Bien que ne représentant qu’un grain de sable dans les transactions financières traditionnelles, la finance islamique prend de l’ampleur au fur et à mesure que ses pratiques sortent des confins des pays où l’islam est religion officielle. Alors que Londres a su profiter de ce nouvel apport en capital, Paris perd de la distance vis-à-vis de sa rivale britannique.
Pour the banker, publication financière britannique, l’ensemble des actifs issus de la finance islamique atteignaient, en 2009, un montant de 822 milliards USD. En 2012, ce chiffre avait quasiment doublé pour atteindre la valeur de 1540 milliards USD (comprenant les actifs des banques islamiques ainsi que les actifs issus d’activités « islamiques » de banques traditionnelles). Cette même année, le secteur a connu une croissance de 16%, soit la plus forte croissance annuelle de l’ensemble des actifs bancaires.
Au sein des pays membres du conseil de coopération du golfe qui rassemble l’Arabie Saoudite, Oman, le Koweït, le Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Qatar, ces actifs atteignaient en 2012 452 milliards USD. A cette même date, la place financière la plus importante, l’Arabie saoudite, représentait un marché de 245 milliards USD. L’Iran, acteur majeur du secteur, possédait, en 2009, la plus importante banque islamique. Selon la chaine iranienne Press Tv, la banque Melli Iran (BMI), avec une capitalisation de 45,5 milliards USD, se trouvait en tête des 100 plus grandes banques islamiques, devant la banque saoudienne Al Rajhi.
En Asie, la Malaisie est devenue le leader du secteur, se classant en troisième position parmi les pays détenteurs d’actifs islamiques (derrière l’Arabie et l’Iran) et la troisième également dans le classement des pays possédant le plus grand nombre de banques islamiques (derrière le Bahreïn et le Koweït) avec 53 organisations bancaires. Ce pays asiatique doit pourtant faire face à la rivalité de géants régionaux comme Singapour ou Hong Kong qui n’hésitent pas à modifier leur législation afin de se rendre plus attractifs.
Née dans les années 1970, la finance islamique moderne a profité des différents chocs pétroliers et de la montée du sentiment religieux pour s’imposer dans les pays de l’islam. Basée sur les principes de la sharia (la loi islamique), le secteur se distingue du secteur financier traditionnel par une conception différente du travail et du capital. La spéculation étant prohibée, chaque transaction financière a pour obligation d’être adossée à un actif tangible afin de permettre le partage des profits ou des pertes que cet actif génère. Les transactions financières doivent s’effectuer dans les secteurs licites de l’islam. Il est donc interdit d’investir dans les armes, l’alcool, la pornographie, les jeux de hasard ou encore l’industrie porcine. La finance islamique interdit également le prêt à intérêt considérant que « le temps n’appartient qu’à Dieu ». Le Vatican, avec le Pape Benoit XVI, a même apporté en mars 2009 son soutien à la finance islamique en appelant le secteur financier traditionnel à s’inspirer des principes de l’Islam.
Prenant conscience de l’essor de ce secteur, Christine Lagarde, alors ministre de l’économie et des finances de Nicolas Sarkozy, déclare, le 2 juillet 2008 lors du forum Paris Europlace, vouloir faire de Paris une place forte de la finance islamique. Suite à cette déclaration, la ministre annonce en février 2009 qu’elle compte donner des instructions fiscales afin de faciliter les investissements venus du golfe et concurrencer ainsi Londres, première place financière islamique en dehors du monde musulman. Ces instructions, pour être compatibles et conformes avec la loi islamique, impliquaient une modification du code civil. L’opposition fut immédiate et les critiques émanèrent aussi bien dans les rangs de la majorité que de ceux l’opposition en arguant que la décision du Christine Lagarde allait à l’encontre du principe républicain de laïcité. Le conseil constitutionnel rejettera finalement le projet le 14 octobre 2008 pour des raisons techniques et non morales.
Bien que sur ce sujet la France semble plus frileuse que le Royaume Uni, le pays n’est pas totalement hostile à l’idée d’accueillir les capitaux du monde musulman. Dès 2008, l’école de management de Strasbourg (EM Strasbourg) ouvre un master dédié à la finance islamique. L’école sera rejointe une année plus tard par l’université Paris Dauphine qui inaugure, le 18 novembre de la même année, son propre master. A la même période, le crédit agricole décide également de s’intéresser à ce secteur en proposant la première SICAV respectant les principes de la charia .En octobre 2009, Un sommet est organisé à Paris par Nur Advisors, l’un des principaux acteurs du secteur. Bien que la finance islamique peine à acquérir ses lettres de noblesse en France, la société France Sukuk Courtage présente les premiers produits financiers islamiques « grand public » lors de la 28ème rencontre des musulmans de France, le 22 Avril 2011. Il s’agit d’un produit d’épargne immobilière, le « France sukuk immobilier 2020 » dont la conformité avec la loi islamique est certifiée par l’ACERFI (audit, conformité et recherche en finance islamique).
Malgré ces avancées, Londres demeure, pour les capitaux issus de ce secteur, la place européenne la plus attractive. La société britannique, prônant le multiculturalisme, a eu moins de difficultés à accepter cet apport de capital, surtout en période de crise de la finance traditionnelle. Le 23 octobre 2013, la bourse de Londres annonce la création d’un indice islamique. Les premières obligations islamiques devraient voir le jour au début de l’année 2014 pour une valeur totale de £ 200 millions. La grande Bretagne devient donc le premier pays non musulman à émettre des « valeurs islamiques » devançant encore plus Paris comme place forte européenne.
Le site espagnol Empresa actual souligne l’importance de la finance islamique (ce secteur croit aujourd’hui deux fois plus vite que la finance traditionnelle) et estime qu’il continuera à prendre de l’ampleur en raison de l’évolution démographique des pays musulmans et de l’augmentation continue de leurs revenus depuis les années 1970.
Même à l’extérieur du monde islamique, certaines des plus grandes banques mondiales ont ouvert des filiales dédiées à ce secteur porteur. Longtemps raillé pour être un système financier très peu lucratif, la banque islamique apparait désormais comme un refuge pour les banques occidentales malmenées par la crise. Certains observateurs considèrent déjà que les principes de la finance islamique seraient une bonne alternative au monde financier occidental dont la crise de 2008 a révélé les limites. La finance islamique n’est pourtant qu’à un stade embryonnaire. Il n’existe pas à ce jour de devises islamiques ni de banque centrale qui pourraient servir de référence au système.
Olivier CLEMENT