveaux riches en ligne de mire. Là encore la démarche fut payante. Les chinois ne voulurent plus que de l’occidental, quitte à avoir de la contrefaçon. Plus généralement, la clientèle chinoise est aujourd’hui devenue la première acheteuse de luxe dans le monde et a commencé à s’intéresser de prêt à ce domaine longtemps considéré comme la chasse-gardée de l’Occident.

Du créatif, du sophistiqué et du nouveau. La jeunesse aisée chinoise ne jure plus que par cette trinité d’un nouveau genre. Pour répondre à ce besoin, des stylistes chinois ont émergé pour satisfaire les besoins sans cesse plus luxueux de cette jeunesse dorée, aussi appelée « Wenyi Quignian ». Les créateurs chinois furent les premiers à rejeter l’image négative du low-cost attaché à leur pays en se déconstruisant les codes établis par le communisme et en rejetant les stéréotypes orientalistes. Le Parti communiste chinois a désormais bien compris les enjeux et le discours assimilant l’élégance au capitalisme semble bien loin. Il finance et assiste désormais aux défilés de certains stylistes chinoises. D’autres, comme Huishan Zhang, ont déjà conquis l’Occident. Ce dernier, à peine diplomé de Central Saint Martin,  a même participé à la Fashion Week de Londres en septembre 2012.

En réaction à ces mouvements nouveaux, LVMH a investi la marque Maxime Simoëns en avril 2012 afin de de dénicher de nouveaux créateurs capables d’intéresser le marché chinois en proposant un prêt-à-porter ultra luxe et raffiné proche de la haute couture. Kenzo a adopté une stratégie similaire la même année en choisissant Humberto Leon et Carol Lim, deux sino-californiens, pour renouveler la démarche artistique de la marque et parvenir à plaire à la généraiton « Wenyi Quignian ». Et le pari fut réussi. Kenzo et plus largement les griffes japonaises retrouvèrent un public chinois.  Enfin, Balenciaga a trouvé il y a trois mois la perle rare en la personne d’Alexander Wang, créateur americano-taiwanais, qui est à l’origine de sa collection automne-hiver 2013-2014. Son succès à la récente Fashion Week de Paris ne risque pas de lui fermer les portes de la Chine au moment-même où Balenciaga se développe à Pékin, Shangaï et Hong-Kong, tout en essayant de toucher les métropoles de taille inférieure pour éviter de se heurter à la concurrence frontale de Vuitton et Gucci. 

Ces tentatives occidentales retarderont peut-être à court-terme l’essor d’une nouvelle culture chinoise, mais il est indéniable que les cartes de la mode sont vouées à être redistribuées. Et il n’est pas inenvisageable que le choix de créateurs asiatiques par les grandes maisons de luxe européennes, ne contribuent pas à ce profond bouleversement en terme d’image. Et ce n’est probablement par Leaf Greener, directrice de la mode de Elle China, qui dira ou souhaitera le contraire.

Pierre-William Fregonese