Après la déclaration de l’Académie de Médecine sur l’interdiction trop hâtive du bisphénol A, où en est le débat ? Entre utilisation du principe de précaution et profusion d’informations, le cas du bisphénol A souligne la difficulté de parler de sécurité sanitaire au grand jour.
Alors que l’Académie de Médecine juge « trop précipitée » l’interdiction du bisphénol A, il paraît légitime de s’interroger sur la divergence d’informations depuis l’émergence du bisphénol A dans le débat. La médiatisation des risques sanitaires liés au BPA n’est pas nouvelle.
Elle débute tout d’abord aux Etats-Unis, lorsqu’en 1998, le professeur Frederick vom Saal l’évoque dans ses recherches. En 2007, 38 chercheurs américains signent le consensus de Chapel Hill sur les dangers potentiels du BPA. En 2008, le "Journal of the American Medical Association" publie l’étude de Lang et al. sur le lien entre des taux élevés de BPA dans les urines et l'augmentation de l’incidence d’états médicaux graves. En octobre 2009, l’American Chemistry Council prolonge les inquiétudes en évoquant les effets neurodéveloppementaux possibles.
L'année 2006 voit arriver le débat dans les hautes sphères européennes mais l’EFSA avait conclu à l’absence de preuves suffisantes pour modifier la dose journalière tolérable. Pourtant, depuis 2010, les études ne cessent de paraître: l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) en a publié trois – une concernant la pénétration par la peau, une abordant l’action sur l’oreille interne des vertébrés, et une sur le stockage des graisses dans le foie, tandis que l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) alarme par son étude sur les effets sanitaires du BPA.
Ainsi, en juillet 2010, la France et le Danemark interdisent l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication de biberons. De même, le 12 octobre 2011, l’Assemblée Nationale interdit le BPA dans tous les contenants alimentaires à compter de 2014 en vertu du principe de précaution qui « permet de réagir rapidement face à un possible danger pour la santé humaine, animale ou végétale, ou pour la protection de l'environnement. En effet, dans le cas où les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque, le recours à ce principe permet, par exemple, d'empêcher la distribution ou même de retirer du marché des produits susceptibles d'être dangereux ».
Malgré l’interdiction de la substance chimique, certains organismes n’ont pas une position stable. Alors que l’American Chemistry Council avait mis en garde en 2009, il semble désormais ralentir les mesures d’interdiction. L’INRA a lui opéré un changement inverse : en avril 2010, Jean-Pierre Cravedi, directeur de l’unité Xénobiotiques de l’INRA à Toulouse déclaraient que « les scientifiques ne s’accordent pas sur la dose dangereuse de bisphénol A ». Depuis octobre 2010, l’INRA a déjà publié trois rapports sur les dangers du bisphénol A.
Face à cet amas d’informations, il est difficile pour les non scientifiques de savoir quelle est la bonne information. Tout d’abord, il apparaît compliqué de savoir qui aurait la légitimité d’être écouté. Entre l’INRA, l’ANSES et l’Académie de médecine, rien ne laisse penser que l’un aurait une parole plus légitime que les autres.
Or, dans cette masse d’informations, certaines sources utilisent la peur d’une crise sanitaire. Pour ne citer que les plus extrêmes : les vidéos alarmistes du site Infowars.com pour qui le bisphénol A pourrait impacter vos préférences sexuelles ou encore l’étude du docteur Lanphear considérant que les petites filles pourraient avoir un comportement plus agité que celui des garçons. Même si peu de crédit est accordé à ces sources, elles contribuent à intensifier le débat autour du bisphénol A.
En définitive, l’idée que le bisphénol A soit un risque pour notre santé est avérée. Cependant, l’accumulation d’informations désinforme : à quelle dose ? Combiné à quel autre produit ? Sur quel profil de personne ? Quels effets ?
Pour plus d’informations sur ce sujet, la Conférence du Professeur André Aurengo sur le thème « La légitimité de la parole scientifique dans la guerre de l’information » pourrait fournir un début de réponse.
Camille Delache