L’artisanat français : Vers une meilleure protection de nos savoir-faire ?

La loi relative à la consommation instaurant une indication géographique protégée (IGP) a été adoptée le 13 février 2014. Jusqu’alors réservée aux seuls produits alimentaires, l’IGP est désormais étendue aux produits artisanaux et manufacturés.

Le 4 avril dernier, la décision de justice rendue par la Cour d’appel de Paris relative à la désormais célèbre « Affaire Laguiole », donnait, une fois de plus, tort à la commune du même nom. En effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait, près de deux ans plus tôt, rejeté ses griefs.

Rappelons que cette commune de l’Aveyron, fabriquant réputé de couteaux depuis le 19ème siècle, est en contentieux depuis plusieurs années avec Monsieur Gilbert Szajner, estimant que ce dernier utilise de manière illégale et déloyale la marque « Laguiole » que la commune a déposé en 1993. La ville estime qu’il induit le consommateur en erreur sur l’origine de ces couteaux.

Néanmoins, les tribunaux, en première comme en seconde instance, ont jugé que la commune n’était pas fondée à invoquer une atteinte à son nom puisque Laguiole était devenu un terme générique désignant un produit fabriqué non exclusivement sur ce territoire. En d’autres termes, l’expression « Laguiole » peut être utilisée par tous, elle n’appartient pas à la commune qui ne peut donc pas se prévaloir d’être propriétaire d’une marque Laguiole attachée à son territoire.

Ce vif contentieux relance, par la même, la question de la protection des appellations géographiques pour les produits manufacturés dans un contexte d’hyper mondialisation.

Droit des marques VS Indications géographique ou l’illustration d’un droit lacunaire

Un droit lacunaire…

La contrefaçon porte atteinte à notre capital, qu’il soit matériel ou immatériel. En France, la perte directe de chiffre d’affaires pour les entreprises victimes de la contrefaçon est estimée à 6 milliards d’euros par an au total, et de 4 % à 7 % du chiffre d’affaire pour l’ensemble du secteur du luxe français. Aux pertes d’emplois induites s’ajoutent les pertes en matière d’innovation.

Force est de constater la faible dimension de protection du terroir ayant trait aux produits manufacturés (et non aux produits agroalimentaires), de sorte que, les concernant, la propriété intellectuelle s’envisage davantage de manière individuelle que collective. Un fabriquant de porcelaine pourra, seul, porter plainte pour contrefaçon et non l’ensemble de porcelainiers d’une Région ou d’un territoire. Les produits agroalimentaires sont quant à eux, protégés par les labels appellations d’origine contrôlée (AOC), les appellations d’origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP).

Cette carence est d’ailleurs soulignée par Stéphane Mazars, Sénateur et fervent artisan de l’adoption d’une loi sur les indications géographiques artisanales : « Alors que l’image de marque de la France constitue une véritable manne pour notre pays, elle se voit aujourd’hui écornée par l’inadéquation de son exploitation, ainsi que par une protection lacunaire contre certains aspects dommageables de la mondialisation ».

C’est un fait : la France dispose indubitablement d’un pouvoir de séduction tiré de sa culture et d’un passé unique, plus communément appelé  « soft power ». Pourtant vecteur majeur de son rayonnement, la France ne semble guère mesurer le poids de cette capacité d’attraction et, a fortiori, sa valorisation en termes financiers et économiques.

…en l’absence d’un véritable patriotisme économique français

La France semble être un des rares Etats au monde à rougir à la simple idée de patriotisme notamment lorsqu’il prend la forme d’un patriotisme économique.

Il est inutile d’évoquer l’arsenal législatif développé par les États-Unis pour soutenir de la meilleure des manières leurs entreprises. La simple évocation du « Patriot Act » se suffit à elle-même.

Illustration avec la porcelaine de Limoges

La huitième réunion annuelle du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui s’est déroulée le 4 décembre 2013 à Bakou en Azerbaïdjan, a voté l’inscription des ostensions septennales limousines sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Pourtant, la porcelaine de Limoges n’est malheureusement toujours pas inscrite par la Commission de l’UNESCO malgré une demande officielle en ce sens en 2010.

Née à la seconde moitié du XVIIIe siècle et issue de la découverte de kaolin près de Limoges, cette porcelaine marque le début de la production, et est aujourd’hui l’une des plus réputée en France, à l’instar de la porcelaine de Sèvres. La marque s’exporte par ailleurs à l’étranger puisqu’une boutique vient d’ouvrir à Moscou.

Il faut noter que la porcelaine de Limoges fait l’objet de nombreuses attaques en contrefaçon de la part de la Tunisie et de la Chine notamment. Rappelons que cette activité génère plus de 1 100 emplois directs et 300 emplois indirects.

La loi sur les appellations d’origine protégées étendue aux produits artisanaux et manufacturés, nouveau remède ?

Cette loi vient renforcer le dispositif législatif français qui peut sembler trop peu protecteur.

L’idée de créer une AOC pour les produits manufacturés avait été lancée par Frédéric Lefebvre alors Secrétaire d’Etat à la Consommation.

A l’instigation de Madame Sylvia Pinel, la loi relative à la consommation instaurant une indication géographique protégée a effectivement été adoptée le 13 février 2014. L’indication géographique protégée (IGP), jusqu’alors réservée aux seuls produits alimentaires, est dès lors étendue aux produits artisanaux et manufacturés.

Outre cette loi sur les indications géographiques protégées, une proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon a été promulguée le 11 mars dernier.

Bien que ce fléau fasse déjà l’objet d’une protection par le législateur, certaines clarifications et précisions réclamées par des professionnels victimes devaient être apportées.

Par conséquent, en modifiant en profondeur le code de la propriété intellectuelle, cette loi permet une meilleure réparation du préjudice pour les victimes. Jusqu’alors, le droit se révélait trop peu dissuasif et davantage du côté du contrevenant.

Elle renforce effectivement les dédommagements civils qui sont accordés notamment en prenant en compte la totalité des profits réalisés par le contrefacteur. La procédure de saisie-contrefaçon est également modernisée.

Ainsi, par ce nouvel arsenal législatif, la France semble désormais avoir pris en compte la nécessité de protéger ses produits manufacturés. Porcelaine de Limoges, santons de Provence, faïence de Moustiers, dentelles de Calais…ce sont autant de savoir-faire français qui restent à encadrer juridiquement. Gageons que l’application de cette loi se révèlera être le garant de ce formidable patrimoine immatériel jusqu’alors oublié.

Anais FERRADOU