L’Europe est avant tout, et de par son passé, une machine à construire des normes applicables à l’ensemble de son territoire. Son projet de « marché unique » relancé dans les années 1980 par la Commission, est l’illustration de la construction d’un territoire réglementé. L’accès au marché européen, et son exploitation, sont ainsi subordonnés au respect de normes domestiques.
Pour opérer sur le territoire uniforme, tous les acteurs européens ou étrangers sont soumis à un droit de plus en plus uniforme. Le droit de la concurrence est l'illustration la plus explicite de cette réalité. C'est l'un des rares domaines où la Commission européenne a un véritable pouvoir autonome, avec des enjeux industriels et stratégiques considérables. Il existe des seuils à partir desquels Bruxelles contrôle les opérations de fusion, acquisition, ou toute autre opération susceptible d'affecter la concurrence sur le marché unique.
Les investissements étrangers constituent les flux les plus visibles des flux transfrontaliers, et sont aussi l'objet des critiques les plus prononcées. D'un point de vue économique, la France appartient ainsi à ces pays occidentaux, comme l'Allemagne ou les Etats-Unis, qui se sont dotés d'une règlementation spécifique protectrice face aux investissements étrangers. Il existe donc des mouvements divers et parfois même contradictoires: l'Europe qui se dote d'un cadre règlementaire face aux flux extérieurs, et la Birmanie par exemple, qui a récemment promulgué une loi d'ouverture aux investissements étrangers.
De quoi dispose la zone euro pour faire face aux investissements étrangers ?
La politique monétaire est sous contrôle de la Banque centrale européenne. La politique budgétaire est devenue résiduelle. Le contrôle des investissements étrangers est ainsi le levier que les puissances publiques peuvent actionner avec davantage d'aisance. Ce contrôle se fait donc à travers des barrières juridiques. Dans leur ouvrage, La guerre économique, Eric Delbecque et Christian Harbulot, expliquent comment la montée en puissance des fonds souverains ravive les inquiétudes sur la gouvernance des "champions nationaux". Or, puisque l'Etat n'est actionnaire que dans des cas minoritaires, leur aide apparaît inefficace pour ne pas dire impossible face à ces fonds souverains.
L'enjeu majeur actuel au niveau européen est donc double. Il s'agit de continuer et de renforcer l'attrait des capitaux étrangers sur le sol européen. Le travail parallèle à effectuer est celui d'une harmonisation des législations nationales, afin d'obtenir un cadre plus clair. Cette harmonisation doit répondre à une capacité de préserver un certain contrôle sur les investissements réalisés dans les secteurs considérés comme "stratégiques" (défense, aéronautique, énergie, pharmacie, et technologies de l'information). Or, la confusion qui règne sur le contrôle par les Etats de ces secteurs "stratégiques" est due à la définition même que l'on s'accorde à donner aux divers secteurs. Il existe en effet une extension des domaines considérés comme étant stratégiques. Si la définition au niveau national appelle déjà à des questions de souveraineté étatique, il apparaît évident qu'une définition au niveau européen soit difficile.
L'analyse des dispositifs de régions ou pays tiers, conclue à un patriotisme économique assumé. Le maître mot étant celui de "contrôle", il ne s'agit pas d'interdire tout investissement, mais de négocier et donc maîtriser les conditions dans lesquelles se fait l'investissement étranger. Les Etats-Unis se sont par exemple dotés dès 1988 d'un amendement (Exon-Florio) autorisant le Président des Etats-Unis à examiner l'effet sur la sécurité nationale de tout potentiel investissement étranger. La Chine a elle aussi un arsenal très complexe et difficile à intégrer. La Russie a restreint les secteurs accessibles aux capitaux étrangers. Les Emirats arabes aussi ont adopté une législation interdisant aux investisseurs étrangers de posséder plus de 49% d'une société nationale.
Face à cela, quel cadre pour l'UE ?
Face à la multitude de traités, il n'existe pas de cadre international contraignant. Les Etats de l'Union européenne, ont un cadre juridique encore plus vague que les autres. Certes les entreprises étrangères ne peuvent pas investir dans un capital européen à plus de 49,9%, mais l'Union européenne se construit sur l'idéal d'un marché unique sans entraves tarifaires, et non discriminatoire, ouvert entre pays au sein de l'UE, mais aussi aux pays extérieurs. La base juridique du dispositif européen est la libre circulation des capitaux. L'article 64, paragraphe 2 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, prévoit que l'UE peut légiférer "en matière de mouvements de capitaux lorsque ceux-ci sont à destination ou en provenance de pays tiers".
Quelles pistes ? Quelles avancées ?
Puisqu'il n'y a pas de politique dissuasive ou de contrôle effectif au niveau européen, chaque Etat manie la "dissuasion" avec certaines subtilités. La France par exemple pratiquait le régime de l'autorisation préalable. Chaque demande d'investissement répondant aux critères fixés par le Code Monétaire et financier, devait ensuite être autorisée par la direction générale du Trésor. Suite à une décision de la CJCE en date du 14 mars 2000, la France a maintenu ce régime accompagné de certaines précisions. Les précisions affinent la définition de l'investisseur étranger et des secteurs soumis à une autorisation préalable avec deux décrets pris en 2003 puis en 2005. Ces secteurs sont, d'une manière générale, liés à l'ordre et la sécurité publique, ainsi qu'à la défense nationale. L'Etat garde ainsi une marge de manœuvre implicite. L'affaire d'Ingenico est illustratrice de la puissance du pouvoir étatique implicite. Il semble qu'un contrôle trop strict provoque un recul en matière de libéralisation, et les capitaux étrangers préfèreraient des zones alors "plus ouvertes" que la zone euro. Or cette dernière a besoin d'investissements étrangers, et doit donc opérer de manière prudente. La récente ouverture du capital de la compagnie aérienne française Aigle Azur à la 4ème compagnie aérienne chinoise Hainan Airlines est illustratrice des efforts faits en ce sens. La crise économique provoque donc un mouvement double: une méfiance des investisseurs avec un ralentissement des divers flux, accompagnée d'un certain repli frileux des nations souveraines. Il existe donc dans ces périodes de crise un regain de patriotisme économique face à des nécessités de coopération. Le cadre règlementaire que constituent les lignes directrices de l'OCDE ou encore les principes de Santiago pourrait être un cadre de référence. Dans "L'Europe dans la mondialisation", Laurent Cohen Tanugi propose un règlement donnant droit d'évocation et de qualification des IDE à la Commission. Toutes ces suggestions ou outils permettraient ainsi une prise de position politique cohérente externe mutualisée, susceptible de créer une capacité européenne de négociation largement perdue.
Margot Spiess