Le Traité sur le commerce des armes (TCA), reprise des négociations

Après l’échec des négociations pour un traité sur le commerce des armes (TCA) en juillet 2012, de nouvelles négociations se sont ouvertes lundi 18 mars 2013. Elles ont permis l’adoption du traité par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 2 avril 2013, premier texte majeur sur le désarmement depuis le Traité sur l’interdiction des essais nucléaires.

Ce traité permet d’obliger les Etats, avant chaque transaction, à évaluer si les armes vendues risquent d’être utilisées en violant les droits de l’homme ou d’être détournées. Lors de l’ouverture de la « conférence finale », le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, a plaidé pour un « traité solide et efficace » et demandé aux divers négociateurs de faire des concessions. Cette nouvelle phase est décisive dans la mesure où le traité devait déjà être conclu en juillet 2012. Cependant, afin de mesurer l’étendue et le potentiel impact de ce traité, il s’agit d’en comprendre les ressorts.

Le problème du contenu et des critères de ce traité

Tout d’abord, divers Etats étaient « sceptiques ». Les Etats arabes, la Syrie ou encore l’Egypte ont peur de l’instrumentalisation qui peut être faite de ce que sont des violations graves des Droits de l’Homme. En 2012, la Chine et la Russie et les Etats-Unis influencés par la National Rifle Association (NRA), avaient demandé plus de temps pour se prononcer. Les Etats-Unis par exemple, ne souhaitaient pas inclure les munitions dans ce traité étant donné leur production de plus de 6 milliards de cartouches par an, et le département d’Etat américain a réaffirmé que Washington continue de refuser l’inclusion des munitions dans le texte principal.

Réussites et crispations

Des diplomates d’Amérique centrale et du Mexique ont réussi à inclure dans le traité les armes à poing et les armes légères, armes les plus utilisées dans la région et participant à l’inflation des homicides. Les Etats-Unis, soutenus par la NRA, n’apprécient pas cette inclusion « d’armes civiles » dans le traité, mais s’accordent avec le reste des Etats sur la nécessité de mettre de l’ordre dans cette course aux armements qui existe actuellement.

Après des négociations difficiles, le traité a finalement été voté à l’ONU par 154 pays avec à leur tête les Etats-Unis et l’Union européenne, principaux pays exportateurs d’armes. En revanche, la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran ont voté contre, quand la Chine et la Russie appartiennent aux 23 pays qui se sont abstenus.

Parmi les pays d’Amérique latine, Cuba, le Venezuela, l’Equateur, la Bolivie et le Nicaragua (alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA)), ont préféré s’aligner sur les positions russes et chinoises plutôt que sur la position commune de l’Amérique latine. Il semble que cette alliance évolue à contre-courant sur les sujets que sont les droits de l’homme, le désarmement, et l’ouverture commerciale et économique.

Selon certains détracteurs du traité, comme la Syrie, s’appuyant sur les propos du représentant du Pakistan, ce traité n’est « pas un traité de désarmement », mais « un traité sur le commerce responsable des armes ». Ils y voient ainsi un traité qui n’a pas pour finalité de favoriser la paix, mais de protéger les intérêts industriels et commerciaux du Royaume-Uni et d’étendre la « doctrine Blair ». La non signature du traité par la Chine et la Russie est alors analysée comme un refus de s’associer au cartel militaro-industriel occidental, et de se transformer en entreprises impérialistes.

 La difficulté de transparence, un problème fondamental.

Certes, il s'avère difficile d'accorder tous les pays sur le champ du traité : qu'y met-on ? Quelles armes? Quelles munitions ? De même, selon quels critères juger de l'opportunité d'un transfert d'armes: respect des Droits de l'Homme et du Droit international humanitaire ? Prise en compte de la stabilité du pays ? Mais il demeure encore plus difficile de demander une totale transparence aux Etats. Le traité n’inclut pas les munitions de gros calibre (les mortiers par exemple), les transferts tels que les dons ou cessions entre États, les transferts de technologie et en particulier les autorisations de production d’armes sous licence étrangère ; une certaine graduation dans les critères proposés pour évaluer les demandes de transfert d’armes. Il existe aussi une clause, exigée par l’Inde, selon laquelle le traité ne portera pas préjudice aux obligations contractuelles des États relatives aux accords de coopération de défense ; ce qui est en réalité la possibilité d’échapper aux dispositions de celui-ci.

De plus, les budgets des industries d'armements n'ont cessé de croître au cours des dernières années. Ce mouvement est contradictoire avec certaines exigences du traité. Autrement dit, le transfert d’armes permet de conserver une influence sur certaines régions sans avoir à mener une intervention directe sur le théâtre d’opérations et prendre le risque de s’attirer les foudres de la communauté internationale ou de s’embourber dans des interventions internationales. Faire la guerre au travers des mains des autochtones a d’ailleurs été reconnu en 1994 par l’ancien Président américain Bill Clinton comme un instrument de la politique étrangère. La production et le commerce des armes demeurent donc une part essentielle de l'économie des Etats qui se concurrencent entre eux. Les Etats-Unis sont ainsi les premiers en la matière : le classement des plus grandes entreprises d'armements effectué par le SIPRI classifie ainsi sept entreprises américaines parmi les dix répertoriées (Lockheed Martin, Boeing, General Dynamics…) ; ils sont aussi les premiers exportateurs mondiaux avec 9,98 milliards de dollars par an et ont le budget défense le plus élevé au monde (711 Mds USD). 

Le complexe militaro-industriel est donc le carrefour des intérêts géopolitiques et économiques d'un Etat. Il est une économie à part, trop vitale pour qu'un Etat puisse y "renoncer" au travers du traité pour le commerce des armes. Dès lors, chaque Etat s’est appliqué à un consensus au vu des positions très précises qu’il défend et des critiques demeurantes des associations : le traité n’inclut pas certaines pièces ou composants, les drones, le matériel destiné à la police, ou encore les transferts d’armes effectués dans le cadre d’accords de coopération militaire : assistance militaire de la France à ses anciennes colonies africaines, livraisons d’armes de Moscou à la Syrie ou aide militaire des Etats-Unis à l’Egypte. Il s’agit donc de suivre de très près l’évolution de ce traité. Quand certains le qualifient de « mort-né », d’autre y verront une avancée majeure en matière de régulation du commerce des armes. Reste à savoir quelle application en sera faite.

Margot Spiess