Le 6 février 2014, l’amphithéâtre des Vallières de l’École militaire accueillait une conférence France – Brésil. Régiane de Melo, conseillère en stratégie et défense de l’ambassade du Brésil en France, est longuement revenue sur l’accord stratégique entre les deux pays. Mais cette relation apparemment idyllique est-elle vraiment équilibrée ? M. Kourliandsky, chercheur à l’Iris, a dans un second temps tenté de répondre à cette question.
La France partage avec le Brésil sa plus grande frontière terrestre: 730km en Guyane. À cette proximité se rajoute des liens forts qui unissent les deux pays : des affinités culturelles, une vision similaire du rôle de l’état dans l’économie et le partage de mêmes valeurs démocratiques.
Depuis une quarantaine d’années, le Brésil occupe une place importante dans la politique extérieure de la France. Tous les mandats présidentiels français peuvent compter une visite du chef de l’état dans le pays. La coopération politique, diplomatique et économique établie depuis longtemps entre les deux nations, a été renforcée par le partenariat conclu entre Dilma Rousseff et François Hollande en 2012.
Régiane de Melo a commencé son intervention en rappelant les grandes lignes du partenariat. Il prône l’augmentation de la concertation politique et le lancement d’un plan de travail dans plusieurs secteurs prioritaires : la politique, l’économie, la coopération agricole, la défense, l’énergie et la coopération transfrontalière. À ce jour, dix actes ont été concrètement signés entre les deux pays.
L’alliance entre le Brésil – grand émergent qui se veut désormais puissance régionale – et la France – grande puissance historique en perte d’influence – est stratégique. Bien que différentes, les positions des deux pays n’en sont pas moins complémentaires et chacun devrait y trouver son compte. Le Brésil a l’avantage compétitif; la France le savoir-faire technologique. Grâce à l’accord, elle bénéficie d’économies d’échelle, alors que le Brésil accède à un savoir-faire, outil indispensable à son développement et à l’accélération du processus qui lui permettra de devenir une grande puissance.
Au-delà de la réussite économique, Régiane de Melo a mentionné que d’un point de vue géostratégique, la réussite du partenariat serait un signal fort. Une telle alliance ferait bouger les lignes du système oligarchique actuel, construit sur le rapport pays de l’Otan-grandes puissances / BRICS-pays émergents, et favoriserait le développement d’une nouvelle vision de la scène internationale. Dans un monde globalisé, ce partenariat est essentiel pour la construction d’un nouvel ordre multipolaire, a estimé la conseillère
Le cœur du partenariat économique est la coopération industrielle dans le secteur de l’aéro-défense. Régiane de Melo est revenue sur le succès du programme de sous-marins ProSub: résultat d’un accord entre la marine brésilienne, la société Odebrecht et la DCNS française. Le budget de ce programme – évalué à 7 milliards d’euros – prévoit la construction de quatre sous-marins conventionnels de type scorpène et d’un sous-marin nucléaire. A cela s’ajoute la fourniture de torpilles et de systèmes de combat, ainsi que la construction d’un chantier et d’une base navale. Pour l’instant, sa mise en œuvre est un succès et le transfert de technologie entre DCNS et Odebrecht est effectif.
La conseillère a ensuite cité le programme concernant la construction d’une usine d’assemblage pour 50 hélicoptères EC 725, fruit de la coopération entre Helibras et Eurocopter-Airbus. D’autres succès ont été mentionnés, comme le contrat remporté par Thales Alenia Space pour la fourniture du premier satellite géostat de défense et de communication. Ce projet développera internet dans tout le pays et assurera la sécurité des communications stratégiques. Le partenariat prévu avec Bull est une autre réussite, prévoyant d’une part la fourniture d’un super ordinateur pour des calculs de haute performance, et d’autre part, une aide au développement de deux grands centres de recherche. Enfin, dans l’énergie nucléaire, Areva a signé avec Electrobras pour achever en coopération une centrale de 15000 MW.
En tout, ce sont 500 entreprises françaises sont installées au Brésil: Renault, Totl, Technip, GDF-Suez ou encore Casino (ce dernier étant devenu le plus grand employeur privé du Brésil). Régiane de Melo a terminé son intervention en rappelant que le budget de la défense annoncé par le Brésil devrait être multiplié par 4 dans les 10 prochaines années, ce qui devrait encore ouvrir de belles perspectives de coopération.
Jean-Jacques Kourliandky, chercheur à l’Iris, a ensuite pris la parole pour revenir sur les succès de coopération, en les identifiants comme la partie à moitié pleine de l’accord stratégique. Il y a selon lui un pendant à moitié vide qui rend cet accord asymétrique.
En dépit d’une relation de coopération très ancienne autour des questions de défense, d’éducation, ou encore d’interpénétration entre les deux cultures – autant d’éléments constitutifs de conditions apparemment optimales – il y a eu une accumulation de petits incidents entre les deux pays. Ces derniers conduisent à se poser la question du caractère “stratégique” de l’accord, et à se demander s’il est interprété de la même façon par la France et par le Brésil.
Le Brésil est en désaccord sur de nombreux sujets avec la France, en premier lieu au niveau Européen sur le dossier des négociations commerciales Brésil/UE bloquées depuis 1995. Au niveau de l’Otan, le Brésil et d’autres pays émergents prennent des initiatives qui vont à l’encontre de ce que les 5 permanents du conseil de sécurité – dont la France – prônent. On peut enfin citer l’échec du contrat Rafale, perdu au profit du Suédois GriIl. Concernant le volet diplomatique, le Brésil n’a pas toujours été un soutien, notamment lors du passage d’un bateau français venant de la Hague au large du Brésil et contenant des déchets nucléaires. Même absence de soutien lors de la tentative d’exfiltration par la France d’Ingrid Betancourt en Amazonie, à la suite de laquelle le président Lulla a exigé des excuses de la France.
Sur la base de ces constats, l’accord stratégique est-il global ?
La France trouve son avantage grâce aux possibilités de grands contrats que le Brésil lui offre. En échange de quoi, elle soutient le Brésil comme candidat au poste de membre du conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, compte tenu des nombreuses prises de position et contentieux récents sur des sujets de politique internationale, il apparait clair que Le Brésil veut s’imposer en tant que puissance et embrasse des ambitions bien plus vastes que les simples termes de l’accord. Le partenariat serait-il en réalité un passeport diplomatique pour la nation arc-en-ciel, et une simple opportunité économique pour la France ?
Enfin, le livre blanc de la défense brésilienne de 2008 a fait officiellement de l’indépendance technologique une priorité. Or, la majorité des contrats de l’accord stratégique France-Brésil sont liés à des transferts de technologie. À terme, le Brésil n’aurait-il pas plus à y gagner?
Aliette JALENQUES
Revivez la conférence en vidéo sur le site de l’ANAJ-IHEDN:
– Conférence “Brésil – France : un partenariat équilibré ?”
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