Les romains copiaient le vin grec. Les premières cotonnades indiennes s’inspiraient du textile européen. La contrefaçon est un procédé millénaire, partie intégrante du développement des échanges économiques. Attractive, de qualité variable, la contrefaçon attire les clients par un prix caractéristiquement plus faible que l’original et atteint tous les domaines : des produits de grande consommation aux médicaments.
L’ouverture des frontières et des marchés dans les années 1980, puis l’apparition d’internet ont permis un accroissement des volumes de contrefaçon échangés donnant aux contrefacteurs un terrain de jeu mondial. La contrefaçon provient à 90% de l’Asie du Sud-Est, et la Chine y joue un rôle central[i]. De par son rôle « d’usine du monde », de nombreuses entreprises occidentales sont attirées par la main d’œuvre peu onéreuse et la qualité d’encadrement managérial du personnel. La Chine s’est ainsi spécialisée dans la sous-traitance de production au point que des entreprises comme IBM ont revendu à leurs fournisseurs la partie « hardware » de leurs activités sous la marque Lenovo.
Pourtant, si la délocalisation de l’appareil productif accroît la rentabilité des entreprises occidentales qui s’y adonnent, elle incite aussi la Chine à produire la majorité des contrefaçons dans le monde. « De l’industrie lourde au bâtiment en passant par l’horlogerie, le constat des professionnels est unanime : plus aucun produit n’est aujourd’hui épargné par les copieurs »[ii].
« Du produit au service » : le modèle évolutif de la contrefaçon Chinoise
La Chine s’est inspirée du modèle japonais de rattrapage technologique en copiant les produits occidentaux. Ce rattrapage est effectué sur tous types de produits allant désormais jusqu’à la haute technologie et aux services. La Chine a bénéficié pour cela de transferts de connaissance afin d’assurer la réalisation de produits finis de plus en plus complexes. Elle n’a pas eu à supporter la majorité des coûts de R&D pour rattraper le standard de ses donneurs d’ordre occidentaux. Ses usines demeurant très rentables et son marché intérieur très attirant pour de nombreux investisseurs, le risque de voir ses marques copiées a trop vite été relativisé.
D’après le rapport UNIFAB portant sur la lutte contre la contrefaçon il y a eu trois étapes au business modèle de la contrefaçon en Chine.
Tout d’abord une production localisée à Hong-Kong jusqu’en 1984. Le financement provenait de sources mafieuses. S’il y avait des ateliers produisant du faux en Chine ils étaient réprimés par le Parti Communiste., l’essentiel de la production était revendu dans des pays tiers comme la Thaïlande ou l’Indonésie à de riches touristes japonais qui achetaient des copies de semi-luxe. Puis la contrefaçon en Chine a évolué au tournant du 21ème siècle.
Avec la réintégration de Hong-Kong, les financements et les savoir-faire entrainèrent une massification de la production de la contrefaçon. Le développement de la société de consommation avec le socialisme de marché a diversifié les produits copiés (DVD, montres de luxe, logiciels etc). Le Parti communiste Chinois a cessé dans les faits de réprimer la contrefaçon pour l’encourager.
La troisième phase, plus récente, présente non seulement un accroissement en quantités exportées, grâce notamment à internet, mais encore en copiant les services qui accompagnent la vente de produits de prestige. La Chine imite désormais le conseil de vente dans la copie d’enseigne de luxe, ou la reproduction à l’identique de restaurants occidentaux ce qui comprend autant d’approcher la réalisation de plats que la qualité du service en salle.
Boutique Herwès (sic) dans une rue de Shanghaï
Il ne s’agit plus de copier la marchandise, mais aussi l’image de marque et le service client. A ce sujet, Madame Sylvie Zawadzki[iii] a confirmé que le service juridique d’Hermès effectuait des enquêtes en Chine et déposait des plaintes régulièrement auprès des autorités chinoises.
