Le combat d’Amazon à Bruxelles

Le projet législatif européen relatif à la protection des données personnelles doit être adopté en cette année 2015. Ce projet de loi a fait l’objet d’un lobbying intensif de la part des géants d’Internet, parmi lesquels Amazon.

En 2011/2012, Amazon dépensa plus de 4,7 millions de dollars pour ses activités de lobbying aux Etats-Unis. Elle exerça son influence afin de ne pas avoir à payer de taxes sur les ventes dans les Etats dans lesquels elle n’était pas présente physiquement. De la même manière, l’entreprise de e-commerce milita auprès du Congrès américain pour une réduction significative des taxes sur les revenus qu’Amazon permet de ramener aux Etats-Unis. La librairie en ligne exerça une pression similaire sur des sujets aussi variés que les lois anti-trust, les droits d’auteurs ou les lois anti-piratage et la cyber-sécurité, notamment via l’Internet Association, formée par Amazon, Google, Facebook et Yahoo.

Même si les activités de lobbying d’Amazon sont plus prononcées aux Etats-Unis, elles demeurent cependant très importantes en Europe. Et, depuis 2011, elles visent principalement la question des données personnelles :  « Les entreprises américaines de la Silicon Valley ne veulent pas de cette nouvelle règlementation », a déclaré le député vert allemand Jan Philipp Albrecht, rapporteur du texte de loi. C’est en effet sur ce dossier qu’Amazon dépense le plus d’argent : entre 100 000 et 150 000 euros par an. Elle le fait via Brunswick Group LLP, cabinet chargé d’affaires publiques situé au cœur de Bruxelles, à côté du quartier royal, et qui représente les intérêts d’Amazon dans la capitale belge. Joe McNamee, directeur de l’ONG  « Digital Civil Rights in Europe », décrit la campagne de lobbying qui se passe actuellement sur le sujet de la manière suivante :  « Les grandes entreprises, connues de tous, ou les fédérations auxquelles elles appartiennent, vont voir les plus petites pour les convaincre et leur demander d’aller à leur tour influencer les institutions. D’ordinaire, on sait qui est qui, là, tout est flouté par cette stratégie multiple à grande échelle », ajoute-t-il.

Bruxelles: « un service de reprographie » ?

Ce projet de loi compte à présent une dizaine d’amendements entièrement « copiés-collés » des changements « suggérés » par Amazon auprès des députés européens via des documents écrits. Ces 10 amendements sont quasiment tous destinés à réduire le niveau de protection des données personnelles. Côté français, 114 amendements ont été votés par des représentants français au Parlement Européen, 84 d’entre eux allaient à l’encontre d’un renforcement de la protection des données personnelles. Véronique Mathieu Houillon, de l’UMP, a voté 73 amendements contre le renforcement de la protection des données. Philippe Juvin, UMP, en a lui voté 8, selon le site Lobbyplag. Sans oublier que Google, Facebook ou Yahoo font également passer des dizaines d’amendements dans ce texte de loi. Ainsi, de nombreux députés du groupe PPE ont changé d’avis en 2012 et 2013 et sont devenus hostiles à la protection des données, alors qu’ils y étaient favorables au lancement du projet. Au final, plus de 4000 amendements ont été déposés et il est difficile de dire combien sont libres de toute influence.

Malgré cela, beaucoup d’eurodéputés restent imperméables aux pressions exercées par les géants d’internet. En France, Françoise Castex et Sylvie Guillaume, toutes deux affiliées au PS, et Marie-Christine Vergiat, du Parti de Gauche, se sont évertuées à œuvrer pour le renforcement de la protection des données personnelles et ont respectivement soutenu 15, 10 et 87 amendements allant dans ce sens. Sous l’impulsion de députés partageant leurs convictions, le projet de loi, après s’être vidé peu à peu de sa substance, va maintenant dans le sens d’un renforcement de la protection et semble à présent aller dans le bon sens.

Cependant, ce projet de loi connaît des difficultés à aboutir. Difficultés compréhensibles quand on sait que les données personnelles des Européens ne valent pas moins de 315 milliards de dollars. Leur protection représente donc des intérêts contraires. Le chargé du Marché numérique unique, Andrus Ansip, a déclaré en 2014 qu’une de ses priorités serait la protection des données. Et le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, d’ajouter : « Je ne sacrifierai pas les normes européennes de sécurité, de santé, les normes sociales, les normes de protection des données ou notre diversité culturelle sur l’autel du libre-échange » Reste à espérer que, jusqu’à l’adoption du texte de loi, ces volontés résistent encore aux pressions extérieures.

Guillaume Meyer

Pour aller plus loin :

Confrontation stratégique autour des données personnelles 

E-république 

Bibliographie :

  • PLUMER Brad, “Here’s what Amazon lobbies for in D.C.”, The Washington Post, 06/08/2013,
  • LEFEBVRE Jean-Sébastien, « Données personnelles, lobbying américain massif à Bruxelles », Contexte, 09/09/2013
  • VION-DURY Philippe, « Bruxelles : les textes des lobbies « copiés-collés » dans les lois », Le Nouvel Observateur, 08/03/2013
  • MARTIN Anne-Claude, « La commission européenne met la protection des données en haut de l’agenda », EurActiv, 31/10/2014