Un forum économique de la francophonie a été lancé, suite au sommet de Dakar de la francophonie de fin novembre dernier, ces réunions ont vu la nouvelle Secrétaire générale de la francophonie nommée. Ce contexte de changement important marque une volonté de nouveauté au sein de l’OIF, nouveauté qui selon les déclarations semble vouloir donner un nouveau souffle à l’organisation, principalement en matière économique et d’influence normative.
Une nomination marquant une évolution ?
Première femme et surtout première nord américaine nommée secrétaire générale de l’OIF, la nomination de Michaëlle Jean marque une étape. Pourtant ce choix a soulevé de nombreuses inquiétudes aux vues de ses différentes expériences. Née à Haïti, elle immigre au Québec avec ses parents à l’âge de 11 ans pour fuir la dictature de Duvalier. Elle suit alors une formation en littérature comparée et entame une carrière de journaliste qui aboutira en tant que présentatrice vedette sur la chaine nationale anglophone du Canada.
En 2005 elle est nommée Gouverneur général du Canada, c’est à dire, représentante de la Reine au Canada et ayant de fait le rôle de chef d’Etat et des armées. C’est dans ce rôle qu’elle effectue des visites diplomatiques en Europe et en Afrique ce qui lui permet d’acquérir une connaissance de la diplomatie internationale. A la suite de ce poste, elle sera chancelière de l’université d’Ottawa et sera chargée par l’OIF d’être le témoin de la francophonie, langue officielle des jeux olympiques, durant ceux de Londres.
Les points d’achoppement concernant sa nomination au poste de secrétaire général de l’OIF porte sur plusieurs aspects. Ayant été Gouverneur général du Canada, elle a formé des liens forts avec le Commonwealth ce qui pourrait laisser douter de son engagement envers la francophonie. Il faut pourtant reconnaître que la capacité d’influence du Commonwealth en fait une des inspirations pour la réorientation[1] de la francophonie vers un rôle plus actif, depuis le début des années 2000. L’autre point est que son poste de Gouverneur général était avant tout symbolique car démuni de fonctions exécutives, tout comme l’est le rôle de la Reine d’Angleterre au Canada. Pourtant, ce rôle s’est redéfini comme un conseil au gouvernement, mais aussi impulseur d’actions. C’est ce que Mme Jean a expliqué dans une interview au magasine Jeune Afrique de novembre 2014.
La nomination de Michaëlle Jean est aussi symbolique puisque tout au long de sa vie elle a été très impliquée dans la défense de la cause des femmes, au Canada, puis dans le monde. Or, l’éducation des femmes en Afrique a été jugée comme essentielle dans le développement de la francophonie.
Une réorientation économique ?
Ainsi cette nomination s’inscrit dans la redéfinition du rôle de la francophonie qui s’est mise en place depuis 2005. Si les actions de l’organisation avant cette date étaient majoritairement culturelles, symboles d’amitié et de soutien de la langue française, le cadre stratégique décennal de Ouagadougou en 2004 à lancé une dynamique de repositionnement vers l’économie, en s’inspirant des modèles d’influence que sont dans le domaine le Commonwealth ou la communauté des pays de langue portugaise.
Des prémisses d’action se sont ensuite développées. Les coopérations avec d’autres organisations internationales sur le développement ont vu le jour, notamment avec le Commonwealth et l’OCDE. Mais, plus important, des réseaux francophones ont été crées, comme le réseau de normalisation francophone (RNF) qui cherche à mettre en place un cadre normatif commun, l’union des banques francophones (UBF) qui vise à unifier les pratiques bancaires par la formation ou encore le réseau des associations professionnelles francophones (RAPF) qui invite les entreprises de langue française à coopérer et à se développer au niveau international. Il est aussi important de relever la création de l’OHADA, organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires qui par la formation et la coopération incite à créer un socle juridique commun afin de faciliter investissements et échanges. L’action de l’OIF depuis 2004 s’est réorientée vers des actions de développement, de formations et vers l’établissment de coopérations internationales et interrégionales.
Le sommet de Dakar de fin novembre dernier semble alors refléter une évolution au sein de la réorganisation de l’OIF. On voit que le cadre stratégique pour 2015-2022 a un ton qui se démarque radicalement du précédent. Un ton plus direct, plus technique, plus volontaire. Il nous parle du rôle de « magistère d’influence, dans les questions mondiales » de la francophonie, qu’une « stratégie offensive » sera de mise pour suivre la démographie encourageante des populations francophones. Même la langue française, longtemps sanctuarisée au sein de la culture, y est décrite comme un instrument d’influence au service du développement économique. Le revirement semble donc net.
Des plans d’actions crédibles ?
Le cadre stratégique décennal se voit adjoindre un plan d’action résumant les axes et objectifs que le secrétaire général devra suivre lors de son mandat, ce sont des objectifs listés et qui se distinguent du cadre décennal précédent. D’un certain flou, on se rapproche de la précision. Ainsi s’ajoute au cadre décennal 2014-2022 une stratégie économique pour la francophonie. Ce plan d’action se base sur les perspectives de croissance de la population francophone d’ici 2020 et de la nécessité de promouvoir le français comme une langue d’affaire, principalement entre les pays africains.
L’idée est basée, comme traditionnellement, sur le développement durable par des projets ciblés, mais le changement est palpable. La stratégie économique vise à augmenter les formations francophones, développer les réseaux professionnels internationaux francophones, les coopérations entre public et privé, tout en ayant pour objectif de peser dans les instances normatives des organisations internationales.
Le renforcement de l’espace économique francophone y est aussi développé. Ce renforcement s’oriente vers le numérique et l’innovation en se basant sur une population africaine francophone qui sera la plus jeune du monde et à besoin d’être formée techniquement et économiquement. Pour cela il faut aussi développer des coopérations interrégionales et internationales en accordant plus facilement des visas pour la formation, le business et les acteurs culturels. Le plan d’action rappelle alors que le moyen de ce développement est la constitution, si besoin, ou le renforcement des réseaux professionnels afin de créer un sentiment d’appartenance à une communauté de langue ce qui bénéficiera au dynamisme économique car comme le pointe le rapport Attali sur la francophonie économique, les pays africain francophones ont une proportion d’échanges avec la France beaucoup plus importante qu’avec d’autres pays occidentaux, il serait dommage de négliger ce point.
C’est sur ces plans économiques que s’est ouvert le premier forum économique de la francophonie dont il sera intéressant de voir les réalisations concrètes, une fois que les intentions seront rendues publiques.
Il est dans l’intérêt de l’économie française de soutenir cet effort afin de se constituer plus de débouchés pour son commerce et ses investissements, mais aussi afin de développer une communauté de norme qui puisse permettre d’imposer les visions françaises ou tout du moins francophones au sein des instances internationales . Ainsi, la France fournit 53% du budget total de l’OIF[2], il serait regrettable de laisser passer cette chance pour l’économie française, comme le souligne le rapport Attali.
Alexis Peigné
Aller plus loin :
Rapport Attali :
http://www.elysee.fr/assets/Uploads/Rapport-Jacques-Attali-la-francophonie-conomique.pdf
Site du forum économique de la francophonie :
http://www.forum-economique-francophonie.com/fr/accueil
Site de l’OIF :
Portail de l’OHADA :