L’enjeu central de la défense de la propriété intellectuelle
En adhérant à l’OMC, le gouvernement chinois a pris l’engagement de lutter contre la contrefaçon : c’est ainsi que les actualités chinoises annoncent régulièrement l’arrestation de certains producteurs délictueux[iv]. Pourtant, la part de la contrefaçon chinoise dans la contrefaçon mondiale demeure inchangée depuis 15 ans autour de 80%. On peut penser qu’il n’y a pas de réelle volonté chinoise de défendre la propriété des marques étrangères malgré ses déclarations ; et ce d’autant plus que le criminologue He Bingsong dénonce l’implication du crime organisé à tous niveaux de l’appareil politique chinois.
Une enquête réalisée en 2007 par le cabinet Pricewaterhouse Coopers auprès de 5 400 entreprises à travers 40 pays a montré que la contrefaçon leur avait coûté, en moyenne, plus de 1,9 million de dollars de pertes entre 2005 et 2007[v] (soit 1,5 million d’euros) et environ 6 milliards de pertes par an pour les entreprises françaises[vi].
La perte globale pour l’économie américaine se situerait entre 200 et 250 milliards de dollars par an (soit entre 184 et 228 milliards d’euros), chiffres avancés par l’IACC[vii]. Pour l’Union Européenne, il faut ajouter les pertes fiscales estimées à 230 millions d’euros dues à l’introduction de cigarettes.
Madame Zawadzki souligne que la distribution de matériel défectueux sous des marques connues et de confiance entraîne une défiance de la part des consommateurs qui ne savent pas toujours si le produit acheté est une contrefaçon. Les consommateurs ne sachant pas toujours faire la différence entre la copie et l’original associent la piètre qualité du produit acheté à celle de la marque officielle.
Cela devient même dangereux quand cela concerne, par exemple, du matériel automobile ou des médicaments[viii].
Une estimation des douanes étatsuniennes évalue la perte d’emplois à 750 000 postes à cause des contrefaçons et à 80 000 par an en France selon une étude du SESSI[ix].
Madame Zawadzki suggère l’harmonisation des normes internationales de la propriété industrielle. Cette démarche reposerait sur la concertation autour de principes communs et la réciprocité des pratiques. Les grandes marques emploient différents moyens pour décourager la contrefaçon. D’après un rapport de l’INHESJ[x], l’association pouvoirs publiques et entreprises privées augmentent les risques pénaux encourus par les contrefacteurs, qui se reportent sur le prix de vente. Les consommateurs de produits contrefaits arbitrant entre une contrefaçon dont le prix se rapproche de l’original et celui-ci, sont tentés de préférer ce dernier.
Des grandes marques de luxe optent pour une démarche différente. Hermès par exemple, en lançant la marque de luxe Shang Xia, produite entièrement en Chine avec des matières locales, associe le tissu économique chinois à la défense d’une nouvelle marque locale. Si Madame Zawadzki remarque que la qualité de certaines contrefaçons progresse, elle demeure encore loin de leurs originaux. Elle estime que la contrefaçon en Chine s’arrêtera quand elle aura des marques propres avec une forte image à défendre à l’international et sera copiée à son tour.
L’intelligence économique est un outil essentiel dans la lutte contre la contrefaçon. Les PME et ETI doivent faire appel aux cabinets spécialisés afin d’être conseillées dans le choix de leurs associés. Une démarche de due diligence sérieuse garantit d’une part, que les fournisseurs n’aient pas d’antériorité de contrefaçon et d’autre part, que la réputation des investisseurs chinois dans la joint-venture soit correcte.
Nicolas SMEETS
[i] Rapport UNIFAB, « l’impact de la contrefaçon vu par les entreprises en France », avril 2010
[iii] Madame Sylvie Zawadzki est Déléguée Générale à la Direction Juridique et aux Affaires Sociales et Fiscales de la Fédération Française de la Couture du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode.
[viii] La Chine exporte de faux médicaments dont un sirop pour la toux contenant de l’antigel qui a provoqué 34 morts http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/contrefacon-faux-medicaments-vraies-menaces_1285097.html