Après plusieurs mois de négociation, Alstom et General Electric sont tombés d’accord : l’américain rachètera les activités énergétiques du français pour plus de 12 milliards d’euros. Si les préoccupations françaises se sont cristallisées autour des conséquences que ce rachat peut engendrer pour le nucléaire français, un autre pan de l’activité d’Alstom mérite d’être étudié : celui des « smart grids » ou réseaux électriques intelligents.
L’affaire Alstom commence le 9 février 2014, lorsque les deux PDG, Patrick Kron et Jeffrey Immelt, se rencontrent à Paris. Ce rendez-vous fait suite aux difficultés financières d’Alstom, en partie dues à la baisse de la consommation dans le secteur des nouvelles centrales thermiques. Une compétition pour racheter le français s’enclenche alors entre General Electric, Siemens et Toshiba. Ces entreprises livrent une bataille de plusieurs mois jusqu’à ce qu’Alstom choisisse GE en juin dernier, avec l’aval du gouvernement français.
L’accord conclu est le suivant : General Electric rachète l’ensemble du pôle énergie d’Alstom (qui représente près de 75% de son chiffre d’affaires) pour 12,35 milliards d’euros. Trois joint-ventures doivent être créées, correspondant aux 3 pôles énergétiques d’Alstom : les turbines à vapeur (utilisées pour les réacteurs des centrales nucléaires), les énergies renouvelables et les réseaux électriques.
L’attention étatique française se porte sur le nucléaire
Tout au long de ces tractations politiques et économiques, l’attention étatique française s’est avant tout portée sur le premier de ces trois pôles, celui ayant trait au nucléaire. En effet, en mai dernier, Arnaud Montebourg étend le dispositif de contrôle de rachat des entreprises au secteur énergétique, qui s’appliquait jusque-là uniquement aux industries de défense et de sécurité. Suite à ce décret, l’Etat a pu négocier avec GE et obtenir un droit de veto sur l’ensemble des activités concernant le pôle des turbines à vapeur. « Le maintien de la souveraineté française dans le domaine du nucléaire, même si nous n’intervenons pas sur les réacteurs eux-mêmes mais sur les turbines, était essentiel » avait déclaré Patrick Kron. Quant aux deux autres pôles, celui des énergies renouvelables et celui des réseaux, grids et smart grids, ils vont être intégrés dans deux joint-ventures, mais passeront ainsi sous contrôle opérationnel américain.
Les smart grids, outils lucratifs de la transition énergétique
© Commission de Régulation de l’Energie
Les smart grids ou réseaux électriques intelligents permettent de lisser les pics de consommation d’énergie, d’intégrer de manière intelligente les énergies renouvelables dans la fourniture d’électricité, de réduire la probabilité de pannes et de réduire le gâchis d’énergie. Tout ceci est permis car ces réseaux sont équipés de telle manière qu’ils peuvent « communiquer » entre eux, échanger des informations pour ajuster efficacement et en temps réel la production et la consommation d’électricité.
Le marché des smart grids est extrêmement prometteur. L’UE s’est fixée comme objectif d’atteindre un taux d’équipement de 80 % de la population d’ici à 2020. De son côté, ERDF a prévu d’installer 35 millions de compteurs intelligents dans les prochaines années, pour un coût supérieur à 4 milliards d’euros. Selon différentes études, le marché mondial des smart grids devraient représenter entre 60 et 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici à la fin de la décennie. En France, le gouvernement a prévu d’investir 250 millions d’euros dans les smarts grids dans le cadre du grand emprunt en 2010. Les Etats-Unis comptent également s’engager dans cette technologie, notamment à travers l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 qui prévoit un investissement avoisinant les 4 milliards de dollars.
Mais les smart grids ne sont pas seulement un marché potentiellement lucratif, c’est aussi une des pierres angulaires de la transition énergétique, c’est-à-dire du passage à un système énergétique dé-carboné basé principalement sur les énergies renouvelables. Jeremy Rifkin fait d’ailleurs des smart grids un des piliers de sa « troisième révolution industrielle » car ceux-ci doivent permettre de réduire le gâchis énergétique et d’intégrer les énergies renouvelables aux réseaux électriques.
La France doit assurer la pérennité et le développement de sa filière des smart grids
General Electric ne pesait que 3% des parts de marchés mondiales dans le transport d’électricité, contre 10% pour Alstom. En rachetant Alstom, et en particulier son pôle réseau électrique, Alstom Grid, le géant américain met la main sur un puissant outil. Même si « la pérennité de la filière nucléaire et la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de la France sont pleinement pris en compte dans cette opération [rachat d’Alstom par GE] » (Ministère de l’Economie et de l’Industrie, 05/11/2014), le secteur des réseaux électriques a été oublié.
La France renonce ainsi à une position forte sur un marché prometteur mais aussi à un formidable outil technologique devant permettre la transition énergétique. Reste à espérer que Schneider Electric, Smart Grid France, Legrand, Alcatel-Lucent, Itron, Ijenko etc., qui sont tous leaders dans certaines technologies utilisées dans les smart grids, se coordonnent et développent la filière française des smart grids.
Guillaume Meyer